Méditerranée : La biodiversité s’effondre mais on peut encore la sauver !

Zones-humides en Camargue. Photo : Jean Jalbert

La Tour du Valat, en Camargue, publie l’état des lieux le plus complet d’une biodiversité “gravement menacée”. Mais tout n’est pas perdu : le rapport évoque aussi des solutions “fondées sur la nature” que l’homme doit aider à mettre en place. D’urgence.

C’est l’état des lieux le plus exhaustif à ce jour et il fait froid dans le dos. Mais il donne aussi des raisons d’espérer. Une équipe de scientifiques coordonnés par la Tour du Valat, un institut de recherche, publie aujourd’hui Méditerranée Vivante (lire ci-dessous), un rapport détaillé sur l’évolution de la biodiversité méditerranéenne depuis 1993. La conclusion ? Sans appel : “La biodiversité de cette région d’exception est gravement menacée.” Mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens, poissons sont en chute libre. Le changement climatique y est plus rapide et l’impact des activités humaines plus fort qu’ailleurs.

Populations de vertébrés en baisse importante

Macaque de barbarie. Photo : Thomas Galewski

Plus précisément, “l’abondance [les effectifs, Ndlr] des populations de vertébrés du bassin méditerranéen a baissé de 20% entre 1993 et 2016 ; et même de 52 % dans les écosystèmes marins (pélagiques et côtiers) et de 28 % dans les écosystèmes d’eau douce (zones humides et rivières) ; parmi plus de 7 000 espèces de plantes et animaux évaluées par la Liste Rouge de l’UICN, 20 % sont en voie d’extinction en Méditerranée notamment dans les écosystèmes terrestres et d’eau douce.” (1)

Des espèces déclinent davantage que celle en croissance

Et heureusement qu’il y eut des quotas de pêche imposés, comme pour le thon rouge ; la création d’aires marines protégées, etc. “Sans cela, la situation aurait été pire. Ce que nous montrons c’est une tendance moyenne. de toutes les espèces. Dans tout cela, il y a des espèces qui voient leurs effectifs remonter, fort heureusement. Mais celles qui déclinent, elles déclinent davantage que les espèces en croissance. C’est le gros souci : on perd en équilibre.”

Lynx ibérique, faucon pèlerin, thon rouge, pélican dalmate

Thomas Galewski. Ph. : Adrien Jailloux

Le rapport cite quelques exemples positifs. Comme le lynx ibérique, le faucon pèlerin, le pélican dalmate, le thon rouge – après une bagarre et des négociations internationales depuis des décennies, etc.

“Les aires marines sont insuffisantes dans le bassin méditerranéen et l’une des propositions est d’augmenter le nombre de ces aires pour atteindre 30 % de la Méditerranée protégée. Mais on n’en est pas là”, souligne Thomas Galewski, de la Tour du Valat, qui a coordonné ces travaux.

Le rapport évoque des solutions “fondées sur la nature”. Il s’agit de quoi ? “C’est l’idée que l’on puisse se servir de l’environnement pour répondre à ces défis des changements globaux qui pèsent sur l’humanité. En l’occurence, par exemple, il s’agit de protéger les écosystèmes présents et fonctionnels et restaurer ceux qui ont été dégradés. Cela va permettre de répondre à la baisse de biodiversité mais aussi au changement climatique.”

Redonner de la place à la nature

Zone humide Prespa. Ph. Jean Jalbert

Le scientifique souligne : “Par exemple : quand on restaure une zone humide, elle rend ensuite de nombreux services. Particulièrement utiles quand le réchauffement va s’accélérer. Avec des pluies plus rares, des sécheresses plus longues et graves, des périodes avec des pluies catastrophiques. L’élévation du niveau de la mer avec des relocalisation de populations envisagées. Et là les zones humides peuvent servir de solution. Elles peuvent jouer un rôle d’éponge en stockant l’eau en trop pendant une période, des inondations par exemple, et limiter crues et dégâts, par ailleurs et restaurer cette eau lors de sécheresse dans les cours d’eau ou les nappes.”

