Sécheresse : Réutiliser les eaux usées traitées oui, mais “ce n’est pas une solution magique”

Le 14 décembre 2019; le champion olympique Alain Bernard inaugurait le bassin olympique nordique Laurent-Vidal, du nom de ce champion de triathlon mort trop tôt à Sète. Photo : Olivier SCHLAMA

Pas moins de 419 projets – dont celui éminent de Montpellier – sont en cours dans l’Hexagone, surtout dans le Midi, sur le millier souhaités par Macron d’ici 2027 pour diminuer les prélèvements de 10 %. En forte hausse depuis la sécheresse de 2022. Selon une mission-flash de spécialistes, “coûteuse économiquement et au niveau environnemental”, la “réut” ne peut faire partie que d’un “bouquet” de solutions. Dont les piscines, au fort potentiel “mobilisable“.

C’est ce que l’on appelle une “mission flash” (1). Face à la sécheresse et au changement climatique, une idée-force fait surface : la réutilisation (la “Réut”, dans le jargon) des eaux usées traitées. eh bien, tout ce que le pays compte de sérieux spécialistes est arrivé à la conclusion suivante : réutiliser les eaux usées est une solution mais n’est pas La solution. Elle fait partie d’un “bouquet” d’alternatives.

“Diminution en 2 100 de 40 % à 60 % des débits des rivières du sud de la Loire”

La sécheresse va s’accentuer, les tensions et les conflits d’usage aussi. “Les tensions vont s’accroître avec le dérèglement climatique, ainsi les projections hydro-climatiques d’explore montrent une diminution en 2 100 de 40 % à 60 % des débits des rivières du sud de la Loire (selon le scénario le plus pessimiste). En 2019, le niveau des prélèvements s’établit à 32,8 milliards de mètres-cube (Mdm3) dont la majorité revient au milieu naturel. Sur les 4,1 Mdm3 d’eau douce consommée et ne revenant pas directement au milieu naturel, les usages agricoles représentent 58 % devant la production d’eau potable (26%), le refroidissement des centrales électriques (12 %) et les usages industriels (12 %)”, explique le rapport.

Plan Eau lancé par Macron en mars

C’est dans ce contexte que le président de la République avait annoncé le 30 mars 2023 un Plan eau qui vise à engager les évolutions nécessaires pour garantir la satisfaction des besoins prioritaires en eau tout en prenant en compte les besoins des milieux naturels. “Le Plan eau présente la reut comme une mesure qui permettrait de réduire les prélèvements actuels contribuant, aux côtés d’autres mesures, à l’atteinte de son objectif de diminuer les prélèvements de 10 % en 2030.

“Le travail d’enquête réalisé par la mission montre que la France a initié un nombre de projets comparable à ses voisins italiens et espagnols, souvent mis en avant.
Le plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau (Plan eau), lancé par le président de la République le 30 mars 2023, affirme une volonté de “massifier” le recours à ces eaux, avec une cible de développement de 1 000 projets de réutilisation sur le territoire d’ici 2027″, rappelle le rapport.

“Ce n’est une eau ni nouvelle ni gratuite

Cet objectif, ambitieux, “ne paraît pas hors d’atteinte”. La mission a en effet inventorié 419 projets de réutilisation d’eaux usées traitées (REUT) répartis sur l’ensemble du territoire national ; parmi eux, 136 projets sont mis en service. En outre, une trentaine de projets (donnée non exhaustive) ont été identifiés, représentant des volumes importants. Une dynamique est donc à l’œuvre, qu’il est possible d’accompagner et d’amplifier. “Cependant, les ENC ne sont pas une solution magique aux problèmes tendanciels de manque d’eau et doivent trouver leur juste place au sein du bouquet de solutions d’adaptation au changement climatique”, est-il affirmé.

Il y a d’abord le fait que la “reut est coûteuse” d’un point de vue économique et également environnemental : elle nécessite de l’énergie et des additifs chimiques. “Ce n’est une eau ni nouvelle ni gratuite.” Ajoutant que le rejet des stations d’épuration “peut contribuer de manière significative au soutien d’étiage des cours d’eau” (…) Lorsqu’un système d’assainissement n’est pas conforme à la directive eaux résiduaires urbaines, la Reut doit être exclue et tous les territoires et contextes ne se prêtent donc pas à la Reut et certains usages peuvent s’y prêter mieux que d’autres au regard d’une analyse coûts bénéfices-risques”.

Des eaux “en particulier les eaux de piscines, d’exhaure et de géothermie” devraient être davantage valorisées

Piscine, Balnéa Hautes-Pyrénées. Photo : Olivier SCHLAMA

Et de prendre des exemples : “Les usages urbains des collectivités tels que l’hydrocurage des réseaux d’assainissement, le lavage des bennes et des véhicules de service de propreté semblent particulièrement adaptés”, ça, oui. Plusieurs expérimentations portant sur la reut pour le lavage de voiries et l’arrosage d’espaces verts “viennent d’être autorisées” et permettront de disposer de données supplémentaires sur la pertinence des triplets eaux-usages-modalités d’emploi. La mission a également identifié des ENC qui devraient être davantage valorisées, “en particulier les eaux de piscines, d’exhaure et de géothermie”.

