Coûts cachés de la santé : Plus de 1 500 € en moyenne par an à la charge de chaque patient !

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On connaît tous la franchise médicale plafonnée à 50 € par an. Mais, tout cumulé, les frais annexes à notre charge pour de petits matériels de soin, produits qui apaisent les effets secondaires de traitements, séances chez le psy, l’ostéopathe, etc., eux, vont augmenter à la faveur de la future loi de financement de la Sécurité sociale. Cette dernière devrait, elle aussi, moins rembourser… Ce qui pénalise les patients aux faibles revenus et souffrant de maladies chroniques. France Assos Santé a fait le calcul et s’insurge.

“Ce sont les patients et les patients les plus fragiles, chômeurs, retraités, précaires qui vont encore payer le déficit de la Sécu…” maugrée un médecin. Ceux qui sont juste au-dessus des seuils sociaux qui gagnent plus de 1 145€ par mois et jusqu’à 2 500 € mensuels : soit une frange d’auto-entrepreneurs, d’artisans, de commerçants, d’agriculteurs qui paieront plus cher leur accès à la santé.

Une “idée” court-termiste : ces hausses vont aboutir à du renoncement aux soins, à donc des pathologies qui vont s’aggraver et qui seront plus… onéreuses à traiter. “Le système de santé français est davantage curatif que préventif alors que la prévention aboutit à moins de souffrance et à des économies”, abonde Marc Morel, directeur général de France Assos Santé qui vient de produire une enquête sur le sujet.

Un milliard d’euro d’économies sur le dos des malades

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Le gouvernement Barnier a prévu, en effet, d’économiser plus de 1 milliard d’euros sur le budget de la Sécurité sociale. Comment ? Tout simplement en réduisant la part remboursée par la Sécu aux patients sur les consultations chez le médecin ou la sage-femme. Exemple : une visite chez un généraliste, dont la consultation passera bientôt à 30 €, sera remboursée à 18 € par la Sécu (dont 2 € à la charge directe du patient) au lieu de 21 €.

C’est ce que l’on appelle la hausse du ticket modérateur qui devrait passer la part qui reste à payer après remboursement de la Sécu (de 70 % à 60 %) et de la mutuelle de (de 30 % à 40 %). C’est, entre autres, ce qui doit être débattu lors de l’examen de la loi de financement de la Sécu (PLFSS) qui a débuté ce lundi. De quoi engendrer des hausses de cotisations chez les mutuelles… “Sans oublier que 4 % des Français n’ont pas de complémentaire santé”.

Pour certains retraités, cela représente plus d’un mois de rémunération !”

Catherine Simonin, membre de France Assos Santé
Marc Morel. Ph. Francis Rhodes

Ce qui met en lumière les fameux “frais de confort qui ne sont pas forcément que du confort !”, formule Catherine Simonin, membre du bureau de France Assos Santé, également administratrice nationale de la Ligue contre le cancer et conseillère Cnam. Ajoutant : “Pour certains retraités, cela représente plus d’un mois de rémunération ! Et il y a, de plus, une iniquité entre salariés et professions individuelles ; d’autant que les complémentaires santé des salariés sont cofinancés par l’employeur ; elles ne le sont pas pour certains travailleurs individuels qui doivent, eux, tout payer. Sachant aussi que la cotisation est indicée sur le risque, pas sur le revenu. Du coup, plus on vieillit, plus on paie cher…” Et donc “l’impact financier est plus fort chez les retraités dont beaucoup ont une retraite très mince et une complémentaire au coût exorbitant et qui n’est pas pris en charge par l’employeur puisqu’ils n’en n’ont plus”, complète Marc Morel.

“Ce seront les plus fragiles économiquement qui trinqueront le plus… C’est imparable”

De quoi inquiéter. C’est dans ce contexte que la fédération d’associations de patients France Assos Santé rend les premières conclusions d’une enquête édifiante sur les frais dits de “confort” mais qui sont souvent indispensables (une perruque pendant une chimiothérapie, des séances de psy voire une crème qui adoucit une peau martyrisée par des traitements difficiles…) Directeur général de France Assos Santé (1), Marc Morel valide en substance : “Oui, ce seront les plus fragiles économiquement qui trinqueront le plus… C’est imparable.”

