Christophe Béchu est dans les Pyrénées-Orientales pour engager chantiers immédiats et à plus long terme. Un panel de solutions dont la réutilisation des eaux usées traitées, le prolongement d’Aqua Domitia à l’étude, limitation du gaspillage. Pour faire de ce département “un modèle de l’adaptation au changement climatique”. Au passage, c’est chasse ouverte “aux nombreux forages non déclarés”. Alors que 50 communes sont sous surveillance renforcée, EELV dénonce un “manque de courage sur l’urbanisation”.
Est-ce parce que le ministre de la Transition écologique a proclamé urbi et orbi que le monde agricole aspire la majeure partie de la rare eau des Pyrénées-Orientales (83 %, a annoncé son cabinet) ? Christophe Béchu pourra leur rétorquer être favorable au cofinancement d’une étude sur l’extension de Aqua Domitia qui apporterait l’eau du Rhône jusque dans les P.-O., comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. Un projet qui nécessite 500 M€ d’investissement. Tout de même.
En tout cas, les agriculteurs avaient prévu un comité d’accueil pour la nouvelle venue de Christophe Béchu dans les Pyrénées-Orientales. Le jeu du chat et de souris se poursuivait ce matin. En attendant, l’ex-maire d’Angers vient dans le département le plus sec de France y annoncer “un plan de résilience pour l’eau” face à la sécheresse. Lui qui veut faire de Perpignan et de ce département “un démonstrateur d’adaptation au changement climatique”. Des mesures ou des mesurettes, c’est selon les points de vue. De nature, en tout cas, à amorcer la pompe.
Trouver plus de 300 millions de mètres cubes d’eau
Pour faire face à une crise de l’eau qui dure depuis deux ans, il annoncé le déblocage d’une enveloppe de 10 M€ apportée par l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée. Auxquels s’ajoutent le Fonds hydraulique agricole. Mais aussi d’Aqua prêts apportés, eux, par la Banque des Territoires pour “des investissements structurels”. Ces projets structurels pour répondre à un défi : trouver les plus de 300 millions de mètres cubes d’eau qui sont prélevés chaque année pour les besoins de ce département (chiffres de 2021) dont 80 % sont issus de la nappe du Roussillon.
Le plan du ministère est à plusieurs entrées. Il s’agit d’abord “de mieux connaître la ressource et ses prélèvements”. Car, il y a “de nombreux forages qui ne sont pas déclarés”. Le ministère, qui a identifié “13 points noirs”, 13 communes dont le réseaux laisse fuir plus de 50 % de l’eau, a donc pris la décision de placer “des compteurs et de faire appel à la généralisation des télérelevés pour savoir si les prélèvements ne sont pas au-dessus de ce qui est autorisé”, a précisé le ministre. Sinon, “on suscitera la guerre de l’eau que l’on veut justement éviter”.
Réutilisation des eaux usées
À l’horizon 2030, cette stratégie s’article autour de plusieurs axes. Aux côtés de tous les acteurs du territoire, l’Etat a décidé de cofinancer sept projets à lancer sans tarder. Des projets qui font consensus, trois de réutilisation des eaux usées et quatre de “création ou optimisation d’infrastructures d’adduction”.
Stations d’Argelès, Saint-Cyprien et de Canet
Au bord de la Méditerranée, à Canet, le ministre a expliqué que la “réut” n’est pas la panacée mais “qu’il y ait un peu moins d’eau dans la Méditerranée dont le niveau monte sous l’effet du réchauffement climatique”, ce n’est pas grave, en substance. “La réutilisation des eaux usées traitées, la France en fait dix fois moins que l’Italie et vingt fois moins que l’Espagne”. On y trouve ainsi la possibilité de réutiliser l’eau de la station d’épuration d’Argelès pour de l’irrigation agricole qui rejette deux millions de mètres cubes d’eau traitée par an dans la Méditerranée. Il faudra donc améliorer la qualité de l’eau en sortie et créer un réseau de transfert sur 14 km pour arroser 583 hectares d’arboriculture et viticulture.
Même philosophie pour la station d’épuration de Saint-Cyprien qui rejette, elle, 2,1 millions de mètres cubes par an dans le canal d’Elne qui débouche dans le port maritime ; une eau qui ira ensuite servir des usages techniques : arrosage de golf, aires de lavage de bateaux, voiries… Et aussi vers des terres agricoles. Troisième station d’épuration, celle de Canet qui rejette, elle, ses eaux traitées (1,6 million) dans l’embouchure du fleuve La Têt. cette eau-là alimenterait jardins potagers, espaces verst… Et au moins 200 hectares de vignes.
Solutions plus techniques
Parallèlement, Christophe Béchu envisage la mise en place d’un réseau d’irrigation sur les 50 km de l’aval du barrage de l’Aggly jusqu’en plaine de Salanque. Plus technique est le projet de remplacer des bornes su réseau du canal de Corbère qui prélève la ressource dans La Têt pour alimenter trois stations de pompage pour 1 100 hectares d’arboriculture. Le ministère veut aussi améliorer le canal de Perpignan qui, sur 30 km, achemine de l’eau de La Têt et alimente 3 000 ha de terres agricoles. Un canal qui est vieux, du XIVe siècle, qu’il est nécessaire de rénover. Comme il est nécessaire et urgent, selon Christophe Béchu, “de réformer la gouvernance : il existe deux cents société de gestion de l’eau dans ce département (…) Une gestion isolée est un facteur de fragilité”.
