Deux chercheurs, Emmanuel Gras (CNRS) et Aline Freyssin, (ReSt Therapeutics) dirigent un labo commun : Trans NMDA, à Toulouse, qui évoque une molécule prometteuse contre ce trouble qui touche 4 % de la population mondiale. Les essais thérapeutiques sont prévus aux USA. Psychologue, Hélène Romano dit : “J’espère qu’un jour, on aura une molécule qui permettra de moins souffrir physiologiquement mais aucune ne remplacera la psychothérapie.”
Il y a pire que le confinement, jadis un temps généralisé : le confinement individualisé. Seul avec soi-même. Le pompier sétois Eric Gouvernet, 56 ans, en fait toujours l’amère expérience huit ans après un irrémédiable traumatisme lié à une intervention qui a chamboulé sa vie : il est touché par un syndrome de stress post-traumatique (SSPT), comme peut l’être un soldat qui fut blessé sur le front, en Afghanistan, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI.
Il vit, toujours dans un état d’enfermement avec des symptômes invivables permanents. Un supplice. Pouls à 110 pulsations au repos, par exemple, stress qui se déclenche au moindre stimulus, absence de concentration, pression sociétale qu’il ressent de façon suraiguë, crises d’angoisse… La simple vue des camions rouges d’intervention des pompiers peut affoler tous ses récepteurs sensoriels.
“Ce qui m’a le plus aidé, c’est la méditation de pleine conscience mais, bon, il faut faire des stages de dix jours… en permanence…”
Depuis, Eric Gouvernet a repris le travail mais avec tous ses symptômes en bandoulière. “Il n’y a pas de progression”, souffle-t-il, huit ans après les faits. Il se dit “en mille morceaux” depuis qu’il est intervenu en mai 2017 sur un “carreau”, un terrible accident à Sète. Depuis, il a presque tout essayé et se dit prêt à tester tout ce qui se présentera. Il a déjà expérimenté EMDR, séances chez la psychologue, le psychiatre ; il a englouti des béquilles chimiques. On lui a même fait découvrir l’EFT (emotional freedom technique), protocole pseudo-scientifique que l’on applique aux militaires touchés par le même syndrome. En vain.

Tous les deux mois, tel Sisyphe, il revient au CHU de Montpellier pour une évaluation, pour récupérer une nouvelle ordonnance de médicaments. De la chimie, toujours. “Ce qui m’a le plus aidé, confie Eric Gouvernet, c’est la méditation de pleine conscience mais, bon, il faut faire des stages de dix jours…” En permanence.
“Mais rien ne s’est effacé. Je ne serais plus jamais comme avant.” Son but, aujourd’hui ? Témoigner et aider à ce que le stress post-traumatique soit reconnu comme maladie professionnelle. Il certifie que presqu’un pompier sur deux souffre de ce syndrome mais certains l’ignorent : “Ils ne l’ont pas forcément formellement identifié. Mais quand tu as vécu un traumatisme, ça peut leur péter à la gueule à tout moment…”
Le stress post-traumatique touche 4 % de la population mondiale et entre 2 % à 3 % de la population française
Comme Eric Gouvernet, près de 4 % de la population mondiale souffre de trouble stress post-traumatique (SSPT), selon l’OMS et aucune solution convenable n’a été à ce jour trouvée pour limiter la souffrance des gens qui en sont atteints. Généralement, quand on évoque ce trouble, on pense spontanément aux soldats traumatisés qui reviennent du champ de bataille. Ce type de trouble anxieux est associé aux fameux GI américains dont l’histoire dans l’Histoire a même portée de nombreuses fois sur grand écran. En en faisant des héros…
“Le trauma peut être associé à n’importe quel acte violent que l’on a subi”, définit Emmanuel Gras, chercheur CNRS au sein du laboratoire hétérochimie fondamentale et appliquée (LHFA) à l’université de Toulouse. “Les femmes sont premières touchées parce qu’elles subissent en proportion le plus de traumas. La Haute autorité de santé évoque la fourchette de 2 % à 3 % de la population française ; un chiffre extrêmement élevé”, précise-t-il (1).
Repli sur soi, idées noires, anxiété, insomnies graves…
Le TSPT touche bien au-delà : tous les soldats du monde (un quart des militaires qui ont vécu une guerre seraient concernés selon l’Inserm, en 2020 !), les pompiers… Mais aussi des victimes de catastrophes naturelles, attentats, guerres, viols… Selon une étude du Lancet, le massacre terroriste du Hamas en Israël, le 7 octobre 2023, aurait créé un traumatisme touchant une large part de la population : la prévalence avancée est de 16 % à 30 % entre août et décembre 2023.
