Étude inédite sur leur santé mentale : “70 % des maires sont satisfaits de leur situation…”

L'écharpe, distinction de la fonction de maire lors de cérémonies, prisées par les premiers magistrats, selon l'étude d'Amarok. DR

Les maires, qui se voient comme des entrepreneurs, se disent massivement satisfaits de leur situation. Pour autant, 30 % d’entre-eux présentent des signes d’épuisement. Soit entre 1 142 et 1 218 maires. Ce sont les enseignements surprenants d’une étude de l’Observatoire Amarok, dirigé par le Sétois Olivier Torrès, spécialiste des PME, aux côtés de l’Association des maires ruraux de France.

Selon une étude inédite, la santé mentale des maires ne va pas si mal que cela : “près de 70 % (69,3 %) des maires sont satisfaits de leur situation ; ils ont portés par quelque chose d’éminent sacré : la République”, affirme ainsi, après un an de travaux, Olivier Torrès, professeur d’Université à Montpellier et responsable du Labex entreprendre. C’est une surprise tant furent souvent évoquées dans les médias les difficultés de renouvèlement de ce personnel politique isolé, mal reconnu, qui a souvent, à cause d’indemnités faméliques, aussi besoin de travailler et aux prises avec les lourdeurs administratives permanentes qui les étouffent. Ce sont les mêmes qui donnent parfois plus de 35 heures à leur commune. Ces résultats, scientifiques, sont troublants, même si les “petits” maires se sentent “utiles“.

Les médias, et c’est normal, ont mis souvent en avant des événements négatifs, des agressions d’élus. Mais cette étude-là sur le bien être ou le mal être des maires ruraux a été faite en toute objectivité”

Michel Fournier, président de l’AMRF

Pape de l’étude des PME et de ses dirigeants, le Sétois Olivier Torrès a créé un observatoire, Amarok, pour étudier finement la santé des entrepreneurs et des agriculteurs comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. Cette fois, aux côtés de l’Association des maires ruraux de France, et avec Mathieu Le Moal, doctorant sur la santé des dirigeants, psychologue du travail et des organisations, il s’est penché sur la santé de maires, notamment ruraux, les moins visibles. Pourquoi ?

“C’est un sujet clé, a entamé Michel Fournier, président de l’AMRF, maire de Les Voivres (Vosges). Les médias, et c’est normal, ont mis souvent en avant des événements négatifs, des agressions d’élus. Mais cette étude-là – indépendante financièrement, Ndlr – sur le bien être ou le mal être des maires ruraux a été faite en toute objectivité”. Elle offre une crédibilité nouvelle. Tout n’est pas tout bon, tout n’est pas tout mauvais mais il y a de quoi rester positif dans l’ensemble.” 

Parmi les mots qui apparaissent le plus chez les maires, c’est “projet” qui est le plus évoqué. Et c’est ce qui définit le dirigeant : entreprendre, c’est la science du projet”

Olivier Torrès, spécialiste des PME
Olivier Torrès dans son bureau. Photo : Xavier Lambours.

Entrepreneurs, maires, même combat ? Michel Fournier et Olivier Torrès pointent à partir de cette étude, baptisée Du risque de burnout au bien-être des maires français : sortir de l’ignorance, aussi beaucoup de similitudes entre la fonction de maire et celle de dirigeant de PME. “Parmi les mots qui apparaissent le plus chez les maires quand on les questionne, c’est le mot “projet” qui est le plus évoqué. Et c’est ce qui définit le dirigeant : entreprendre, c’est la science du projet. Et, dès lors que le projet est réalisé, cela leur procure une vraie satisfaction. C’est un entrepreneuriat de situation”, a décrypté Olivier Torrès qui a créé deux indicateurs qu’il a appelé le “satisfactomètre”, avec 34 satisfacteurs”, ou événements bénéfiques (1), comme un heureux événement familial ou la réussite d’un projet, donc, et le “stressomètre” (2) avec 34 “stresseurs” qui met notamment en relief la lourdeur administrative comme une véritable épreuve.

Les maires se sentent “impuissants

Olivier Torrès a cette formule pour résumer le concept de cette étude : “Dîtes-moi ce que vous vivez, je vous direz ce que vous risquez. Ce qui m’a marqué dans les facteurs négatifs spontanément cités, c’est le fait d’être impuissant, qui se situe à la 3e place des mots spontanément prononcés sur les facteurs les plus importants (il se situe à la 6e place pour les entrepreneurs).”

“Porter l’écharpe, ce n’est pas rien : le maire représente la République…”

Nuage évènements négatifs Maires.

Ce facteur-là varie entre les deux fonctions. “Le maire tient aussi parce qu’il est “environné” par ses proches (ci-dessous){sa vie personnelle impacte sa fonction de maire et vice-versa} ; j’appelle ça un dôme protecteur : il est heureux quand il réussit son projet.” Facteurs importants surlignés par le créateur d’Amarok : “Le maire accorde beaucoup d’importance aux cérémonies, aux célébrations. Porter l’écharpe, ce n’est pas rien : il représente la République. Il a une fonction sacerdotale. Les maires, ce sont les plus grands serviteurs de la République. Ils ont le souci permanent de l’équilibre des comptes – les élus nationaux devraient s’inspirer des élus locaux – et de la bonne entente de l’équipe municipale.”

