De Perpignan à Sète jusqu’à Nîmes et Albi : Le triste palmarès de la pauvreté en Occitanie

Dans le quartier Saint-Jacques, à Perpignan. Photo : Olivier SCHLAMA

Organisme indépendant, l’Observatoire des inégalités vient de publier son rapport sur le niveau de la pauvreté en France. Et il n’est pas bon : avec plus de 5 millions de pauvres, le pays s’est “enrichi” de 1,4 millions de concitoyens vivant avec moins de 1 000 € par mois. L’Occitanie est particulièrement touchée.

Le constat est édifiant : plus de 5,1 millions de Français vivent avec moins de 1 000 € par mois (pour une personne seule) ; soit + 1,4 million de pauvres en plus en vingt ans. Un pauvre sur deux a moins de 30 ans. De plus, “le phénomène de la pauvreté est essentiellement urbain avec pas moins de 63 % de personnes pauvres vivant sous le seuil de pauvreté habitant dans des pôles urbains, dont 21 % dans les centres-villes”, indique Anne Brunner, co-autrice du rapport de l’Observatoire des inégalités en France, une association spécialisée “indépendante“.

Un rapport qui n’aurait pas pu être effectué sans l’aide pécuniaire d’un millier de contributeurs qui ont apporté leur écot lors d’une opération de financement participatif. Et cela rejoint le fait que “la pauvreté est une préoccupation majeure des Français” : elle interpelle plus de huit Français sur dix, selon le baromètre annuel du ministère des Solidarités (2023).

“Seul rapport exhaustif jusqu’à l’échelle du quartier”

L’Île de Thau, le 26 septembre 2024, à Sète. Photos Olivier SCHLAMA

L’intérêt d’un tel rapport ? Alors que l’Insee – que les auteurs critiquent à l’envi – et d’autres organismes qui en produisent déjà beaucoup, et qu’il existe, entre autres, des commissaires à la pauvreté qui mettent de l’huile dans les rouages, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI ? “C’est le seul rapport exhaustif en la matière qui propose des chiffres jusqu’à l’échelle des quartiers”, proclame Louis Maurin. Pas sûr. Mais il a aussi un autre intérêt, ce rapport : ne restant pas insensible à un “phénomène” qui prend de l’ampleur depuis 20 ans, il a une dimension politique. A partir de combien est-on riche ? : c’était le rapport précédent publié cet été de ce même Observatoire des inégalités dont Dis-Leur vous a parlé.

Seuil de pauvreté : 1 014 € par mois

La pauvreté est une succession d’avanies. Alors que l’Occitanie compte au moins 20 % de travailleurs pauvres ; que – et c’est ce qu’a calculé le rapport – le Smic s’établit à 1 399 € par mois ; que le seuil de pauvreté, lui, est à 1 014 € mensuels ; qu’il y a 5,1 millions de pauvres en France, selon les derniers chiffres connus datant de 2021 ; qu’une personne au RSA touche 559 € par mois (un tiers ne le demande pas, faute de le savoir !), que propose cet Observatoire ? “De remettre à plat le système des minima sociaux pour vivre dignement, notamment chez les jeunes” à qui ces auteurs proposent une indemnité de 1 000 € par mois, “c’est la moitié du manque à gagner des finances publiques, 10 milliards d’euros dû à la suppression de la taxe d’habitation”, qui certains aimeraient voir revenir.

“La principale cause de la hausse de la pauvreté, c’est la dégradation de l’emploi”

Béziers. Démolition de logements sociaux à la Devèze. Ph. DDTM 34.

Ce n’est pas tout : cet observatoire propose d’assouplir les conditions d’accès au travail des étrangers. “Un simple coup de tampon des préfectures libèrerait des dizaines de milliers de places d’accueil dans les centres d’hébergement et génèrerait davantage de cotisations sociales” et renflouerait donc les caisses de l’État. Et de poursuivre : “La principale cause de la hausse de la pauvreté, c’est la dégradation de l’emploi : on a fait baisser le chômage à coup de flexibilité, de précarité et d’emplois sous payés”, créant une “précarité de masse”. Les auteurs proposent enfin une “politique du logement digne de ce nom”.

Occitanie, 5e région qui concentre le plus de pauvres

Pour se pencher sur le seul cas de l’Occitanie, la région atteint un taux de pauvreté de 17,5 %, ce qui représente quelque un million de personnes pauvres (dont plus de 220 000 rien que dans l’Hérault), ce qui la place au 5e rang national. Parmi les vingt communes où le nombre de personnes pauvres est le plus élevé, on retient Marseille  (2e au classement avec plus de 202 000 pauvres parmi ses habitants) ; Toulouse (3e, avec près de 93 000 pauvres) ; Montpellier, 6e, compte plus de 67 000 pauvres ; avec plus de 43 000 pauvres, Nîmes se situe à la 11e place et Perpignan à la 18e place avec près de 37 000 pauvres.

