Le fléau de la misère progresse en Occitanie, l’une des régions les plus pauvres de France. À l’heure de l’inflation galopante, Dis-Leur ! dresse le panorama d’une situation qui n’est pas une fatalité : la moitié des pauvres font le “yoyo” : tombant et sortant régulièrement d’une situation précaire. C’est là que l’Etat comble les “trous dans la raquette” en développant des bonnes pratiques ou en permettant une meilleure approche collective comme l’explique le commissaire à la pauvreté de la région, Eric Pélisson, qui finance des projets innovants mis en oeuvre par des associations.
La pauvreté en Occitanie est une dure réalité. Selon l’Insee, le revenu médian est de 20 980 € annuels soit 880 € de moins qu’au niveau national. Et avec de fortes disparités entre les 13 département de la région qui est de 23 000 € annuels en Haute-Garonne, département le plus haut, soit 4 000 € de plus que l’Aude, département où le revenu médian est le plus faible d’Occitanie.
Occitanie : 4e région la plus défavorisée du pays
Alors que la 6e conférence régionale de prévention et de lutte contre la pauvreté en Occitanie se déroule ce mercredi 16 novembre, la région affiche toujours un taux de pauvreté élevé (16,8 %) ; c’est la 4e région la plus défavorisée du pays après la Corse, les Hauts-de-France et Paca. Un taux de pauvreté lui aussi livré à des disparités, de 8 % de la population sous le seuil de pauvreté en Lozère en passant 13 % en Haute-Garonne à 22 % dans les P.-O. Sans parler d’écarts parfois très importants dans certains quartiers : à Perpignan, certaines cités affichent un taux de pauvreté de plus de 30 %. Enfin, le PIB de la région s’établit à 169 milliards d’euros en 2020, faisant de l’Occitanie également la 4e région la plus créatrice de richesse en France.
470 000 personnes vivent avec 1 063 € ou moins
Ce n’est pas tout. Toujours selon l’Insee, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI, 20 % des travailleurs vivent sous le seuil de pauvreté. Quelque 470 000 personnes survivent avec 1 063 € par mois ou moins, qui est le seuil de pauvreté. Et pour ceux qui restent pauvres, une fois les prestations versées, si l’on ne compte que le reste à vivre (une fois tout payé), ils sont tout de même au nombre de 190 000 personnes dans la région, soit un salarié sur dix.
Comment lutter contre la pauvreté…? Surtout, comme l’a démontré l’association Action Tank Entreprise & Pauvreté, qu’il y a à ajouter une dimension supplémentaire : ce que l’on appelle à double peine pour les plus modestes (lire l’étude ci-dessous). Vaste question.
L’Occitanie dotée d’un commissaire contre la pauvreté
Chaque année depuis 2019, Eric Pelisson (arrivé, lui, en 2021), commissaire régional à la prévention et 0 la lutte contre la pauvreté auprès du préfet de la région Occitanie lance un appel à projets en vue de financer des actions expérimentales ou innovantes portées par les acteurs locaux engagés dans la lutte contre la pauvreté. Un rôle crucial comme pour les 12 autres commissaires implantés dans chaque région. “C’était une volonté du président de la République. Depuis la grande loi sur la lutte contre les exclusions de 1998, des plans pauvreté se sont succédé. Malheureusement, la pauvreté n’a pas diminué. Ceux-ci ont mis en exergue trois problèmes.”
Sans les aides, la pauvreté serait de + 7 points !
Il détaille : “Le premier problème, c’est que quand il n’y a pas de pilote pour coordonner des actions entre les acteurs dans les régions, chacun fait ce qu’il veut de son côté.” Et ce n’est pas efficace. Ensuite, qui dit manque de coordination dit absence de priorités. Ce qui est primordial. “Il faut savoir que si nous n’avions pas notre système de protection sociale (indemnités chômage, allocations familiales, les aides du gouvernement sur le fioul, le RSA…) la pauvreté en France serait supérieure de sept points ! Au lieu d’être 16,8 %, elle serait par exemple de 24 % en Occitanie…”
“La vraie pauvreté, c’est la privation des choix”
La pauvreté s’est installée durablement. “Il y a plusieurs phénomènes qui interviennent, pose à nouveau Eric Pélisson. Mais, qu’appelle-t-on pauvreté ? C’est d’abord une définition, un thermomètre monétaire commode mais qui ne dit rien de la réalité du vécu de la personne. C’est 60 % ou en dessous du revenu médian. Mais, ce n’est pas suffisant en soi. En Suisse, par exemple, quand le salaire médian est de 6 000 € ou de 8 000 €, on est peut-être pauvre en dessous de 4 000 €.”
