Portrait : Biologiste et illustratrice, Emma Rozis veut marier art et science

Emma Rozis. Photos : Olivier SCHLAMA

La jeune Sétoise, 25 ans, cherche à mettre en place des ateliers originaux de découverte de la lagune de Thau mêlant arts et sciences. Et, parallèlement, développe une activité d’illustratrice d’ouvrages de sciences marines.

Énergique, prolixe, passionnée, Emma Rozis, 25 ans, prononce souvent, en entamant une phrase, le mot “idéal“. Il est rare que la jeune femme abandonne son sourire. Dans “l’idéal“, la jeune Sétoise aimerait bâtir sa voie ; s’en excuserait presque. Sa démarche est originale en même temps qu’elle sert l’intérêt public : marier l’art et la science pour transmettre des valeurs. C’est ce qu’elle a commencé à faire. En animant des ateliers ; en étant accueillie dans un incubateur à projets innovants, le 1er mars. En se formant à la BGE. En tapant dans l’oeil de responsables de l’Agglo de Sète ; en illustrant un livre, Fonds marins de France et de Méditerranée, publié en 2022, avec un talent certain… De quoi se donner toutes les chances et insuffler du sens à ses actions.

Valoriser la trace des enfants-artistes dans des ateliers

Atelier planton. Ph. E. Rozis

L’idéal“, ce serait pour Emma Rozis, d’être d’une part médiatrice scientifique mêlant l’artistique, d’autre part illustratrice pour des ouvrages scientifiques. D’animer d’une part des ateliers – qu’elle a déjà testés dans le passé auprès d’un public de scolaires notamment via l’association Les Petits débrouillards – et, pour cela, il lui reste à créer une association ad hoc – dans le réseau des médiathèques ; tiers-lieux ; lieux vivant de la ville – sait-on que le plancton végétal marin mondial fabrique davantage d’oxygène que la forêt amazonienne ! ? – Mais pas de façon ex cathedra. Plutôt à hauteur d’enfants pour eux et avec eux. Pour qu’ils incarnent naturellement la prise de conscience d’une génération sur le déclin de la biodiversité et donc de l’homme. Pas d’une façon décliniste mais positive…

Recueil de fables sur les espèces marines de la lagune de Thau et de Méditerranée

Ph. O.SC.

… Pas comme le font tous les médiateurs scientifiques, non. En faisant aussi participer ces cerveaux en croissance, les mains dans l’art ; en leur faisant réaliser dessins, collages, etc., en rapport avec le thème abordé. “Pour valoriser leur trace”, dit-elle joliment ; pour que leur production, ingénue et vraie, soit au centre d’expos, cafés et autres lieux vivants de la ville ; “qu’ils en parlent avec leurs mots” et que les adultes, eux, n’aient pas peur, en même temps de la science.

Et qu’au lieu d’y être “réfractaires” ils en comprennent les linéaments. “Et même qu’ils touchent même les microscopes !”, s’enhardit la jeune femme qui a aussi en parallèle plein d’idées de projets d’illustration – pour lesquels elle doit créer une micro-entreprise. Avec la station de biologie marine de Sète, par exemple. Emma Rozis participe, d’ailleurs, en ce moment à l’illustration d’un “recueil de fables sur les espèces marines de la lagune de Thau et de Méditerranée avec Jean-Charles Walter, chercheur au CNRS, à Montpellier, qui à ses heures écrit de la poésie. La première de ces fables sera sur les phyto et zooplanton”…

“J’aimerais créer un kamishibaï, sorte de théâtre ambulant, d’origine japonaise”

Ph E.R.

Dans ce contexte, elle se propose également d’illustrer des documents scientifiques et halieutiques de référence. Pour les rendre plus digestes et accessibles. Dans le cadre de ses futurs ateliers peut-être mais, en premier lieu, de sorte qu’il soit lié à la fable marine, “j’aimerais, dit-elle, arriver à créer un kamishibaï”, sorte de théâtre ambulant, d’origine japonaise – où, traditionnellement, des conteurs livrent leurs histoires en faisant défiler des séries d’images dans un butaï (théâtre en bois). Selon les historiens, le Kamishibaï daterait du XIIe siècle. “Ce serait une façon d’agrandir les illustrations pour les montrer lors de la lecture de la fable marine ; que ça ne soit pas juste un livre ajouté sur le marché sans parler du contenu. Ce serait un outil pour faire vivre les fables dans Sète et alentours”, confie-t-elle encore.