“Faciliter le travail des services, en mettant rapidement à leur disposition les instructions, notamment sanitaires”

Afin d’accélérer le déploiement des projets, dont le nombre est en forte augmentation depuis la sécheresse de 2022, la mission suggère en particulier de “faciliter le travail des services, en mettant rapidement à leur disposition les instructions, notamment sanitaires, dont ils ont besoin pour traiter les demandes non couvertes par la réglementation actuelle, en veillant à ne pas laisser d’usage orphelin, sur la base d’une capitalisation des expérimentations en cours, d’une actualisation des avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire alimentaire, de l’environnement et du travail (ANSES) et de propositions du Haut conseil de la santé publique (HCSP)”.

La mission suggère, aussi, pour faciliter l’acceptabilité sociale des projets et limiter la conflictualité autour des usages, d’associer les usagers très en amont et de leur délivrer une information de qualité sur la ressource en eau et les enjeux liés à sa mobilisation.

Olivier SCHLAMA

(1) Par lettre de mission datée du 20 avril 2023, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, la ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des professions de santé et la secrétaire d’État à l’Écologie ont confié une mission dite flash portant sur la facilitation du recours aux eaux non conventionnelles (ENC) à l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), au Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) et à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS).

Projet Life ReWa de Montpellier

Suite à un appel à projet européen RecycledWater for Life (LIFE20 ENV/FR/000192) : comment limiter les prélèvements d’eau douce naturelle grâce à l’utilisation d’eau recyclée multi-usage ? Le projet ReWa (2022-2026) a été retenu et vise à utiliser 175 000 m3/an d’EUT de qualités adaptées pour répondre à différents usages, en “démontrant la faisabilité technique, l’acceptabilité sociale, la disponibilité des usages et la soutenabilité économique de la réutilisation des eaux usées de l’Hérault”.

Lattes, Fabrègues, Baillargues, Saint Drézéry et Saint Georges d’Orques

La mise en œuvre est déployée dans cinq STEU du territoire : Lattes, Fabrègues, Baillargues, Saint Drézéry et Saint Georges d’Orques. Les différents usages ciblés sont l’utilisation urbaine (nettoyage des réseaux d’eaux usées, des réseaux d’eaux pluviales, des voiries avec balayeuses motorisées, fourniture d’eau pour la défense contre l’incendie, irrigation d’espaces verts urbains), l’utilisation agricole (irrigation agricole par goutte-à-goutte, de vignes ou de cultures productrices de biomasse énergie) et l’utilisation industrielle (besoin en eau industrielle sur la STEU). Ce projet fait suite à une expérimentation entre 2018 et 2021, ayant permis de fournir des références sanitaires et d’établir des protocoles de suivi.

Piscines : fort potentiel mobilisable

Il existe un fort potentiel d’économie d’eau et de réutilisation ou recyclage d’ENC au niveau des piscines d’eau douce collectives. Le travail de synthèse réalisé dans le cadre du groupe technique national “favoriser le recours aux ENC”, décrit précisément ce potentiel.

La France compte 4 135 piscines et 6 412 bassins publics de natation en 2017. Divers types d’eaux sont générés (pédiluve : une dizaine de m3/j, vidange des bassins plusieurs centaines de m3/an, vidange de bassins à remous ou spa, quelques m3/j ou semaine, eaux de renouvellement 30 à 200 l/j/baigneur ; eaux de lavage des filtres jusqu’à 30 à 50 m3/lavage d’une à trois fois par semaine).

Les types d’ENC produits par les piscines sont multiples, de qualités diverses (les eaux de vidanges et de renouvellement, qui représentent les plus gros volumes, et qui sont les plus faiblement chargées et de qualité de baignade) et pour des volumes et fréquences très variables de production.

De nombreuses piscines collectives pratiquent, sans le valoriser, le recyclage des eaux de lavage de filtre

La magnifique piscine de Saint-Lary, dans les Hautes-Pyrénées, en 2020. Photo : Olivier SCHLAMA

Les usages de ces eaux de piscines répertoriés au travers de neuf exemples sont d’ordre : domestique ou tertiaire (alimentation des sanitaires par l’eau issue des pédiluves), urbain (lavage de bennes à ordure ou de trottoirs par les eaux de vidange de bassins), industriel (recyclage des eaux de lavage de filtres) et arrosage (qui nécessite un stockage ou un traitement par charbon actif pour ne pas risquer une dégradation du sol ou un stockage à l’air libre pour la déchloration).

