“Romance” au travail : Près d’un Français sur deux a déjà eu une relation amoureuse au boulot

Ph Freestocks, Unsplash

Associé à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, le cabinet spécialisé dans les relations au travail, Technologia, a eu l’idée d’enquêter sur l’amour au travail. Sa réalité et ses dérives. L’entreprise doit-elle laisser faire…? En remarquant l’effet du mouvement #Meetoo sur de possibles emprises hiérarchiques. Passionnantes réflexions lors de la semaine de la Saint-Valentin.

L’étude, inédite et passionnante du cabinet Technologia (reconnu pour son travail de fond sur la souffrance au travail) et de l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, débute par une tautologie : “Que l’on en ait un ou pas, le travail occupe une place centrale dans nos existences ; nous y passons la majorité de notre temps éveillé”. C’est un sondage sur un sujet très peu étudié, sans doute tabou, et qui concerne pourtant près de la moitié des Français ! Exactement 46 % des salariés confient en effet avoir déjà eu une relation amoureuse au boulot. Dont, fait remarquable, 80 % déclarent que cette relation amoureuse a abouti à une histoire sérieuse. Notamment entre collègues de travail directs. “Cependant, des relations plus éphémères et d’ordre plus strictement sexuel sont bien présentes, avec 17 % ayant eu une histoire purement sexuelle.”

“Le travail est un puissant incubateur émotionnel”

John Schnobrich, Unsplash

En revanche, montre encore l’étude, 40 % des répondants ont connu une rupture suite à une relation amoureuse ou sexuelle au travail. “Et, parmi ces 40 %, plus du tiers disent que leur relation au travail a eu des conséquences négatives dont 8% pour qui ces conséquences négatives ont été traumatisantes (…) Cette activité, que nous déployons au quotidien, souvent pour des raisons strictement alimentaires, peut être plus ou moins choisie ou subie. Mais le travail, c’est aussi les autres. Il y a “ce que l’on fait” et “avec qui on le fait”. En cela, le travail est un puissant incubateur émotionnel”, formulent les conclusions de l’étude. Y compris sur le chemin de la recherche éperdue de l’âme soeur.

Plutôt les jeux vidéo que les parties de jambes en l’air

L’amour, les relations sexuelles évoluent. Il y eut, par exemple, la Fin de l’amour, une enquête sur un désarroi contemporain mis en mots par la sociologue Eva Illouz, un essai marquant qui décrypte les sentiments amoureux sous la houlette du capitalisme ; on peut aussi aussi citer l’enquête très récente du 6 février dernier de l’Ifop sur ce que l’on appelle la sex récession selon laquelle les Français feraient moins l’amour ; préférant jouer… aux jeux vidéo ou s’adonner aux réseaux sociaux plutôt que de s’activer dans une partie de jambes en l’air. Et si le travail était un nouvel eldorado du plaisir partagé ?

Romance au travail

Faut-il le rappeler ici, certains pays, comme les États-Unis et l’Espagne, ont tenté de codifier par une réglementation précise et stricte les rapports entre les êtres humains afin de prévenir ces dérives. “Il nous est apparu intéressant de questionner cette zone grise pour la France. L’objectif de cette étude, menée avec le laboratoire de recherches RH de l’École de management de la Sorbonne, était de mieux appréhender cette problématique que nous appellerons “La Romance au Travail”, afin de comprendre au plus près du terrain ce qui s’y passe.” 

“La magie de l’amour s’impose durablement en milieu professionnel”

Au lieu de se pencher sur ce qui ne va pas – la souffrance au travail, il suffit d’analyser l’envol des pathologies psychiques au travail, 108 000 l’an passé pour se convaincre de cette réalité -, le cabinet Technologia s’est donc intéressé “pendant plusieurs mois à cette question passionnante de l’amour au travail. La magie de l’amour s’impose durablement en milieu professionnel (…) Le travail demeure pour nous une arène de rencontres, un espace temporel et physique où se nouent de nombreuses relations amoureuses, stables ou ponctuelles, éphémères ou durables. Ces relations peuvent parfois dériver vers des comportements inadaptés, voire illégaux. Ces comportements sont alors sources de tensions professionnelles, voire de harcèlements ou d’agressions sexuelles”.

2 528 connexions et 1 682 répondants à l’enquête

Priscilla du Preez, Unsplash

Ainsi, pendant trois mois, d’octobre à décembre 2023, 2 528 connexions à un questionnaire ont été comptabilisées, “sans toutes donner lieu à des réponses complètes. Pas moins de 1 682 répondants ont joué le jeu jusqu’au bout, principalement composés de cadres, de professions intermédiaires et d’employés. Plus d’une centaine de témoignages ont été collectés”.

