Géochimiste au CNRS en poste à l’Institut géophysique du Globe, à Paris, Vanni Aloisi a coordonné une étude européenne passionnante révélant que Mare Nostrum a frôlé l’assèchement total à l’époque du Miocène. Cela se reproduira mais pas avant longtemps, quand le détroit de Gibraltar, sous la poussée des plaques tectoniques, se fermera à tout jamais.
Les canicules marines sont de plus en plus inquiétantes avec une modification des courants générant une mauvaise oxygénation des fonds permettant la vie, un trop-plein d’énergie qui y est massivement stocké… Avec le réchauffement climatique, la Méditerranée, mère de toute civilisation, va-t-elle s’assécher comme cette mer semi-fermée l’a été il y a plus de cinq millions d’années à l’ère du Miocène, au climat plus chaud qu’aujourd’hui ? Pas tout de suite. Pas avant… quelques millions d’années…! Mais, certitude, cela va arriver.
La singularité de la Méditerranée vient de la fermeture d’un grand océan originel, la Tétis
Les mêmes causes produiront-elles un jour les mêmes effets ? Géochimiste au CNRS en poste à l’Institut géophysique du Globe, à Paris, Vanni Aloisi a coordonné une étude européenne, Salt Giant sur la crise de la salinité messiniène en Méditerranée entre 5,97 millions d’années et 5,33 millions d’années. C’est précis. Il y eut même deux phases : pendant 35 000 ans, la Méditerranée était encore branchée sur l’Atlantique via le détroit de Gibraltar ; puis entre 5,97 millions d’années et 5,6 millions d’années, ce fut l’isolement total. Ce qui a fait l’objet d’une publication scientifique dans Nature Geoscience.
La singularité de la Méditerranée vient de la fermeture d’un grand océan originel, la Tétis, distribué de l’équateur d’est en ouest, et qui a commencé à se fermer à l’ouest – à cause du rapprochement des plaques tectoniques d’Afrique et Eurasienne – il y a quelques dizaines de millions d’années. La Méditerranée, connectée à l’Atlantique via Gibraltar, telle que nous la connaissons à environ 15 millions d’années. La Méditerranée est un vestige de cet océan originel qui est à l’origine de toute la chaîne de montagnes alpino-himalayennes. La Méditerranée, c’est le dernier bout de Tétis.
La Méditerranée avait perdu 70 % de son volume d’eau !
Il y a donc environ six millions d’années, la Méditerranée a perdu, en 10 000 ans, 70 % de son volume d’eau ; c’est considérable. Perdant entre 1,7 km et 2,1 km à l’est de la Sicile. En contournant la plaine abyssale algérienne de 3 000 mètres , un être vivant – les hommes n’existaient pas – a pu traverser ce désert de sel ! Au point que rongeurs et lapins ont pu coloniser certaines îles méditerranéennes, depuis l’Espagne et les îles Baléares et peut-être entre l’Afrique et l’Europe. Pourquoi la Méditerranée ne s’est-elle pas totalement asséchée il y a plus de cinq millions d’années ? Il dit : “Quand le niveau marin de la Méditerranée baisse, la surface de la masse d’eau qui s’évapore diminue, et on atteint un équilibre hydrologique avec l’apport riverain. Du coup c’est impossible de vider la Méditerranée complètement par évaporation…”
FIGURE 4 FINAL_frenchComment a-t-on pu prouver cet assèchement ? “En Méditerranée, sous 500 mètres de sédiments, il y a une couche de sel de deux kilomètres d’épaisseur. Cette couche s’est déposée lors de cette crise de salinité. On a étudié les échantillons effectués lors de forages pétroliers il y a une quinzaine d’années. Dans le chlorure de sodium, il y a différents isotopes, notamment deux, l’un avec une masse de 37, le second de 35. On a mesuré leurs rapports d’abondance. Pourquoi ? Quand on passe de la phase d’eau de mer à celle de cristaux, le chlore 37 entre préférentiellement dans les cristaux. C’est un indicateur de vitesse. Après, si on fermait Gibraltar et que le sel se formait quand le niveau marin baissait, pour des questions complexes de masse et d’hydrologie, la vitesse augmente sensiblement et donc c’est ce que l’on a vu avec cette technique.”
La plaque africaine et la plaque européenne sont en train de se rapprocher. Et la Méditerranée, à terme, d’ici quelques millions d’années, va disparaître…”
Mais d’où vient ce sel des océans ? “Il est apporté par les rivières qui en contiennent mais beaucoup moins que les mers et les océans et qui érodent chimiquement les montagnes. Le volume d’eau dans l’océan est constant. Et pourquoi la salinité de l’océan n’augmente-t-elle pas à l’infini ? Parce que d’autres processus enlèvent du sel dont la formation de ces dépôts géants de sel”, explicite Vanni Aloisi.
Cet assèchement de la Méditerranée va-t-il se reproduire ? “Ça dépend dans quelle échelle de temps nous nous situons, répond Vanni Aloisi. Sur les deux mille prochaines années, le temps d’une civilisation, non. Pourquoi ? Parce que le rôle fondamental du détroit de Gibraltar va continuer son oeuvre en alimentant massivement la Méditerranée en eau, même s’il se produit une évaporation massive due au réchauffement climatique et même si l’apport des fleuves côtiers diminuent. Mais, ajoute-t-il, à l’échelle géologique, mouvements tectoniques aidant, cela va se produire. La plaque africaine et la plaque européenne sont en train de se rapprocher. Et la Méditerranée, à terme, d’ici quelques millions d’années, va disparaître…”
Olivier SCHLAMA
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