Il y a urgence : sur les 226 communes de ce département, 50 sont sous surveillance renforcée, avec un risque pour l’approvisionnement en eau potable. 35 000 habitants – 7,3 % de la population totale des P.-O. – sont directement concernés. Sur ces 50 communes particulièrement vulnérables, 12 (9 000 habitants) sont en rupture totale ou partielle en eau potable. Et plus de la moitié d’entre elles ont des réseaux d’acheminement fuyard perdant un litre sur trois).
Ce plan appellera des extensions. Car il faudra bien davantage que ce plan somme toute assez dérisoire pour lutter durablement contre le manque d’eau et une mortelle sécheresse.
Hermeline Malherbe : “Nous attendons maintenant des preuves de ces engagements”
De son côté, Hermeline Malherbe, présidente du département a réagi : “Dix M€ est-ce suffisant ? Non ! Mais c’est une première étape essentielle. Je ne peux que saluer les premières annonces, car le ministre a repris les propositions partagées du territoire et portées au premier chef par le département des Pyrénées-Orientales. Nous attendons maintenant des preuves de ces engagements. Je salue la nomination de Madame Eau, Christine Espert. La réalisation de ces projets sont concrets, puisque nous les portons, les financements le sont moins ! (…) La réponse n’est pas seulement française mais européenne ! La sécheresse s’installe durablement dans le bassin méditerranéen : l’Espagne, Chypre, Malte, l’Italie, la Roumanie, la Grèce …”
David Berrué (EELV) : “Voeux pieux de monsieur Béchu”
Pour David Berrué, d’EELV du département, ce ne sont que des “voeux pieux de monsieur Béchu”. Il explique : “Face à la sécheresse, la rénovation des canaux d’irrigation et des réseaux d’adduction d’eau est justifiée. Tout comme la réutilisation des eaux de stations d’épuration. Pour le reste, le plan d’action présenté ce mercredi par le ministre de la Transition écologique manque sa cible.”
Prolonger l’Aqua Domitia, ce tuyau qui achemine l’eau du Rhône jusqu’à l’Aude ? “C’est cher, répond-il. Et c’est vain : le débit du Rhône va baisser d’au moins 10 % à 15 %, dans les prochaines années. Les prélèvements y seront moins possibles, notamment en raison des risques de remontées salines dans son delta.”
Manque de courage sur l’urbanisation
Le point noir, selon EELV : “Le manque de courage sur l’urbanisation. S’il a évoqué les 35 000 habitants confrontés à des difficultés d’approvisionnement en eau potable, pas un mot sur les quelque 35 000 logements prévus par le Scot de la Plaine du Roussillon et qui ne peuvent qu’aggraver la pression sur la ressource. La neutralisation de cette déferlante immobilière à venir est un levier pourtant immédiatement disponible. L’artificialisation des sols accélère l’écoulement de l’eau vers l’aval, là où il faudrait au contraire freiner son ruissellement : elle doit être stoppée.”
Retenir l’eau dans les sols
“Car s’adapter au régime climatique qui s’annonce en Pays catalan impose de retenir l’eau lorsqu’elle tombe. Non pas tant dans des retenues, où l’eau stagne et s’évapore, mais dans les sols. En y remettant de la matière organique, pour qu’ils fassent éponge. En favorisant les couverts végétaux, en particulier dans les vignes. En aidant au choix de cultures moins gourmandes en eau, ce qui implique probablement la sortie de l’arboriculture intensive.
C’est à des pratiques agricoles adaptées que l’argent public doit bénéficier. En soutien aux paysannes et paysans, aux “services” qu’ils rendent à l’environnement et qui ne sont pas aujourd’hui rémunérés à leur juste valeur. Ainsi pourrons-nous faire face durablement à la nouvelle donne climatique.”
Olivier SCHLAMA
🚨NDLR 👉 J’ai bien réfléchi avant de publier cet article. J’ai finalement opté pour l’écrire. Il n’y a pas de raison que vous ne profitiez pas quand même du peu d’information (communication, plutôt). Jadis, les journalistes auraient posé leur stylo. Aujourd’hui ils s’évertuent à poser des questions dans une boucle WhatsApp du ministère restée désespérément sans réponse…
– Même si le « brief » du cabinet de Christophe Béchu s’est foutu de la gueule de plusieurs dizaines de journalistes en refusant de repondre à leurs questions.
– même si SEULES les TV ont obtenu des reponses larges et floues comme leurs images
– Même si ce « plan » est au mieux une amorce de ce qu’il faudrait faire mais en nettement plus grand
– même si c’est du greenwaching gouvernemental
– Même si le ministre n’a meme pas répondu à notre demande d’ITW.
– même si tt ça n’est pas à la hauteur de l’enjeu…
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