Tourisme : En Ariège, les stations de ski, des “outils au service du territoire”

Alain Naudy, président de la communauté de communes de Haute-Ariège. Ph. Olivier SCHLAMA

Longtemps, l’Ariège fut frileuse sur le développement du tourisme. De plain-pied dans le 21e siècle, elle développe des stations le plus écolo possible et s’appuient sur la préservation du patrimoine et de la biodiversité pour rester une référence du ski nordique et devenir celle du VTT, de la rando, etc. Avec comme symbole, un bâtiment “exemplaire” de 2 000 m2, labellisé Néowatt, s’inspirant d’une cabane de berger, qui cumule, sur le plateau de Beille, toutes les promesses : murs en pierres et bois locaux biosourcés ; toit végétalisé ; chaudière à bois… Reportage.

C’est l’heure de l’Ariège. Doucement, la neige cotonneuse s’agglutine en longues écharpes sur les arbres, colle au sol et engloutit les sons. En ce 28 novembre, à près de 1 800 mètres d’altitude sur le plateau de Beille, la météo, soudain hivernale, s’amuse avec le calendrier et le réchauffement climatique qui court sur toutes les lèvres. La neige est omniprésente, les chiens de traineaux sont de sortie comme les moufles…

Ce nouvel équipement qui a coûté 8 M€ et qui sera livré le 17 décembre permettra de lancer des activités diversifiées, pour les quatre saisons…”

Alain Naudy, président de la communauté de communes de Haute-Ariège devant le bâtiment principal du Plateau de Beille, où devrait repasser le Tour de France ! Photo : Olivier SCHLAMA

Président de la communauté de communes de Haute-Ariège (qui regroupe 52 communes), Alain Naudy, lui-même skieur-randonneur, tranche : “Justement, ce nouvel équipement qui a coûté 8 M€ et qui sera livré le 17 décembre permettra de lancer des activités diversifiées, pour les quatre saisons, comme le VTT, au delà du ski nordique pour lequel la station du plateau de Beille, créée il y a 32 ans, est leader dans les Pyrénées françaises… Nous voulons créer un avenir durable et désirable. Notre but c’est le… ménagement du territoire.” Créée en 2017, cette communauté de communes a engagé un plan d’investissement de 20 M€ sur cinq ans pour ses stations, dont la rénovation de celle du Plateau de Beille était l’une des priorités.

“Tourisme responsable…”

Tout ce que l’Ariège compte d’acteurs de ces stations était présent pour applaudir à la prouesse architecturale qui est aussi un pari réussi symbolisant un coup d’accélérateur envers le tourisme. D’abord, en effet, il y a ce bâtiment “exemplaire“. Il signifie que les décideurs Ariégeois ont décidé d’entrer de plain-pied dans ce chapitre “mais un tourisme responsable”, comme le dit la nouvelle directrice de l’Agence de développement touristique de l’Ariège, Justine Garcia.

“97 % des clients de nos stations sont français…”

Photo : Olivier SCHLAMA

Alain Toméo, président de cette agence, qui consacre, rien que de son côté, 150 000 € par an à la promotion des cinq stations ariégeoises, ajoute : “Ces cinq dernières années, le chiffre d’affaires global de nos cinq stations a connu une croissance de 30 %, soit 14 M€.” Les cinq stations totalisent 200 000 visiteurs par an. “Notre but, c’est au moins de maintenir ce niveau-là de chiffre d’affaires…” Selon lui, ces stations de “proximité” bénéficient d’un vivier important avec Toulouse à une heure de route. “97 % des clients de nos stations sont français.

« Quant aux 3 % d’étrangers, ce sont des Espagnols qui viennent l’été. Notre clientèle, ce sont avant tout des locaux et des Toulousains. Et la saison qui s’annonce devrait déjà être meilleure que l’année dernière, grâce notamment à l’enneigement présent.” Justine Garcia a une idée derrière la tête : “Nous ciblons maintenant toute l’Occitanie et la Nouvelle-Aquitaine et, plus précisément, leurs citadins qui ont envie d’air pur…”

“Une somme de petites victoires…”

“Ce bâtiment est une somme de petites victoires” : l’architecte, Gabriel Anger (cabinet Tryptique, ire la vidéo ci-dessous) savoure les étapes qu’il a fallu passer pour livrer un chantier hors normes. “Dès qu’il s’agit de montagne, au-dessus de 900 mètres, les règles de construction deviennent très compliquées”, dit-il. Même le positionnement de ce vaisseau de 2 000 mètres carrés (!), labellisé Néowatt, et laissant la pleine vue dégagée sur la forêt en s’y intégrant sans barrer l’horizon a été longuement pesé ; comme le parti pris d’ouvrir toutes les fenêtres sur ce panorama exceptionnel.