En France, aussi, les attentats ont généré leur lot de traumatisés à vie. De quoi entrainer des conditions de vie largement altérées pour des milliers de gens sans solutions thérapeutiques : repli sur soi, idées noires, anxiété, troubles divers comme des insomnies graves… Ce trouble est souvent associé à d’autres troubles : addictions, dépression, suicide, etc.
On se situe sur un marché orphelin. On peut le dire : à ce jour, il n’y a pas de traitement pour le stress traumatique”
Aline Freyssin, directrice-adjointe du labo commun
Et que propose-t-on au bout d’une errance médicale plus ou moins longue et pénible ? Le plus souvent des thérapies comportementales qui n’ont fait aucunement leurs preuves ; le fol EMDR et il ne se passe pas une saison sans qu’un labo revendique une molécule miracle, sans y arriver… Certains toubibs proposent, en attendant, de recourir à des choses plus ou moins farfelues comme des champignons hallucinogènes ou de l’ecstasy. Et même de la réalité 3 D jusqu’à des impulsions électriques dans le cerveau comme au temps béni que l’on croyait révolu des électrochocs (cela a pris le doux nom scientiste de stimulation trans-crânienne)…

“On se situe sur un marché orphelin, formule Aline Freyssin, chercheuse au ReST (Recovery from stress and trauma) et directrice-adjointe du laboratoire commun. On peut le dire : à ce jour, il n’y a pas de traitement pour le stress traumatique. On donne des traitements mais ils ne sont pas spécifiques : habituellement, ils servent à soigner des dépressions mais ils ne sont pas vraiment faits pour régler ce syndrome.” Un pis-aller.
Pour trouver une solution, a été créé un laboratoire commun (inauguré le 6 février dernier) entre le CNRS, l’Université de Toulouse et ReST Therapeutics – codirigé par Emmanuel Gras – qui vise, à mettre en commun des compétences, des savoir-fair et des moyens “par une approche s’étendant de la molécule au cerveau, à traduire les avancées fondamentales en neurosciences en solutions thérapeutiques concrètes et accessibles pour les patients souffrant du syndrome de stress post-traumatique (SPTT).” Son budget ? 1,4 M€ pour quatre ans. “On ne peut qu’espérer le voir augmenter. Ce qui est important, c’est de pouvoir répondre à des appels à projets et faire des levées de fonds”, confie-t-il.
“Ce qui fait l’originalité de ce laboratoire commun, c’est qu’il associe plusieurs labos académiques”

Emmanuel Gras pointe : “Ce qui fait l’originalité de ce laboratoire commun, c’est qu’il associe plusieurs labos académiques, notamment ceux qui relèvent de la biologie dont le centre de recherche en cognition animale où peuvent être effectués tous les tests comportementaux ; il y a aussi l’institut de pharmacologie biologie et structurale qui a en charge la pharmacologie in vitro.” Ce labo commun unira les forces de chimistes, pharmacologistes et neurobiologistes “dans un continuum de recherche combinant science fondamentale et applications pour la santé. Avec pour objectifs d’affiner la compréhension des mécanismes sous-jacents du SSPT et concevoir de nouvelles approches thérapeutiques, basées sur un design moléculaire rationnel”.
La démonstration de l’efficacité de la molécule est attendue pour 2028
Justement, ce nouveau labo qui réuni quinze chercheurs est sur la piste d’une nouvelle molécule, de synthèse, qu’ils espèrent prometteuse. “Baptisée RST-01, elle va entrer en essais clinique. Elle dérive de composés reconnus pour avoir une certaine affinité pour les récepteurs NMDA {essentiels à la mémoire et à la plasticité synaptique, Ndlr}. Car l’une des problématiques liée au stress post-traumatique est souvent liée à une suractivation de ces récepteurs. Cette molécule a des propriétés évidentes.” Une découverte due à un mélange de sérendipité – une découverte par hasard – et un souhait d’aller dans cette direction a mis cette molécule en évidence. Emmanuel Gras précise : “Le composé lead est appelé à être l’ingrédient pharmaceutique actif d’un médicament qui ciblera la suppression des symptômes du stress post-traumatique en agissant sur la plasticité neuronale. La démonstration de l’efficacité de ce programme leader par les essais cliniques, qui vont commencer au second semestre 2025 aux USA, est attendue pour 2028.”