Attention toutefois aux comparaisons : difficile de comparer avec justesse toutes les villes qui ont un nombre d’habitants très différents parfois. Mieux vaut se rapporter à un pourcentage. Ce biais s’applique aussi à la mesure de pauvreté appliquée aux quartiers. “Si l’on prend les 16 500 personnes habitant le quartier de Pissevin-Valdegour à Nîmes, où règne un taux de pauvreté de 72 %, cela représente 12 000 personnes”, par exemple. Le quartier du Laden-Petit-Train, à Castres, c’est là un millier d’habitants à un taux de pauvreté à peine plus bas (69 %).

Perpignan, Nîmes, Sète, Béziers, Albi…

A Perpignan, le quartier Saint-Jacques, l’un des plus pauvres de France. Photo : Olivier SCHLAMA

Parmi les vingt plus pauvres (au-dessus de 63 %), une majorité sont d’Occitanie. On remarque dans ce “palmarès, sans surprise les quartiers du Bas-Vernet, Champ de Mars, et des Rois de Majorque, à Perpignan ; ceux en quartiers politique de la ville (QPV) de Nîmes (Pissevin-Valdegour, Chemin-Bas-d’Avignon) ; Ile-de-Thau, à Sète ; ceux de La Devèze, Iranget Grangette, à Béziers ; Cantepau à Albi ou Narbonne-Est ou encore Le Viguier Saint-Jacques à Carcassonne… Des cités où plus de 70 % de la population vit avec moins de 1 200 € par mois. “La quasi-majorité de ces vingt quartiers les plus pauvres se situent dans le Sud de la France, notamment dans les P.-O., le Gard, l’Hérault, le Var, le Tarn, etc., parmi les 1 362 QPV”, affirme les auteurs.

Le moins de pauvres en Occitanie ? La Lozère

À noter un cas particulier : La Lozère. C’est le département qui compte le moins de pauvres : 11 000 au total, soit 44 fois moins que le Nord où l’on dénombre le plus de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté. Logique, car la Lozère ne compte que 70 000 habitants, et parce que le taux de pauvreté n’y est pas parmi les plus élevés (16 %). “Dans ce département, la population la plus en difficulté est souvent partie chercher meilleure fortune ailleurs, notamment dans des territoires davantage pourvoyeurs d’emplois, par exemple autour de Montpellier. La Creuse est aussi un territoire peu peuplé qui ne compte que 21 000 personnes pauvres, mais le taux de pauvreté (19 %) y est bien plus élevé que la moyenne nationale.”

Olivier SCHLAMA

  • La France fait plutôt mieux que ses voisins.La France fait un peu mieux que la moyenne européenne en matière de pauvreté : 9,1 % de la population y vit sous le seuil de pauvreté fixé à 50 % du revenu médian national selon les données 2021 d’Eurostat[9]. La République tchèque a le taux le plus faible : 5,4 % de la population est pauvre. Parmi les pays européens les plus peuplés, la France et l’Allemagne (avec son taux de pauvreté de 8,5 %) font mieux que leurs voisins, l’Italie (13 %) et l’Espagne (13,7 %). Eurostat ne publie plus de données pour le Royaume-Uni, qui a quitté l’Union européenne.”

Lors d’une séparation, une famille sur cinq bascule dans la pauvreté

La séparation d’un couple affecte le niveau de vie de ses membres, en particulier du parent qui a la garde des enfants. La moitié des femmes qui sont dans ce cas connaissent une baisse d’au moins 20 % de leur niveau de vie l’année de leur séparation, selon une étude de l’Insee. Pour les pères dans cette situation, la baisse est d’au moins 10 % dans la moitié des cas.

La séparation fait passer sous le seuil de pauvreté 22 % des familles qui n’y étaient pas avant la rupture. Une autre étude, menée par l’Ined, indique qu’un enfant sur cinq – contre 4 % des enfants qui vivent avec leurs deux parents – vit dans une famille pauvre l’année de la séparation de ses parents. Il s’agit le plus souvent d’une situation transitoire. Le niveau de vie se rétablit, au moins en partie, dans les années qui suivent, en particulier lorsque le parent à la tête d’une famille monoparentale se remet en couple.

L’introuvable chiffre des bidonvilles

Combien de personnes exactement vivent dans des bidonvilles en France ? “Nous n’en savons rien. Jusqu’en 2021, la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal), rattachée au Premier ministre, publiait des états des lieux réguliers. En 2021, la Dihal c recensait plus de 20 000 personnes vivant dans un bidonville, un total sous-estimé du fait é des difficultés de mesure : certains campements (notamment de petite taille) ne sont pas comptabilisés. Depuis, silence radio ou presque. Début 2023, l’organisme a publié le chiffre de 11 000 3 personnes ressortissantes de l’Union européenne vivant dans des bidonvilles en France. On ne sait rien des autre…”

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