Il poursuit : “Quand on restaure une lagune ou des étangs et qu’on les laisse fonctionnels pour qu’ils évoluent naturellement, de façon dynamique, sans détruire un cordon dunaire par exemple, cela fait un rempart qui amortit l’érosion côtière et l’avancée de la mer. C’est ce que fait la Tour du Valat en Camargue avec les anciens salins de Giraud. La philosophie, c’est redonner la place à la nature, en misant d’abord sur elle plutôt que sur des infrastructures en dur, même s’il en fait pour protéger les biens.”

Surpêche, barrages, pratiques agricoles…

L’érosion gagne du terrain, comme ici à Frontignan, cet hiver. Ph. Olivier SCHLAMA

Les raisons de cet effondrement de la biodiversité sont connues. Le réchauffement climatique plus intense qu’ailleurs en Méditerranée considérée comme un hot spot avec une baisse des précipitations et élévation du niveau de la mer alors qu’une grande partie des population vit sur les côtes ; la surpêche (y compris les prises accessoires), la prolifération de barrages sur les cours d’eau, le prélèvement excessif des ressources en eau et l’intensification des pratiques agricoles. “C’est un drame humain et environnement. Car lorsque l’homme est “stressé” sur ses ressources, il va davantage empiéter sur celles qui vont aux écosystèmes” et accentue le déséquilibre. Si on ne fait rien, les prédictions seront pires…”

“Il y a matière à espérer. Les préoccupations environnementales sont très présentes dans la société…

Lynx Pardelle. Ph. Pierre Mallet

Le scientifique le dit : “Il y a matière à espérer. Les préoccupations environnementales sont très présentes dans la société. Ces alertes scientifiques sont régulières et anciennes. C’est davantage la prise de conscience qui s’est faite jour. Je suis optimiste mais il ne faut pas que nous soyons aussi lents à restaurer un équilibre. Pas 40 ans de plus ; là, ce sera trop tard. Certes, je ne crois pas à l’effondrement de l’espèce humaine dans les 200 ans à venir. En revanche, on peut passer par des périodes très compliquées. Avec de la souffrance et des conflits. Il faut anticiper le plus possible…”

Et Thomas Galewski de conclure : “Pour établir cet état des lieux, nous avons fait une compilation de la littérature scientifique existante, complétée de travaux de chercheurs non encore publiés et de ma propre base de dix ans de données. C’est un vrai travail d’enquête, fastidieux. On connaît la situation depuis longtemps, depuis le sommet de Rio, il y a 30 ans, mais nous ne l’avions pas mesuré, dit-il. Les pouvoirs publics font des choses pour améliorer la situation mais peut-être sans actionner les bons leviers ; on met des pansements plutôt que d’agir sur les causes profondes…”

Olivier SCHLAMA

  • (1) “Notre équipe de scientifiques coordonnée par la Tour du Valat a mené des recherches approfondies sur les études publiées ces 30 dernières années, rassemblant les suivis d’abondance de plus de 80 000 populations animales, appartenant à 775 espèces de vertébrés (oiseaux, poissons, mammifères, reptiles et amphibiens), soit 26 % de toutes les espèces de ces groupes taxonomiques présentes dans le point chaud de biodiversité méditerranéen », indique Thomas Galewski. Les espèces de vertébrés ont été ciblées car leurs populations sont bien mieux suivies que celles d’invertébrés (insectes, araignées, mollusques…) ou de plantes. Néanmoins, les listes rouges des espèces menacées démontrent que ces dernières sont aussi dans un mauvais état de conservation en Méditerranée. Le volume de données recueillies permet ainsi de calculer l’indice d’abondance représentatif de la biodiversité dans la région et de suivre son évolution depuis l’entrée en vigueur de la Convention sur la diversité biologique en 1993.
Living_Mediterranean_report_Tour-du-Valat-2021-BD

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