Des essais qui seront réalisés aux… Etats-Unis
Étonnamment, la partie d’étude clinique se passera aux Etats-Unis. “On est en pleine demande d’essais avec la FDA” (Food and drug administration) qui autorise ou interdit la commercialisation de médicaments sur le territoire américain. Pourquoi ? “On a tenté en Europe ; ça a été compliqué. À cause de la conjoncture actuelle, ça n’a pas été possible. Il fallait beaucoup d’argent et puis on se pose beaucoup moins de questions aux USA que chez nous. On est allés vers la simplicité. Mais la partie pré-clinique, tests et validation de nos candidats médicaments se passeront en France.”
La recherche fondamentale reste ancrée à Toulouse

“Mais, ajoute Emmanuel Gras, la recherche en amont, fondamentale, reste en France. Et à Toulouse, en particulier. C’est, d’ailleurs, l’idée de ce laboratoire : l’ancrer chez nous pour essayer de comprendre l’impact de composés agissant avec ces récepteurs et les différents types de récepteurs NMDA.” Et d’ajouter : “Nous visons le syndrome de stress post-traumatique mais nous n’excluons pas d’avoir des applications dans des maladies neurodégénératives, comme l’Alzheimer ou le syndrome de Rett. Nous avons déjà pré-testé des molécules baptisées, elles, RST02, RST03…”
“Développer un bio-traceur (…) et un médicament”
Ces essais cliniques se feront de manière classique en empruntant le fameux double-aveugle (une partie des patients retenus bénéficient de la molécule, l’autre partie d’un placebo). Auparavant, il y aura eu des tests sur des volontaires sains pour savoir si cette molécule produit ou non des effets secondaires : cette phase durera un an. “Les essais proprement dits dureront sans doute une dizaine d’années mais on saura au bout de trois ans si on est sur la bonne voie ou si c’est un rêve qui s’achève”, confient les deux chercheurs.
Emmanuel Gras détaille comment est née cette opportunité : “Cette molécule avait été développée à la base pour en faire un radio-traceur pour de l’imagerie in vivo où elle est utilisée à des concentrations extrêmement faibles dans lesquelles il n’y aucun effet pharmacologique. Dès que l’on s’est aperçus qu’il y avait un marquage in vivo des zones où sont les récepteurs NMDA, on a souhaité poursuivre sur le versant thérapeutique.” Aline Freyssin, du laboratoire ReST complète : “C’est pour cela que l’on souhaite développer les deux volets, un bio-traceur pour faire un bio-marqueur pour ces patients atteints de stress post-traumatique et aussi développer un médicament.”
L’apport “important” de l’IA dans la recherche
Les deux chercheurs explicitent qu’il y aura une part d’IA (intelligence artificielle) dans cette recherche “pour comprendre comment nos molécules à l’étude agissent au sein du cerveau et modéliser tout cela ; l’IA on l’utilise déjà dans nos labos pour tout ce qui est analyse d’articles scientifiques ; construction de données…”, dit aline Freyssin, directrice-adjointe de ce labo commun. “L’IA n’est pas une fin en soi mais un outil qu’il serait dommage de ne pas exploiter. Dans tout ce qui sera extraction de données pour faire de la modélisation, son apport sera important”, conclut dit Emmanuel Gras.
“Les attentats ont changé la donne, avec la reconnaissance des victimes”

Depuis quelques années, depuis que les attentats ont endeuillé la France, le “marché” du psycho-trauma est “porteur” : les projets de scientifiques trouvent plus facilement l’argent nécessaire pour leurs recherches, par exemple. “Il y a 30 ans, quand j’ai fait ma thèse sur les violences sexuelles en milieu scolaire, ça n’intéressait personne, confie Hélène Romano. Les attentats ont changé la donne, avec la reconnaissance des victimes. Depuis, il y a un “marché des victimes”, dit encore Hélène Romano, également docteure en psychopathologie et de sciences criminelles. Avec des projets de laboratoires qui se font jour.
“Le trouble de stress post-traumatique, contextualise la psychologue Hélène Romano, est une réaction physique liée à un état de stress extrême, d’une dérégulation dans la gestion du stress de l’organisme. A ce titre-là, certaines molécules qui gèrent le stress, l’anxiété…, pourraient être une solution mais pas la solution. Ce trouble a aussi des répercutions psychiques : ce que l’événement traumatique va potientiellement réactiver.”