Plus de 30 % des maires avec des signes d’épuisement

Des résultats de cette étude – “Une première en France qui n’a pas de précédent peut-être par tabou ou déni” – plutôt positifs. Est-ce pour autant de bon augure pour les prochaines élections municipales, en 2026 ? Si, près de 70 % des maires sont satisfaits de leur situation, a contrario 31,40 % d’entre-eux ne le sont pas, présentant des “signes d’épuisement”, ou burn-out. Et pour 3,48 % d’entre-eux, “en risque sévère d’épuisement”, c’est nettement plus grave et “il faut s’en occuper”.

Les femmes maires davantage touchées

L’étude pointe, par ailleurs, un “épuisement significativement plus élevé chez les femmes élues et les maires isolés”. S’agissant des femmes maires plus touchées, Olivier Torrès certifie que “c’est coutumier dans ce genre d’études, ce n’est pas propre aux mairesses. Il faut, pour une femme, malgré les progrès de la société, concilier vie professionnelle et vie publique de façon plus aiguë, avec le sentiment qu’il faut en faire davantage que les hommes, s’occuper des enfants. C’est ce que l’on appelle un stresseur de rôles…”

Syndrome de frustration

Dans le détail, l’étude s’attarde aussi sur le “syndrome dit de frustration”. “La composition de cet épuisement laisse apparaître un quinté supérieur constitué d’un sentiment de déception, de fatigue, d’impuissance, d’un mauvais sommeil et du sentiment du lassitude (j’en ai marre). La déception, la fatigue et le mauvais sommeil ainsi que le sentiment de lassitude (j’en ai marre) sont généralement la conséquence de personne très investie dans leur travail (logique de projet, bourreau de travail…) Ce sont des résultats que nous avons souvent observés dans le monde des dirigeants de PME.”

J’ai la crainte qu’une fois élus, devant les obligations de la fonction, ils se disent : si c’est ça, non je ne continue pas…”

Michel Fournier

Michel Fournier, président de l’AMRF, y voit, lui, l’opportunité de travailler la question de l’amélioration du statut de l’élu local qui doit parfois travailler “pour simplement remplir son frigo. Je n’ai pas de craintes pour les élections municipales de 2026 ; il y aura quand même des gens engagés. J’ai la crainte qu’une fois élus, devant les obligations de la fonction, ils se disent : si c’est ça, non je ne continue pas... La plupart des élus démissionnaires sont de jeunes élus : pour résister, il faut avoir le cuir tanné…”

John Billard, maire dans l’Eure-et-Loir et secrétaire général de l’AMRF, a renchéri, répondant à la question de savoir si vouloir accéder à la fonction de maire est une vocation ou une prédisposition : “Le métier s’apprend en le faisant” ; pour une autre élue, Nadine Kersaudy, “je voulais davantage être acteur qu’observateur ; pour une troisième, dont le grand-père avait été maire et le père élu, cela “coulait de source”

Maires pas consultés, dilution du pouvoir, réunions…

Avec une revendication audible qui témoigne de leur exclusion de leurs pairs moins “petits” qu’eux : “Les maires ruraux représentent 88 % du territoire. Nous ne sommes jamais interrogés sur ce qui serait bon et nécessaire pour la France, a dit Michel Fournier évoquant à peine voilé l’impasse de Macron pour trouver un Premier ministre. C’est proprement scandaleux”, a-t-il asséné, reprochant également la dilution du pouvoir des maires dans les intercommunalités trop importantes et “noyés dans de multiples réunions, sans pouvoir d’action voire même de participation à la décision. Tout cela pour nourrir un besoin toujours plus grand de métropolisation. Beaucoup de maires ne s’y retrouvent plus…”

Vers un dispositif Amarok e-santé pour les maires

À Olivier Torrès la conclusion : “Une République mature est une République qui protège ceux qui la servent”, a-t-il formulé, qui a annoncé créer un dispositif Amarok e-santé à destination des maires : une plate-forme dédiée où l’on peut répondre à des questions et se faire aider par un psy ou un coach, sur le modèle de ce qu’il a déjà mis en place pour les entrepreneurs de PME et qui fonctionne. “Nous allons présenter ce dispositif à l’AG de l’Association des maires ruraux de France et faire un test sur trois mois, qui nous amènera également des informations complémentaires. On tirera alors un premier bilan.” Il s’agira aussi pour l’Association des maires ruraux de France de “trouver l’antidote à la solitude du maire qui amplifie le risque de burn-out”.

Olivier SCHLAMA

  • (1) Parmi les facteurs de satisfaction et dans l’ordre décroissant : Heureux événement familial, réussite d’un projet ou aboutissement d’un dossier, cérémonie ou célébration, épanouissement des enfants et des petits-enfants, sa vie conjugale…
  • (2) Parmi les facteurs de stress, l’étude a relevé, dans l’ordre décroissant : complexité/lourdeur administrative, manque de temps, difficultés liées aux subventions, décès d’un proche, problème liés à un projet, problèmes judiciaires…
  • L’étude, implexe, via des questionnaires, se basant notamment sur un outil de mesure du burn-out, le BMS-10, a porté sur un panel de 1 700 maires représentatifs. 300 600 données ont été collectées. “Pour des raisons légales dite de RGPD, les maires des communes de plus de 10 000 habitants, pouvant être reconnus, soit 2,78 % de la population ont été exclus de l’étude. Mais grâce aux ajustements effectués, cet échantillon est représentatif et couvre 97,23 % de la population totale des maires”. La France est le pays où il y en a le plus : on en compte 34 893.

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