“Ce sont de petits matériels de soin, des produits qui apaisent les effets secondaires de certains traitements…”

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Et de cibler l’objet de l’enquête : “Au regard de la hausse des franchises, des restes à charge, on s’est dit qu’il y avait une étude à faire sur les frais dits “invisibles” des patients. Les pouvoirs publics ont tendance à mettre ces frais liés à la santé, au handicap et/ou à la perte d’autonomie sous le tapis. Ils n’apparaissent d’ailleurs dans aucune base de données. Ce sont de petits matériels de soin, des produits qui soulagent ou qui sont nécessaires pour apaiser les effets secondaires de certains traitements, des aides techniques, des frais d’alimentation ou de médecine complémentaire, comme des séances chez le diététicien, le psychologue ou l’ostéopathe, etc.”

Coût : 1 557 € en moyenne par an et par personne

Du coup, “même quand on est pris en charge à 100 %, il reste des frais connexes” qui ne sont pas roupie de sansonnet. France Assos Santé a calculé que ces coûts cachés de la santé s’élèvent à plus de 1 500 € par an en moyenne à la charge des patients ! Plus précisément : 1 557 € en moyenne par an et par personne, et jusqu’à plus de 8 200 € pour les 10 % qui déclarent le plus de frais liés à leur santé : c’est ce que révèlent les premiers résultats de l’enquête menée du 12 septembre au 14 octobre par France Assos Santé, et à laquelle 3 100 personnes malades chroniques, en situation de handicap ou de perte d’autonomie ont répondu” (1).

Et ces frais explosent : “En 2019, lors d’une précédente enquête, le montant moyen par an et par personne était de 1 000 €, ce qui représente une hausse de 50 % en cinq ans !”, précise Marc Morel.

Plus de la moitié des sondés déclarent avoir dû renoncer à des soins pour des raisons financières

Pire, si ces restes à charge passent inaperçus dans les comptes sociaux ou les communications des autorités de santé, ce n’est pas le cas pour les personnes qui les supportent. D’autant qu’ils viennent évidemment s’ajouter à ceux déjà bien identifiés, tels que les dépassements d’honoraires, les franchises, les participations forfaitaires, le forfait journalier, etc., qui se montent à 250 € en moyenne par an et par personne, d’après la Drees, et à 800 € pour les personnes en affection de longue durée. Au total, ces frais cumulés dépassent donc les 2 000 € par an et par personne.

Ce surplus n’est pas sans conséquences. Toujours selon les premiers résultats de notre enquête, plus de la moitié des répondants (53,2 %) déclarent avoir dû renoncer à des soins ou prestations pour des raisons financières. Deux chiffres : 44 % d’entre eux ont dû se passer de produits qui leur auraient permis de mieux vivre avec la maladie, le handicap et/ou la perte d’autonomie, et 40 % ont dû renoncer à un soutien psychologique.

“En 2023, le ticket modérateur avait déjà augmenté pour des soins dentaires”

France Assos Santé demande “d’en finir avec cette escalade des restes à charge, qui ne cesse de creuser les inégalités d’accès aux soins et mettent à mal le principe de solidarité nationale propre à notre système de protection sociale, alors même que d’autres options plus pertinentes existent”. Sans trop d’espoir ? “Le problème, c’est que ce qui pourrait être décidé est déjà arrivé pour le ticket modérateur des soins et de la prothèse dentaires en 2023. C’est passé de 70 % à 60 % de remboursement de la Sécu”, souligne justement Catherine Simonin.