On peut prendre une molécule pour gérer un effet immédiat mais tout ce qu’il en est de l’inconscient, ce n’est pas une molécule qui va le gérer”
Celle qui a participé à la prise en charge des victimes de l’attentat du Bataclan appuie son propos avec un exemple parlant : “Des gens furent traumatisés par l’horreur mais d’autres ont vu leurs traumas antérieurs se réactiver. Je pense en particulier à un patient de 25 ans qui avait découvert son père pendu quand il avait 6 ans ; il était recouvert de sang mais il n’était pas blessé physiquement mais psychiquement, il était dans un état épouvantable. C’est son passé qui s’était réactivé : on peut prendre une molécule pour gérer un effet immédiat mais tout ce qu’il en est de l’inconscient, ce n’est pas une molécule qui va le gérer et celles qui sont envisagées atteindront vite leurs limites. C’est toute la complexité de ce trouble à la croisée des manifestations physiologiques et psychiques. Cela fait une caisse de résonnance particulière.”
Aucune molécule ne replacera la la psychothérapie. C’est un enjeu éthique. On est devant un clivage mais le travail psychologique est fondamental”
Hélène Romano, docteur en psychologie
Pour Hélène Romano, avant tout, sur le fond, il y a avant tout un problème éthique : “On ne dit pas avant que ça ne soit prouvé qu’un médicament guérit les aveugles. Sinon, on donne de faux espoirs à des gens qui ont des vies fracassées, qui n’arrivent plus à sortir ; dont les nuits sont amputées par des cauchemars, c’est insupportable. Les effets d’annonce visent aussi à ce qu’il y ait des donations. J’espère qu’un jour on aura une molécule qui va permettre de moins souffrir physiologiquement. Psychiquement, malheureusement cela ne règlera pas le fond du problème. Quelqu’un qui est dépressif : très bien, il prend des médicaments. Mais si on ne règle pas le pourquoi il est déprimé, le jour où il arrête les traitements, il s’effondre.”
Pour la célèbre psychothérapeute, “le trouble stress post-traumatique est au coeur d’un enjeu financier considérable : il y a, pour les pouvoirs publics, la volonté d’aller vite, comme pour le dispositif de remboursement des séances de psy où l’on considère qu’en deux ou trois séances, cela ira bien. Juste pour que cela coûte moins cher. En fait, cela donne juste l’illusion que cela va aller. C’est comme, également, pour les médicaments : certains contre la dépression fonctionnent relativement bien mais si l’on ne fait pas de “travail” à côté, de travail sur le psychisme, quand on enlève les médicaments tout s’effondre. Aucune molécule ne replacera la la psychothérapie. C’est un enjeu éthique. On est devant un clivage mais le travail psychologique est fondamental.”
Olivier SCHLAMA
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(1) Selon l’Inserm, il existe une “prévalence élevée dans certaines populations. La prévalence des TSPT serait de 5 % à 12 % dans la population générale, mais ces données sont principalement issues d’études menées aux Etats-Unis (les études sur le sujet sont plus rares en France et dans les autres pays). De plus, ces chiffres pourraient être sous-estimés du fait de la méconnaissance du trouble et de ses présentations incomplètes qui peuvent échapper au diagnostic. Il existe davantage de données concernant certaines populations spécifiques, plus souvent touchées par les TSPT (et donc plus étudiées). On estime par exemple que près d’un quart des militaires qui ont participé à une guerre sont concernés par ces troubles.
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Concernant les témoins directs ou indirects d’actes terroristes, plusieurs enquêtes épidémiologiques ont récemment été conduites en France, en collaboration avec des équipes de l’Inserm. Ainsi, 6 à 18 mois après les attentats de janvier 2015 (Charlie Hebdo, Hyper Casher, Montrouge, Dammartin-en-Goële), 18 % des témoins présentaient des TSPT, avec une prévalence allant de 3% parmi les témoins à proximité et jusqu’à 31 % chez les personnes directement menacées (Etude IMPACTS.
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Les troubles concernaient également 3 % des intervenants (policiers, soignants…), sachant qu’une proportion significative de l’ensemble des témoins sans TSPT présentait des troubles anxieux ou dépressifs liés à l’évènement. Une enquête similaire a été menée après les attentats de novembre 2015 (Paris, Saint-Denis) : elle a montré une prévalence des TSPT de 54% chez les personnes directement menacées et presque autant chez les personnes qui ont perdu un proche lors de ces évènements (étude ESPA – 13 Novembre). Une autre étude conduite à la suite de cette série d’attentats a décrit que la population générale pouvait avoir développé un TSPT sans avoir été directement témoin ou concernée personnellement par des évènements collectifs traumatisants : le temps passé à visualiser les images de ces attaques à la télévision était associé à un risque accru de développer des symptômes de stress post-traumatique spécifiques, toutes choses étant égales par ailleurs.
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