Algues, crabes bleus invasifs… : La Méditerranée en surchauffe

Les herbiers de Posidonies. Photo : Renaud Dupuy de la Grandrive.

Deux photographes héraultais, Mathieu Foulquié et Renaud Dupuy de la Grandrive, par ailleurs directeur de l’aire marine protégée d’Agde, exposent 30 photos grand format au Congrès mondial de la nature à Marseille. L’expo fait la part belle aux habitats et espèces invasives. Les herbiers de Posidonies sont au coeur des débats de ce Congrès qui se tient tous les quatre ans.

C’est une expo pour sensibiliser à l’urgence face au réchauffement climatique. Au Congrès mondial de la nature qui se tient à Marseille sous l’égide de l’ONG internationale UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), la nécessité de mieux protéger et gérer durablement les mieux marins en France a été rappelée par le président Macron mais aussi par de nombreuses institutions, réseaux et ONG françaises.

10 % d’aires marines protégées en 2030

Cystoseires, à la Roquille. Photo : Renaud Dupuy de la Grandrive. Une espèce indigène de Méditerranée.

“L’objectif est plus particulièrement d’atteindre 5 % de zones de protection fortes des aires marines protégées de Méditerranée en 2027, et 10 % en 2030. Au niveau méditerranéen ce sont 30 % de zones marines protégées qui sont visées à l’horizon 2030”, réexplique Renaud Dupuy de la Grandrive, directeur de l’Aire marine protégée d’Agde. Ce naturaliste héraultais est allé porter la bonne parole à travers des images dont la beauté n’a d’égal que l’urgence qu’elle représente.

Hot spot du réchauffement climatique

Les photographies sous-marines et terrestres de Mathieu Foulquié et Renaud Dupuy de la Grandrive racontent la grande richesse de la biodiversité marine de la Méditerranée, que ce soit des habitats marins ou des espèces de faune et de flore, mais aussi leur fragilité, notamment vis-à-vis des espèces exotiques, et invasives, l’un des fléaux mondiaux en matière d’environnement. Le tout, à cause du réchauffement climatique, en sachant que la Méditerranée est un hot spot de cet emballement. (1)

“Sur 1 200 espèces connues, environ 500 sont considérées comme exotiques et envahissantes”

Caulerpa Cylindracea. Photo : Renaud Dupuy de la Grandrive. Une espèce invasive.

Les deux excellents photographes ont posé 30 panneaux grand format permettent de parcourir plusieurs aires marines protégées des rivages de mare nostrum, y compris ceux de pays aujourd’hui impossibles d’accès aujourd’hui tels la Libye et l’Algérie mais aussi des rivages plus familiers de Méditerranée française, au Cap d’Agde, Frontignan, Marseille ou la Corse.

L’exposition rend visible jusqu’au 10 septembre à Marseille de somptueux clichés sur les habitats méditerranéens et sur les espèces exotiques et invasives qui comment à pulluler. “Sur 1 200 espèces connues, environ 500 sont considérées comme exotiques et envahissantes”, confie Renaud Dupuy de la Grandrive. Ce sont surtout des espèces de flore et de végétation. Le naturaliste évoque le fameux crabe bleudoté d’une force destructrice sans pareille. Les algues filamenteuses ou encore la caulerpa cylindracea.

Certaines espèces s’adaptent, d’autres non et certaines autres encore déboulent de la Mer rouge via le canal de Suez pour venir vivre en Méditerranée”

Renaud Dupuy de la Grandrive

“Notre message ? Le changement climatique est bel et bien à l’oeuvre.” Mais difficile de le faire entendre aux touristes comme aux autochtones : “C’est comme la différence entre climat et météo. Le premier se mesure sur une échelle de temps longue…” Et à cette échelle de temps (1), pas de place au doute. “Certaines espèces s’adaptent, d’autres non et certaines autres encore déboulent de la Mer rouge via le canal de Suez pour venir vivre en Méditerranée. Avec une inquiétude majeure : que l’une de ces algues ou plante exogènes connaissent un bloom, faute de prédateurs, et concurrencent par exemple nos herbiers de Posidonies”, une question essentielle qui vient d’être abordée au Congrès mondial de la nature. “Lors du congrès l’accent a été mis sur leur protection”, souligne Renaud Dupuy de la Grandrive.