Foisonnement amoureux parmi les millions de salariés et sans doute au sein des professions libérales”

“Premier constat au départ de l’étude, nous ne pensions pas être à un tel niveau. L’étude montre ainsi un véritable foisonnement amoureux parmi les millions de salariés et sans doute au sein des professions libérales.” Et de presque mettre en garde sur ce qui n’est parfois plus un passe-temps émotionnel : “(…) Il paraît évident que les relations amoureuses et sexuelles peuvent donner lieu à des tensions rejaillissant sur les collectifs de travail, en raison de ruptures qui conduisent parfois à des violences, des prostrations, des lamentations, voire des dépressions. Il n’est pas simple pour la personne qui subit une rupture de rencontrer au quotidien l’ex-âme sœur, de remuer dans la plaie constamment la douleur de l’éloignement. Souvent, la structure est mise en péril par le déchirement amoureux. Combien de dépôts de bilan ou d’arrêts d’activité sont survenus en conséquence de la rupture d’un couple ?” Même si, affirme encore l’enquête, 91 % des répondants affirment que ces relations au travail n’ont jamais posé de problèmes particuliers.

“Un effet du mouvement #MeToo”

Les auteurs de cette étude se focalisent aussi sur l’acceptabilité d’une relation amoureuse et/ou des démarches de séduction s’avère plus élevée en cas de relation extra-professionnelle (88 %), ou de consentement explicite (77 %). “Nous constatons en cela un effet du mouvement #MeToo qui a modifié sensiblement les comportements et qui incite les femmes en particulier à rejeter les relations sous “emprise hiérarchique”. Cependant, l’étude montre que les risques de dérive sont fortement appréhendés, dont on peut se douter. On peut notamment citer les rumeurs et jalousie (90 %), les problèmes d’objectivité, d’équité ou encore d’abus (80%). Au-delà le risque perçu, 22 % des femmes répondantes à ce sondage témoignent de dérives qu’elles ont vécues, contre 8 % des hommes.

Quel rôle pour l’entreprise, sur une ligne de crête…?

Pour la grande majorité des répondants, l’entreprise a un rôle à jouer au-delà des missions “naturelles” d’organisation du travail et de production de valeur ajoutée. Si 95% des répondants souhaitent une mission de protection (notamment contre le harcèlement), la majorité rejette une régulation stricte des relations intimes au travail à la mode américaine, où les relations amoureuses sont proscrites en milieu professionnel.

Les salariés disent clairement à leur hiérarchie “laissez-nous gérer nos relations intimes” ; en cela, ils rejettent la prohibition américaine. En revanche, ils souhaitent que l’entreprise soit un sanctuaire pour les émotions et qu’elle s’investisse dans une mission sociétale (60 % attendent notamment qu’elle s’investisse contre les violences conjugales).

Envisageable que les règlements intérieurs évoluent

Ph. Hunter Newton. Unsplash

En conclusion, le cabinet Technologia appuie : “Le chemin à emprunter pour les dirigeants et les acteurs de la prévention semble être délicat, entre un laisser-faire pour les personnes consentantes et une régulation des abus et dérives. L’aspiration exprimée par cette étude est de transformer le travail en un espace non seulement dédié à la tâche professionnelle, mais aussi à la sociabilité et aux émotions.”

En effet, 63 % des répondants apprécient que les émotions aient leur place dans le travail. En ce sens, il est envisageable que les règlements intérieurs évoluent. Plutôt que de transformer le lieu de travail en un espace de vie strictement réglementé, ils pourraient le concevoir comme un lieu protégé en renforçant les dispositifs de signalement, en améliorant leur identification et en instaurant une gradation des sanctions ; là où trop souvent un management non formé préfère “regarder ailleurs” parce que ce n’est “pas si grave”.”

Et de pointer : “Quand aurons-nous des assises pour les Référents harcèlement moral, harcèlement sexuel et comportements sexistes, accompagnées de chartes correspondantes ? Dont l’objectif serait d’évaluer les succès obtenus et de dresser une liste des renforcements nécessaires, que ce soit en termes de moyens ou de méthodologies.”

Olivier SCHLAMA

(1) “Le principe constitutionnel en droit français, le respect de la vie privée, interdit aux règlements intérieurs des entreprises de réguler les relations interpersonnelles. Cependant, les entreprises peuvent chercher à encadrer les relations amoureuses au sein du travail en s’assurant de l’absence de conflits d’intérêts et en régulant tout comportement inapproprié découlant de ces relations.”

À lire également sur Dis-Leur !

Souffrance au travail : Il y a encore du boulot !

Les clés pour repérer un burn-out

Étude inédite : Chez les patrons, important risque de burn-out