De nombreuses piscines collectives pratiquent également couramment, sans le valoriser, le recyclage des eaux de lavage de filtre. Ainsi, dans les Pyrénées-Orientales, l’arrêté du 9 mars 2023, autorise le remplissage des piscines collectives à condition qu’elles respectent des bonnes pratiques édictées par l’ARS. Elles visent notamment à supprimer la vidange obligatoire annuelle, à réaliser les lavages de filtres en fonction des indicateurs de colmatage ou à alimenter les pédiluves de manière discontinue. Cela a fait passer la consommation d’eau pour chaque bassin de 57 l/baigneur/j à 20.

Les données de surveillance de ces expérimentations mériteraient d’être centralisées au niveau national

La plupart des usages ne sont pas réglementés, mais toutefois pratiqués à titre expérimental et deux ont fait l’objet d’arrêtés préfectoraux répertoriés, c’est le cas à Aubervilliers en 2021 avec une utilisation pour des sanitaires, et d’un établissement Center parc en 2022 avec une utilisation pour des sanitaires, le lavage des sols, et l’arrosage.

Les risques de réutilisation de ces ENC sont bien identifiés, en particulier ceux induits par la présence d’agents biologiques dans les eaux de lavage de filtres ou ceux liés à la concentration en chlore, trois à dix fois supérieure à celle de l’eau de ville, dans les eaux de vidange de bassin. Ces risques et les traitements qu’ils impliquent sont bien documentés.

Les données de surveillance de ces expérimentations mériteraient d’être capitalisées et centralisées au niveau national afin d’alimenter une expertise de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) sur les risques sanitaires de ces usages, et un arrêté ministériel spécifique indiquant les types d’ENC produits par les piscines et leurs utilisations possibles.

Pas de définition des eaux non conventionnelles…

“Il n’existe pas à ce jour de définition des eaux non conventionnelles.” Selon les conclusions du groupe technique national “favoriser le recours aux eaux non conventionnelles, les eaux non conventionnelles correspondent aux types d’eaux autres que celles issues directement d’un prélèvement direct dans la ressource naturelle et faisant éventuellement l’objet d’un traitement approprié par rapport à l’usage”.

“Le groupe technique national propose une matrice type d’eau-usages et cite à titre d’exemples les EUT, les eaux de pluie récupérées en aval des toitures, les eaux pluviales de voirie, les eaux d’origine domestique autres que les eaux vannes, encore appelées “eaux grises”, les eaux de piscine, les eaux industrielles de process, et les eaux d’exhaure.”

Le terme-même “conventionnel” est subjectif puisqu’il se réfère à la notion de convention qui sera propre à chaque secteur consommant de l’eau.
Le projet de décret codifiant les dispositions relatives aux usages et aux conditions de REUT et des eaux de pluie et modifiant l’article R211-23 du code de l’environnement propose la définition suivante : “Constituent des eaux non conventionnelles toutes les eaux impropres à la consommation humaine”. Selon cette définition, les eaux brutes de surface (fleuves et rivières) ou souterraines (nappes), seraient des ENC. Ce qui revient à dire que des prélèvements en rivière ou en nappe pourraient se voir désormais soumis aux règles applicables aux ENC.

Deux exemples, Israël et l’Espagne

Des pays sont plus avancés en matière de réutilisation des eaux usées traitées “mais leurs modèles hydrologique, économique et social ne sont pas comparables. Aucun pays ne recourt de façon généralisée aux ENC, à l’exception de la récupération des eaux de pluie dans l’habitat au Japon en lien avec le risque sismique ou d’Israël avec l’utilisation des Eut pour l’irrigation agricole. Si on se focalise sur la REUT, 60 pays qui y recourent actuellement se caractérisent par un déficit hydrique majeur (pays arides ou marqués par un contexte insulaire), souligne le rapport. Pour chacun d’entre eux, l’usage majoritaire est l’irrigation agricole.

Bassins d’infiltration d’eau usée traitée pour la recharge artificielle de la région de Dan (Tel Aviv, Israël). Ph.© Albatross / Mekorot

Pour l’usage de production d’eau potable, peut être citée la Namibie, qui traite 35 % de ses eaux usées pour réalimenter les retenues d’eau potable de sa capitale Windhoek (une des trois seules REUT au monde avec une valorisation directe en production d’eau potable). Israël a pour sa part, abandonné pour des raisons techniques, cet usage de la REUT après l’émergence de maladies virales.
La REUT s’accompagne aussi d’un examen des matières premières (phosphore et azote) et de biogaz que représentent les eaux usées, et du revenu potentiel (et une amélioration des technologies épuratoires) qui peut en être tiré. Par exemple, la ville d’Osaka produit chaque année 6 500 tonnes de carburant solide à partir de 43 000 tonnes de boues d’épuration, le Japon visant la production de 30 % de son énergie à partir des eaux usées d’ici 2024.