Habitats, nurseries et puits à carbone !

En raison d’une augmentation de la température, des algues filamenteuses peuvent venir recouvrir certaines espèces comme la gorgone orange. Côte agathoise. Photo : Mathieu Fouquié.

“Ces herbiers ont une importance fondamentale : ils servent d’habitats pour les poissons mais ce sont aussi de nurseries, où naissent les juvéniles de nombreuses d’espèces ; c’est aussi un poumon vert qui limitent les gaz à effet de serre ; ils filtrent l’eau la rendant plus pure et enfin ils servent, c’est peu connu, d’atténuateur de houle, ce qui est important vu l’érosion marine qui est elle aussi à l’oeuvre.”

Ce n’est pas tout. “Les posidionies sont aussi des puits à carbone. C’est pour cela qu’il faut même faire en sorte que leur surface augmente. Leur importance commence à être analyser, y compris de façon purement économique. En Libye, les champs de Posidonies sont immenses ; d’où l’intérêt de protéger ces trésors pour les générations futures”

Agde : bouées d’amarrage, nurseries et récifs artificiels

Coralligène d’Agde. Photo : Mathieu Foulquié.

A titre d’exemple, le directeur de l’aire marine protégée d’Agde (6 152 hectares), rappelle que celle-ci vient de se doter de “mouillages écolos : les bateaux ne peuvent plus y jeter l’ancre mais sont obligés de s’amarrer à une bouée. Il en existe 44 comme ça. Pour éviter de racler les fonds.”

C’est la dernière aire possible avant l’aire marine du Roc de Brescou, au large, sur 310 hectares où là aucune activité n’est possible sur ou sous l’eau. Une réserve “intégrale” où vit cet herbier de Posidonies. Agde a aussi décidé, entre autres avec bonheur, de plonger des cages-nurseries à poissons dans le port et des récifs artificiels ont été immergés et fixés au fond. De son côté, l’Etat a interdit depuis deux ans le mouillage des bateaux de plus de 24 mètres dans ces aires marines protégées. Un premier geste qui en appellera sans doute d’autres.

Si à Agde (1,5 million de vacanciers par an, 15 millions de nuitées), au pays du tourisme de masse, on peut sensibiliser les millions d’adeptes de la Méditerranée à sa protection, y compris parce que cette zone abrite encore de jolis trésors de biodiversité, tout n’est pas perdu dans la lutte contre le changement climatique.

Olivier SCHLAMA

(1) Le premier rapport global sur « Les risques liés aux changements climatiques dans la région Méditerranée a été rendu public jeudi 10 octobre 2019, à Barcelone (Espagne). Ce document souligne que, sur les vingt villes du monde qui vont le plus subir l’élévation du niveau des océans d’ici à 2050, plus de la moitié se trouvent autour de la Méditerranée. Car cette mer devient plus chaude de 0,4 °C par décennie depuis 1985 et s’élève de plus en plus vite, de 3 millimètres par an en moyenne depuis vingt ans.
Renaud Dupuy de la Grandrive et le prince Albert de Monaco. DR.
Avec les pays qui la bordent, cette partie du monde se classe parmi les « hot spots » – les points les plus touchés de la planète – des évolutions climatiques en cours. Elle s’est réchauffée de 1,5 °C depuis l’ère préindustrielle, 20 % plus rapidement que la moyenne mondiale. D’ici à 2040, la région devrait connaître une température plus élevée de 2,2 °C par rapport à la fin du XIXe siècle, et même de 3,8 °C d’ici à 2100 par endroits si de sérieuses mesures d’atténuation ne sont pas engagées.

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