Il explique plus avant : “Il vaut mieux parler des besoins des personnes ou de la fameuse “double peine” (ci-dessous). Si, demain, il y a une reprise économique avec une hausse des salaires, mécaniquement, les fameux 60 % représenteront davantage d’argent en valeur absolue mais ce n’est pas pour autant que la personne sera sortie de la pauvreté.” Eric Pélisson préfère mettre en avant une définition de la pauvreté, celle d’un prof d’université de Montpellier, Benoît Prévost : “La vraie pauvreté, c’est la privation des choix”, dit-il. “Quand on devient dépendant des choix des autres. Des aides – que le pauvre ne demande pas toujours, de son assistante sociale…”
Ce n’est pas que la pauvreté demeure, c’est que les gens qui sont dans cette situation font le yoyo. C’est-à-dire que quelqu’un qui reprend le travail va peut-être sortir de la pauvreté durant un an et y retomber après…”
“En fait, ajoute Eric Pélisson, ce n’est pas que la pauvreté demeure, c’est que les gens qui sont dans cette situation font le yoyo. C’est-à-dire que quelqu’un qui reprend le travail va peut-être sortir de la pauvreté durant un an et y retomber après. Selon l’Insee, une moitié des gens restent dans la pauvreté, l’autre moitié en sort et y retombe. Il y a des trajectoire de pauvreté.” Il cite aussi une alerte de la Banque de France : “Il y a trois semaines, le directeur régional m’a écrit pour me dire que le nombre de personnes qui saisissent la commission de surendettement diminue alors que le taux de pauvreté se maintient, c’est bizarre ; n’est-ce pas lié au fait que l’on manque d’assistantes sociales et qu’il y a des postes vacants ?” L’idée c’est de “penser avec les personnes, ce que demande l’ONG ATD Quart Monde, par exemple”.
Une enveloppe de 30 M€ pour l’Occitanie
En Occitanie, quand on additionne toutes les aides diverses et variées, “on atteint un montant de quelque 3 milliards d’euros versés aux gens pauvres. Mon enveloppe en tant que commissaire à la pauvreté est d’environ 30 M€ pour la région. C’est 1 % de ces 3 milliards d’euros. Mais c’est davantage quand on ajoute un effet de levier qui se fait jour dans les partenariats multiples (CAF, Pôle emploi, collectivités…), mon action représente alors entre 100 M€ et 120 M€ puisqu’à chaque fois que je mets 1 € dans un projet cofinancé par un département, par exemple, cette collectivité met aussi 1 €. Cet argent là sert à combler les trous dans la raquette.”
74 projets financés dans la région
C’est dans ce contexte que l’Etat a lancé partout en France un appel à projets dans le cadre de la stratégie de lutte contre la pauvreté : 74 projets sont ainsi financés en Occitanie. Face à une crise épidémique et aujourd’hui une crise énergétique qui pèsent lourdement sur les populations les plus précaires, les associations de lutte contre la pauvreté jouent un rôle incontournable pour subvenir aux besoins des trop nombreux foyers en difficulté. Mais n’est-ce pas un cache-misère…? “Nous avons constitué quinze groupes de travail avec des organismes et des associations, ce qui est rare. Sur la Petite enfance, par exemple, piloté par la CAF et les Apprentis d’Auteuil, il s’agit de définir des priorités non encore prises en charge par le droit commun : les 1 000 premiers jours de l’enfant et le rôle des pères ; l’importance de lieux de répit pour les mamans solo…”
“Lutter aussi contre la reproduction sociale de la pauvreté”
Ainsi donc, pas moins de 74 projets ont été retenus cette année pour un montant total de 2,373 M€ (“On n’a pas pu tout financer : nous avions pour 3,8 M€ de demandes”), dont 39 par les groupes de travail, 19 au titre de la formation des professionnels de la petite enfance et 16 autour des 1 000 premiers jours de l’enfant. “Le but n’est pas seulement de lutter contre la pauvreté mais aussi contre la reproduction sociale de cette pauvreté. C’est un investissement pour la prochaine génération dont le résultat n sera pas visible tout de suite.”