Inspiré d’une cabane de berger

Inspiré d’une cabane de berger au soubassement en pierre à l’ossature en bois et avec toit végétalisé, dont il est la copie conforme, et où il fallut faire jouer une homothétie parfaite, le bâtiment du Plateau de Beille n’est pas seulement un lieu mutitâches (billetteries, location de raquettes, skis… salle pour pique-niquer au chaud ; restaurant, etc.) avec une organisation savante des flux. C’est un message adressé aux habitants comme aux touristes. En clair, longtemps, l’Ariège est restée moins active sur le développement du tourisme. Désormais, les nouvelles règles sur la préservation du patrimoine et de la biodiversité.

Tout est fait à base de bois locaux

Oubliés, ou presque, les vingt mois de travaux tracasseries inimaginables pour obtenir des feux verts liés à la conception. Comme la structure et cette toiture unique. Douglas, épicéa, hêtre, frênes.“Tout est fait à base de bois, principalement d’Ariège ou d’Occitanie. Le hêtre et le chêne viennent du Tarn ; la structure en lamellé-collé provient, elle, du Massif Central”. La pierre ? D’occitanie ! “C’est le premier bâtiment durable d’Occitanie, labellisé Néowatt. On n’a rien démoli du bâtiment d’origine ; on a tout déconstruit avec du réemploi…”

Visite du bâtiment avec Georges Vigneau, directeur du syndicat mixte des stations de sport et montagne de Haute-Ariège. Photo : Olivier SCHLAMA

“La toiture à support bois est une vraie innovation en montagne made in France, renchérit l’architecte. Certaines poutres font 1,40 mètre d’épaisseur pour pouvoir supporter jusqu’à 1 200 kilos de pression au mètre carré, entre le poids du toit et de la neige. Nous n’avons reçu le feu vert du bureau de contrôle qu’il y a quelques jours…” Ce même toit abritera une vraie “prairie” : il va être végétalisé avec des espèces de plantes endémiques de l’Ariège…” Sans oublier une chaufferie à bois alimentée à 80 % par du bois local ; 200 mètres carrés de panneaux photovoltaïques produisant quelque 50 000 kw/h.

Limiter notre impact sur la nature tout en lançant une invitation à la montagne, au pastoralisme et au sport santé…”

Alain Naudy
Que des produits locaux et du fait main. Ph. O.SC.

Côté déjeuner, on est passé de l’image d’une cantine antédiluvienne à un bâtiment high tech et chaleureux auquel on a ajouté une salle de conférence et, accessoirement, de panneaux muraux antibruit en bois foraminés à la main ! “Ici, on a toujours été pionniers, reprend Alain Naudy. Un jour, dans les Alpes, on m’a demandé, tout étonné : “Mais vous faites payer la location de raquettes…? Ben oui, on fait même payer les piétons ! Là, avec ce bâtiment, on va limiter notre impact sur la nature tout en lançant une invitation à la montagne, au pastoralisme et au sport santé… En clair, tous les bienfaits de la montagne sur un… plateau.”

L’Ariège avait pris un temps de retard ; aujourd’hui, ça apparaît comme une force : nous offrons des territoires préservés, très peu urbanisés…”

Jason Lacube

Jason Lacube est le restaurateur engagé dans “une cuisine gourmande ariégeoise cuisinée maison. Tous nos plats sont préparés dans un souci de zéro gaspillage”. C’est lui qui a recréé l’espace restauration d’une capacité de 600 places. Il bénéficie d’une immense cuisine ouverte, récupérée de l’ancien bâtiment. Il va y proposer ses propres produits de l’élevage ainsi que de ceux de 40 autres producteurs, faisant la part belle à la viande et au fromage d’Ariège. De quoi poursuivre sa “mission pédagogique visant à rapprocher consommateurs et agriculteurs.” 

