Terroirs : Le Nutri-Score, une menace pour les plus beaux labels de qualité et d’origine

Le porc noir de Bigorre, l'exemple d'un produit de haute qualité qui serait menacé par l'obligation du Nutri-Score. Photo V. BALDENSPERGER

L’Irqualim (Institut Régional de la Qualité Agroa-alimentaire d’Occitanie) “exhorte la Commission Européenne de ne pas appliquer l’affichage obligatoire du Nutri-Score sur les produits traditionnels et sous Signes d’identification de qualité et d’origine (AOC/AOP, IGP, Bio, Label Rouge.…), considérant qu’une telle décision serait contraire aux objectifs de santé publique et mettrait en danger l’équilibre économique des territoires.” Rappelons que l’Occitanie compte 247 produits labellisés et “une quinzaine en cours d’agrément” …

Jacques Gravegeal (à g.) président de l’IGP Pays d’Oc et vice-président de l’IrqualiM et Frédéric Monod (à d.) directeur de la fromagerie des Cévennes. Photo Ph.-M.

En duplex de Montpellier et Toulouse, lors d’une conférence de presse qui s’est tenue ce mardi 18 mai, l’Irqualim a réaffirmé son rôle de défenseur des produits régionaux de qualité par la voix de son président Jean-Louis Cazaubon (et vice-président de la Région Occitanie, en charge de la viticulture et de l’agroalimentaire) d’une part et du vice-président Jacques Gravegeal, par ailleurs président de l’IGP Pays d’Oc(*)

Ne pas mettre tous les produits dans le même panier

C’est, à la base, l’histoire d’une fause bonne idée. De celles qui malheureusement soulignent l’incapacité structurelle de l’Union européenne à faire face à la devise qu’elle s’est pourtant choisie : “Unie dans la diversité.” Ou, quand la volonté de bien faire aboutit au nivellement par le bas et à quelques absurdités.

Rappelons que, selon les textes officiels : “Le Nutri-Score est un repère graphique basé sur une échelle de 5 couleurs associées à des lettres allant du A en vert foncé pour les produits de meilleure qualité nutritionnelle, au E en orange foncé pour les produits de moins bonne qualité nutritionnelle. Le système prend en compte, pour 100g ou 100mL de produit, les éléments dont la consommation excessive nuit à la santé (…) et les éléments favorables…”

Celui par qui le scandale arrive !

Idéal pour la “bouffe” industrielle transformable. Mais quid des produits sous labels de qualité, dont le cahier des charges exige notamment de respecter le produit brut ?

L’inquiétude est d’autant plus grande, souligne Jean-Louis Cazaubon que “six français sur 10 déclarent choisir un produit en fonction de son Nutri-Score (Etude relevanC Advertising), c’est une véritable catastrophe qui s’annonce par l’instauration d’un marketing punitif. Les consommateurs risquent de privilégier des produits ultra-transformés qui ont une bonne notation au détriment des produits traditionnels, pourtant plus vertueux…” En effet, la Commission européenne envisage de rendre la présence du Nutri-Score obligatoire

Nutri-Score, il y a vraiment de quoi en faire un fromage !

Ainsi que le dénonce Jean-Louis Cazaubon : “Si l’on se fie au Nutri-Score affiché sur l’emballage, les produits alimentaires ultra-transformés ont parfois une bonne, voire très bonne, notation à l’inverse de produits plus traditionnels. Un soda light, car sans sucre mais avec des édulcorants est classé B, alors qu’un jus de pommes bio fermier, est classé C ! Un fromage à tartiner allégé affiche B alors qu’un Rocamadour, un Pélardon et un Roquefort AOP affichent D, voire E (…)

(…) Les modes d’élaboration des produits sous SIQO sont codifiés dans des cahiers des charges qui font que leurs recettes sont immuables et ne peuvent être modifiés sans rompre le lien au territoire ou changer la nature même du produit. Si l’objectif du Nutri-Score est d’inciter les industriels à améliorer la recette de leurs produits ultra-transformés, cette reformulation ne rime pas forcément avec amélioration nutritionnelle” souligne le président de l’Irqualim.