“Je suis une passionnée du “Mond’Mar”,

Bac scientifique, avec option art plastique en poche, passée au lycée Jean-Monet, Emma Rozis sort ensuite diplômée en biologie marine de l’université Luminy de Marseille, avec un master en sciences de la mer. “Je suis une passionnée du “Mond’Mar”, dit-elle, traduire : du monde marin. Je suis tout le temps dans l’eau ; je fais de la plongée et la mer c’est mon élément ; je suis un poisson !”, formule-t-elle depuis la rue où elle habite dans le quartier de la gare, à mi-chemin entre les rives de la Méditerranée et celles de l’étang de Thau qu’elle connaît si bien. “Je peux m’échapper pour aller vers l’une ou l’autre.”

“Sète, ville-art avec des galeries et centres de recherche”

Support pédagogique sur le plancton. Ph. E.R.

Cette passionnée de l’eau l’est, s’est-elle aperçue, beaucoup moins de celle des éprouvettes – quel que soit le génie des molécules à ausculter ! – et de la recherche, toujours en mal de postes et de financements. L’un de ses profs l’avait d’ailleurs prophétisé pour celle, qui a renoncé à une thèse, en lui conseillant de s’engager pour l’environnement, sa passion. Tu vas réussir, lui avait-il prédit, mais en proposant quelque chose qui me fait partager ma passion et où je me sentirais engagée pour l’environnement”. C’est chose faite.

Emma Rozis a choisi Sète pas seulement pour ses embruns ou l’oxygène dégagé par les blooms de plancton ni parce qu’elles revit des remugles de ses tours dans l’eau avec le voilier familial. “Sète, c’est une ville-art avec des galeries qui abritent aussi des centres de recherche”, rappelle-t-elle celle qui court, a fait du triathlon et qui était classée au tennis, une discipline qui lui a fait rencontrer son petit ami et qui œuvre, lui, dans le marketing du sport. Le marketing, c’est aussi le secteur professionnel de son frère.

“J’aimerais découvrir toutes les mers du globe…”

Guide d’identification des algues. Ph. E.R.

“L’idéal”, en attendant de trouver pleinement sa voie, elle vit de petits boulots, des aides familiales. Elle écrit tout ce qui lui arrive sur un carnet de bord. Ses rencontres. Les conseils qu’on peut lui donner… “Je suis émotive, confie-t-elle. Un jour, je suis optimiste, le lendemain, rien ne va…”

La confidence a de la valeur dans un monde où règne la suffisance. Douter, c’est déjà un bon début pour réussir. Surtout quand ses parents, son frère et son petit ami la soutiennent dans son cheminement. Inconditionnellement. Elle dit, dans son petit appartement de Sète, devant des tubes à essais ; des planches d’illustration et un tableau peint s’inspirant d’un paysage de Guadeloupe croqué à partir d’une photo : “J’aimerais découvrir toutes les mers du globe…” Et transmettre richesse et fragilité de la biodiversité marine.

“Ceux qui sont conscients et ceux qui s’en foutent…”

Sa meilleure amie, qu’elle a connue à Marseille, Valentine Watteau, professeure des écoles à Beauvais (Oise), dit d’Emma Rozis qu’elle est “solaire, bienveillante, à l’écoute et elle a toujours le sourire. C’est un moulin à paroles (rires) mais elle est toujours de bonne humeur. Je suis sa fan N° 1 ; elle défend des valeurs que je partage…”

Née à Montpellier, Emma Rozis a hérité de ses parents, Nadine Rozis-Zakhia, chercheure en agroalimentaire au Cirad, un organisme de recherche, et de Jean-François Rozis, ingénieur en énergies renouvelables, de cette inclinaison pour la science. Et de partage. Mais éduquer les gamins d’aujourd’hui, n’est-ce pas trop tard pour sauver la planète ? Les océans se détériorent ; la surpêche gagne ; tout flambe… Se sent-elle avant-gardiste ou d’arrière-garde ? “Il y a ceux qui sont conscients où va le monde et ceux qui s’en foutent qui gaspillent à l’envi…” Elle se “sent en décalage avec la partie de cette génération ; je me sens plus proche de gens plus âgés, plus conscients…” “L’idéal” serait de les convaincre…

Olivier SCHLAMA

extrait_fable_marine_en_cours_plancton

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