Les indépendants, les retraités, chômeurs, artisans, commerçants, agriculteurs, les personnes en invalidité doivent financer totalement leur complémentaire santé…”

Catherine Simonin
Ph Hernandez Reyens, Unsplash

La spécialiste développe : “Ce qui laisse un certain nombre de personnes sur le bord du chemin. Puisque ceux qui n’ont pas de complémentaire santé (4 % de la population), les indépendants, les retraités, chômeurs, artisans, commerçants, agriculteurs, les personnes en invalidité doivent financer totalement leur complémentaire santé et cette baisse de la prise en charge par la Sécu induit incontournablement une hausse de la cotisation de ces complémentaires qui est totalement inéquitable : elle n’est pas corellée aux revenus sauf pour ceuw qui sont au-dessus des seuils sociaux qui peuvent aller vers une complémentaire santé solidaire. Le problème, par méconnaissance de leurs droits, seuls 59 % l’activent. Il y a eu, cependant, une automaticité de cette CSS gratuite qui a fait monter le taux pour tous les éligibles au RSA. Ils ne paient pas dans ce cas, franchises, dépassements d’honoraires et certains forfaits.”

“Si le patient commande par exemple une ambulance sans ce nouveau formulaire, il ne sera pas remboursé”

France Assos Santé compte en coulisses “dans les cabinets ministériels” expliquer que cette réforme aurait des “effets délétères”. Dans la future loi sur la Sécurité sociale, “il y a plein d’articles qui culpabilisent les patients”, explique-t-elle. Elle cite “l’article 16” qui dans le chapitre sur la “pertinence des soins à laquelle nous sommes favorables par ailleurs – précise que si le prescripteur ne remplit pas un formulaire en plus de son ordonnance et qu’il n’informe pas le patient, ça peut avoir de graves conséquences. Si le patient commande par exemple une ambulance sans ce nouveau formulaire, il ne sera pas remboursé. Nous sommes farouchement opposé à cela. Nous le dirons haut et fort. A voir comment vont se dérouler les débats à l’Assemblée nationale et s’il y aura ou pas un 49.3 qui verra le texte revenir à son écriture d’origine. C’est le problème…”

Les gens n’activent pas forcément leurs droits, notamment la complémentaire santé solidaire, et se retrouvent très démunis quand il faut en payer une

Image d’illustration. Photo MAX de Pixabay

S’agissant de l’Occitanie, Catherine Simonin complète son propos : “Je suis basée en Tarn-et-Garonne, un département rural de la Région, avec une incidence de précarité très forte. Les gens n’activent pas forcément leurs droits, notamment la complémentaire santé solidaire, et se retrouvent très démunis quand il faut en payer une… Je suis une patiente de 80 ans qui avait mis fin à sa complémentaire : elle ne pouvait plus en assumer les frais. Le taux de remboursement avait baissé et les restes à charge trop importants… C’est ce que nous relevons dans notre enquête : des dispositifs médicaux qui ne sont plus remboursés, des vitamines qui ne le sont plus non plus et pourtant indispensables pour leurs patients.”

Et de conclure : “En Occitanie, il y a de grands déserts médicaux. Beaucoup de gens habitent dans espaces ruraux. Cette nouvelle loi va avoir un impact négatif sur les transports sanitaires : beaucoup de malades ne pourront plus se les payer. Ensuite, au niveau national, déjà, 11 % des gens n’ont pas de médecin généraliste. Ceux-ci veulent tout garder sur les affections de longues durées (ALD). Nous demandons qu’une équipe soignante puisse intervenir, une infirmière, sage-femme, pour un simple renouvèlement d’ordonnance.”

Olivier SCHLAMA

  • Les résultats complets de cette enquête en ligne, réalisée par France Assos Santé avec Sanoïa, et portant sur 3 100 personnes, seront publiés courant novembre.
  • À propos de France Assos Santé. Créée en mars 2017, France Assos Santé est l’organisation de référence qui porte la voix et défend les intérêts des patients et des usagers du système de santé. Elle regroupe près de 100 associations nationales qui agissent pour la défense des droits des malades, l’accès aux soins pour tous et la qualité du système de santé. Elle forme les 15 000 Représentants des Usagers qui siègent dans les instances hospitalières et de santé publique. Elle prend une part active dans le débat public et porte des propositions concrètes auprès des acteurs institutionnels et politiques pour améliorer le système de santé.