“Il ne s’agit pas pour les associations de se partager juste une somme, c’est de définir des objectifs et on retient les meilleures propositions. J’essaie de faire un seul appel à projets par an. Parce que, sinon, quand il y en a plusieurs, candidater devient une course d’obstacles pour les associations. En 2021, j’en avais lancé sept ou huit : l’hébergement des grands précaires, la mise à l’abri des femmes enceintes qui vivent dans la rue, créer des tiers-lieux alimentaires pour permettre à des personnes qui sont logées en urgence de pouvoir cuisiner, ce qu’elle ne peuvent pas faire dans des chambres d’hôtel où elles dorment, etc.”
“C’est très positif ! En 2021, on a quand même, grâce à cet appel à projets, mis 100 femmes enceintes à l’abri, alors qu’elles vivaient dans la rue…”
Pour Eric Pélisson, ces projets anti-pauvreté sont “très positifs ! En 2021, on a quand même, grâce à cet appel à projets, mis 100 femmes enceintes à l’abri, alors qu’elles vivaient dans la rue… Alors, je ne suis pas très fier qu’il y ait des femmes à la rue, mais on a réussi quelque chose.” Est-ce duplicable ailleurs ? “Ce que fait, par exemple, la déléguée des droits des femmes en Tarn-et-Garonne, par exemple, est remarquable. Ce sont des actions intégrées, qui ne concerne pas seulement qu’une mise à l’abri. C’est un projet complet et cohérent avec une approche globale qui s’appuie, entre autres sur les travailleurs sociaux dans les gendarmeries et les commissariats. C’est transposable, oui.”
Achat collectif de véhicules : une idée généralisée
Aide alimentaire, aide à la parentalité, autonomie des jeunes, mobilité… Les projets lauréats sont très divers. “Il y a un projet dont je suis fier, confie encore Eric Pélisson. L’année dernière, j’avais un budget de 6,4 M€. Et on s’est rendu compte que l’on avait beaucoup de demandes d’achats de véhicules, des voitures, des camions frigo, des camionnettes pour des permanences dans les villages. J’ai réuni les associations en leur disant que si on fait un projet commun, si on va tous ensemble trouver un prestataire commun – une association, en l’occurence – on peut avoir des réductions et je pourrais en cofinancer davantage. Et on a eu 48 % de réduction sur ces achats !”
Le commissaire à la pauvreté conclut : “On a ainsi pu acheter davantage de véhicules et ce projet a été étendu sur la France entière avec 270 voitures acquises. Des voitures qui sont, par ailleurs mutualisées entre plusieurs associations. Dans l’Ariège, par exemple, un camion d’accès aux droits est partagé entre la formation jeunesse, le Point accueil écoute jeune, la mission locale, etc. Il tourne tous les jours ! Ça leur permet d’échanger sur des situations particulières. Cela a beaucoup de vertus. La lutte contre la pauvreté c’est aussi un changement de pratique.”
Aider les gens à faire des économies
Et puis il y a dans son action ce qu’Eric Pélisson appelle “les cailloux dans la chaussure”. Il explique : “J’ai la possibilité de proposer des formations pour travailleurs sociaux sur le pouvoir agir des gens. Pour les aider à prendre des décisions, faire des choix. J’entends trop souvent l’inverse. Certes, on n’a pas le choix de tout. Mais on a toujours du choix. Dans une action que je finance, les points conseils budget. On se rend compte que les ménages se font avoir souvent. Prenez les assurances scolaires. C’est compris dans l’assurance habitation ! Et à la rentrée, on culpabilise les parents en leur faisant croire qu’il faut prendre une nouvelle assurance. Eh bien, c’est là une source d’économie. Ainsi, on peut aider les gens à faire de 40 € et parfois jusqu’à 150 €.”
Bonnes pratiques à promouvoir
Autre exemple, la protection de l’enfance où il y a une multiplicité d’intervenants pas toujours bien coordonnés. “Dans les Hautes-Pyrénées, par exemple, poursuit Eric Pélisson, cela fait 25 ans qu’une commission a été créée où travaillent ensemble le juge pour enfants, le conseil départemental, l’Education nationale, les services préfectoraux. C’est une bonne pratique que j’essaie de proposer dans les autres départements d’Occitanie.”