Des produits remarquables face au produits ultra-transformés de l’industrie

Le Pélardon AOP, 65 producteurs et 260 tonnes produites par an d’un fromage d’exception menacé par une norme inadaptée. Photo AOP PELARDON

Pour Frédéric Monod, directeur de la Fromagerie des Cévénnes (qui emploie 20 salariés et fournit un tiers de la production de Pélardon AOP) “Le Nutri-Score est en totale contradiction avec les labels de qualité de nos produits. Ainsi 90% des fromages de qualité sont en D ou E. Nous satisfaisons déjà à la norme Inco (pour “information du consommateur”, réglement européen qui harmonise et modernise l’étiquetage des denrées alimentaires au niveau de tous les pays européens, NDLR). Tous nos produits proposent une grille de lecture de leur composition. Pour nous, le Nutri-Score c’est délirant et inadapté…”

Le discours est naturellement identique chez les producteurs de Roquefort, la plus ancienne appellation d’origine (1925), dont on peut lire sur la fiche Wikipédia qui lui est consacrée : De réputation internationale, il est associé à l’excellence de l’agriculture française et à sa gastronomie.”

Et Pierre Cabrit, président du Veau de l’Aveyron et du Ségala Label Rouge/IGP. interroge : “Que vont devenir nos entreprises, nos territoires sur lesquels il est parfois difficile de travailler, si on ne mange plus nos fromages ou nos viandes ? Le Nutri-Score ne prend pas en compte l’ensemble des points qui rendent vertueux un produit, comme l’environnement, le mode de production… il infantilise totalement le consommateur…”

Le Nutri-Score néglige plusieurs éléments susceptibles d’avoir un impact sur la santé

Aujourd’hui, se jugeant menacés par la perspective d’une décision de rendre
obligatoire ce type de présentation sur la face avant des emballages (Front of Pack Nutrition Labelling, peut-être en 2022), les producteurs regroupés dans l’Irqualim ne se contentent pas de pousser un cri d’alarme.

Ils prennent l’initiative et soulignent les profondes lacunes du Nutri-Score : “Ce système à code couleurs simplifie à l’excès les informations nutritionnelles d’un produit : Il ne prend pas en compte la présence de micronutriments (vitamines, minéraux, oligo éléments), l’impact des additifs et des conservateurs et les risques sur la santé liés à la transformation alimentaire. Cette simplification peut pénaliser les produits sous IG et les produits traditionnels à ingrédient unique (ex : fromage, jambon …) qui peuvent pourtant jouer un rôle déterminant dans le passage à un régime alimentaire plus sain.”

Ainsi, il s’avère que les produits sous indication géographique (IG), qui ont pour vocation de protéger les productions enracinées dans un territoire délimité, sont des instruments essentiels pour atteindre les objectifs fixés par la stratégie de la ferme à la table” prônée par L’Union européenne.

Les producteurs engagés dans ces démarches interviennent en effet dans la protection de l’environnement et dans le développement économique et social de leur territoire. Ils ont à cœur de prendre soin de cette ressource et ainsi d’assurer la transmission de leur savoir-faire.

Le pesant silence du ministre de l’Agriculture

Le 18 mai dernier, l’Irqualim a donc espéré que l’affichage du Nutri-Score soit “exclusivement réservé aux produits ultra-transformés. En attendant, il va continuer de surveiller scrupuleusement les travaux de la Commission Européenne et à sensibiliser les pouvoirs pubics à cette question.” On remarque en effet le silence pesant du ministre de l’Agriculture Julien Denormandie sur ce sujet malgré plusieurs sollicitations.

Pour conclure, un simple conseil, soyez avant tout attentif à la présence des labels AOP/AOC, IGP, STG, Label Rouge et AB (Agriculture Biologique) sur les produits que vous consommez ! En savoir plus…

Philippe MOURET

(*) Ils étaient pour l’occasion accompagnés de Pierre Cabrit, Président de la filière Veau d’Aveyron et du Ségala, Frédéric Monod, Directeur de la Fromagerie des Cévennes, Denis Carretier, Président de la Chambre Régionale d’Agriculture, Vincent Delagarde, Directeur de l’Association Régionale des Entreprises Agroalimentaires et Sébastien Vignette, Secrétaire général de la Confédération générale des producteurs de lait de brebis et des industriels de Roquefort.

Dis-Leur ! aime les terroirs d’Occitanie. Quelques exemples :