Jason Lacube. Photo : Olivier SCHLAMA

C’est le bon alignement des planètes pour l’Ariège ? “Je ne sais pas si c’est le bon moment mais je l’espère, réagit Jason Lacube qui dirige également une table reconnue au village Les Cabannes. Longtemps, en effet, notre territoire a été frileux vis-à-vis du tourisme. Il avait pris un temps de retard. Mais, aujourd’hui, ça apparaît comme une force. Pourquoi ? Parce que nous offrons des territoires préservés, très peu urbanisés. Et aujourd’hui ça plaît, surtout aux citadins qui ont envie de déconnection. C’est un atout. Mais il faut continuer à préserver ces lieux tout en les proposant aux touristes. En cela la station du Plateau de Beille s’est dotée d’un bâtiment qui fait sens : il est en pierre et bois, on y promeut les circuits courts ; on embauche dans la vallée… Cela fait sens et cela répond aux attentes sociétales…”

“Les stations sont des outils au service du territoire”

Directeur opérationnel du syndicat mixte des stations sport et montagne de Haute-Ariège – le Goulier, Beille, Chioula, Ascou et Mijanès – Georges Vigneau est un personnage. “Biologiste de formation”, sans “nier le réchauffement climatique”, l’homme est un ardent défenseur du modèle économique de la station de ski familiale. “Les Pyrénées, ce sont 185 millions d’hectares. Et les pistes de ski dans tout ça ? À peine 10 000 hectares d’occupées. Les stations des Pyrénées françaises réalisent chaque année quelque 135 M€ de chiffre d’affaires qui génèrent près d’un milliard d’euros de retombées économiques”, certifie Georges Vigneau. Au total, les cinq stations de Haute-Ariège ce sont 115 salariés et un chiffre d’affaires total de 2 M€ par an. “Ce sont des outils au service du territoire”, formule-t-il.

Sur l’écologie, ce dernier ajoute : “Il y a un siècle, les Pyrénées comptaient deux millions d’habitants contre 500 000 aujourd’hui, habitant majoritairement dans le Piémont. Du coup, la pression de l’homme est moindre qu’il y a trente ans et “les milieux se ferment”. Entendez : comme la nature a horreur du vide, les forêts grandissent. “Le ski bashing, ça suffit ! Que les gens qui le pratiquent envoient moins de mails et ça divisera par deux notre impact sur le réchauffement !”

“La clientèle a changé. Elle “picore” : un jour, quand il fait beau, elle va dans une station ; un autre au musée de Foix ; les gens veulent bonifier l’argent qu’ils dépensent…”

Georges Vigneau
La neige est au rendez-vous… Ph. Olivier SCHLAMA

Georges Vigneau va plus loin. À l’entendre, les stations sont écolos. “On est alimentés en électricité par un barrage hydraulique, celui de Laparran ! L’enjeu, pour nous, serait de produire notre propre énergie”, dit-il évoquant le stockage, peut-être un jour, de l’énergie produite par un hydrogène “vert”.

“Sentier transfrontalier entre Beille et la vallée d’Incles pour relier des territoires de transhumance”

Les projets ne manquent pas : le département de l’Ariège, associé à la communauté de communes de Haute-Ariège, est parti pour exploiter “durablement” d’autres ressources. L’une d’elles devrait faire florès. “Dans le cadre d’un projet européen Poctefa (1), confie ainsi Alain Naudy, nous avons candidaté pour créer, sans doute en 2024,  avec nos voisins andorrans et espagnols, un sentier transfrontalier entre le Plateau de Beille et la vallée d’Incles. Il s’agira de relier des territoires de traditionnelle transhumance.” Une trentaine de kilomètres dans une environnement vierge, avec guides et éleveurs eux-mêmes… Le tout, dans la perspective d’une reconnaissance de la transhumance à l’Unesco. C’est l’heure de l’Ariège.

Olivier SCHLAMA

(1) Poctefa est l’acronyme du Programme Interreg V-A Espagne-France-Andorre. C’est un programme européen de coopération transfrontalière créé afin de promouvoir le développement durable des territoires frontaliers des trois pays.

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