“Faire travailler les gens ensemble…”
Il y a aussi, ne l’oublions pas, la mobilité. “Pas moins de 52 % des gens d’Occitanie n’ont pas d’autre choix que d’avoir une voiture pour aller travailler. Mais, parmi eux, certains n’ont pas les moyens d’en avoir une ou de l’entretenir. Ce qui crée des problèmes de déplacements. On a organisé il y a un mois une journée spécifique sur la mobilité solidaire pour inviter tous les acteurs du monde du transport et de l’insertion ne se connaissent pas. On a fait venir les Clowns Sociaux, une association qui intervient pour des collectifs professionnels pour mobiliser les acteurs. Nous n’avons pas organisé un accueil café traditionnel pour éviter que les gens ne se parlent qu’entre connaissances mais, une fois passée la première séquence sur la définition de la mobilité solidaire, ils ont fait du lien entre les gens pour les faire rire et les faire in fine travailler ensemble. Cela a très bien marché !”
Olivier SCHLAMA
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La sélection opérée par le comité de pilotage représente trois volets, couvrant un large champ d’actions allant de l’accès aux biens essentiels, aux droits, en passant par la lutte contre l’isolement et le soutien à la parentalité, le soutien aux structures engagées dans la lutte contre la pauvreté, les 1 000 premiers jours de l’enfant, la formation des professionnels de la petite enfance.
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Répartition géographique des projets : 1 projet subventionné dans l’Ariège, l’Aveyron, le Gers, les Hautes Pyrénées, 2 projets dans le Lot et le Tarn-et-Garonne, 3 projets dans la Lozère, les Pyrénées-Orientales et le Tarn ; 4 projets dans d’Aude, 6 projets dans le Gard ; 14 projets dans l’Hérault, 15 projets dans la Haute-Garonne (31) ; 18 projets au niveau régional.
Olivier SCHLAMA
Quand la “double peine” appauvrit davantage les ménages
Logement, carburant, électroménager… La “double pénalité pauvreté” des foyers modestes. Les ménages les moins argentés sont touchés de plein fouet par l’inflation et subissent également les effets d’autres mécanismes qui les pénalisent une seconde fois.
Les ménages les plus pauvres achètent un certain nombre de biens dans des conditions moins favorables que pour d’autres, est-il estimé dans cette étude avec le cabinet Boston Consulting Group à la demande de la Banque postale. Phénomène insidieux touchant beaucoup de secteurs de dépenses. Les moins aisés habitent des logements de petites surfaces, dont le prix au mètre carré est plus cher, de 13 % en moyenne. Idem pour les charges (+ 13,5 %), notamment le prix du kWh de gaz proportionnellement plus élevé pour les petits consommateurs.
Passoires thermiques, voitures hors d’âge…
Comme ils n’ont pas de trésorerie, les pauvres n’achètent pas de bien de bonne qualité ; dans l’immobilier, ils prennent ce qu’il reste, parmi les logements les moins confortables (bruit, chauffage parfois en option, humidité…) aux pires emplacements, ce qui aggravent leurs problèmes de santé. Et donc les dépenses médicales. Quand ils ont une voiture, elle a des heures de “vol” et consomme davantage de carburant qu’une voiture neuve (+ 17 %, estime le think tank).
L’électroménager ? Un surcoût de 28 % pour pauvres !
L’électroménager ? Pour ces ménages pauvres elle accuse un surcoût de 28 % en moyenne à celle du reste des Français, de fait d’équipements moins performants ou de l’utilisation d’une laverie. Bref, au total, un ménage modeste subit en moyenne un surcoût annuel de 1 536 euros (+ 8,6 %), pointe l’étude. Certes, il y a les aides sociales qui peuvent le réduire, à peine, ) 96 € en moyenne. Cela peut atteindre un surcoût de plusieurs milliers d’euros. Un fait aggravant, pointé dans toutes les études : un tirs des foyers modestes ou pauvres ne font pas appel aux aides sociales auxquels ils sont éligibles, souvent par méconnaissance.
“Il n’y a pas que les passoires énergétiques ou des guettos qui comptent. Il y a aussi un phénomène de discrimination des pauvres, complète Eric Pélisson. Les gens modestes ou très modestes ne sont pas forcément bien accueillis dans les services publics ; ils n’ont pas forcément confiance, etc. Sans parler des préjugés dans l’accès à l’emploi quand certains disent que les pauvres sont des paresseux…”
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