Tests covid fantômes mais facturés, faux arrêts de travail, arnaque à la complémentaire… En 2023, la CPAM a détecté 40 M€ de fraude en Occitanie dont 9,1 M€ dans l’Hérault où, à 58 %, ce sont des particuliers qui en sont à l’origine (à peine 24 % des montants contre 76 % pour les professionnels de santé). Idem en Haute-Garonne (9,4 M€ de fraudes évitées) où 68 % des fraudes émanent de particuliers soit à peine 40 % du montant. Une infirmière y a même été condamnée à 215 000 € d’actes fictifs ! Pharmacies et centres de santé sont dans le collimateur.
Un cas d’école. Il s’agit d’un montant record de fraudes “détectées et stoppées” en 2023 par l’Assurance maladie (CPAM) de l’Hérault : plus de 9,1 M€, soit plus de 4 M€ de plus qu’en 2022 (et + 116 % depuis 2018) ! Au niveau national, le montant s’élève à presque un demi-milliard d’euros (466 M€). “L’année 2023 a été particulièrement marquée par les campagnes de contrôles et d’enquêtes ciblant les pratiques frauduleuses des audioprothésistes ou les centres de santé”, indique la CPAM.
“Plus d’un tiers des sommes recouvrées”
Record aussi dans le recouvrement : dans ces 9,1 M€, il y a à la fois, pour moitié, des sommes indues pour lesquelles la CPAM demande remboursement et des prestations frauduleuses évitées ; c’est-à-dire que si l’organisme ne les avait pas débusquées, elles auraient coûté là aussi la moitié de ces 9,1 M€. Directeur de la CPAM de l’Hérault, Philippe Trotabas explique :“Le recouvrement, on ne peut pas le calculer sur une année car il y a des délais de contestation et de recours. Mais on en est à plus d’un tiers des sommes recouvrées dans les deux ou trois ans. C’est pour cela que, stratégiquement, nous privilégions, en plus des pénalités financières, de déposer des plaintes au pénal.”
Jusqu’à trois fois le montant de la fraude
Ainsi, 159 suites contentieuses ont été engagées en 2023 par cette CPAM. Elles comprennent notamment 64 procédures pénales, en progression de 49 %, et 83 procédures de pénalités financières (+ 168 %). Ces dernières, à l’appui du renforcement de l’arsenal répressif, permis par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023, peuvent désormais atteindre trois fois le montant de la fraude.
En 2023, dans l’Hérault, 58 % des fraudes détectées étaient le fait d’assurés pour près de 24 % des montants. Inversement, plus de 23 % du préjudice financier émanaient de fraudes commises par les professionnels de santé, moins nombreuses (50 %) mais plus coûteuses. “Cette tendance se retrouve à l’échelle de l’Occitanie – où les chiffres de lutte ont aussi largement progressé avec 40 M€ de fraudes détectées, soit deux fois plus qu’en 2022 – et de la France”, note Philippe Trotabas qui ajoute : “En Occitanie, certains départements, à cause de leur population plus importantes, pèsent davantage que d’autres : la Haute-Garonne, l’Hérault, le Gard et les P.-O. Ces quatre départements représentent les deux-tiers des dépenses de santé de la région. L’Hérault représente quasiment un quart.”
“Plus de 220 000 € d’indus détectés sur les audioprothèses”
Une priorité de la CPAM”. Ce résultat très fort est dû au fait que c’est une vraie priorité pour la CPAM. On a d’ailleurs des objectifs – nous l’avons légèrement dépassé – ; nous sommes également davantage organisés suivant des campagnes nationales – on se souvient d’une campagne très forte sur les audioprothésistes – suite à la mise en place par le gouvernement d’un 100 % pour l’audioprothèse. On a donc mené des actions très fortes dans ce domaine ; et dans le département de l’Hérault, on a relevé plus de 220 000 € d’indus détectés sur les audioprothèses ; on a déposé six plaintes au pénal et on a même déconventionné un centre d’audioprothèse. C’étaient soit des facturations fictives soit des audioprothésistes qui n’avaient pas les diplômes requis. C’est l’illustration qu’une organisation nationale est efficace.”
Des moyens humains dédiés
Deuxième raison de ce “succès” : des moyens humains dédiés. Actuellement, dix-neuf salariés sont à temps plein sur la fraude : “Ce sont à la fois des profils de juristes, d’agents-enquêteurs assermentés qui vont sur le terrain, statisticiens, des médecins conseil qui vont vérifier, grâce à leur expertise, les nomenclatures, la cohérence des indications et prescriptions ; cette année, nous allons même passer à 26 personnes à temps plein sur la fraude. Depuis 2021, ces effectifs auront ainsi augmenté nos ressources de 50 %.”
Faux arrêts de travail vendus via les réseaux sociaux, fraudes à l’identité, falsification de documents authentiques, trafic de médicaments, fraudes aux RIB…”
Au niveau national, idem : des moyens techniques mais aussi humains, avec plus de 1 500 agents dédiés cette année à la lutte contre les fraudes au plan national et le recrutement de 300 nouveaux agents dévolus à cette mission pour la période jusqu’en 2027. “Face à la complexité et l’évolution constante des formes de fraudes, l’Assurance maladie place l’innovation au cœur de sa stratégie : faux arrêts de travail vendus via les réseaux sociaux, fraudes à l’identité, falsification de documents authentiques, trafic de médicaments, fraudes aux RIB…” Et, cette année, 60 cyber-enquêteurs disposant de prérogatives de police judiciaire vont rejoindre l’Assurance maladie pour des opérations d’infiltration et d’investigation dans le champ du numérique.
Échanges d’informations entre administrations
La troisième raison de ce succès, c’est que “nous nous coordonnons encore mieux aujourd’hui avec les services de police, de gendarmerie, l’Urssaf, la justice, etc. dans une instance qui s’appelle le Codaf. On s’échange des informations. Et, en tant que directeur de la CPAM de l’Hérault, je dirige la coordination régionale de la gestion du risque et de la lutte contre la fraude. Nous y partageons nos expertises ; la mise en commun d’outils de ciblage… On peut ainsi savoir l’évolution du chiffre d’affaires, de repérer des anomalies, etc. Et on dispose d’un retour d’expérience : quand une fraude est détectée dans l’un des 13 départements, on examine ce cas”.
Au pénal pour les dossiers les plus graves
Arsenal juridique. “Nous avons aussi un arsenal juridique qui se renforce année après année. Nous avons la capacité d’avoir des éléments juridiques supplémentaires. Comme par exemple les comptes bancaires et c’est très utile lorsque l’on fait un contrôle de ressource sur leurs comptes. En 2023, on a commencé à bénéficier de la hausse du plafond d’indemnités financières jusqu’à 300 % du préjudice subi, cela veut dire qu’il y a de plus en plus de pénalités qui sont plus rapides et plus faciles à recouvrer : on a notifié près de 400 000 € pour 83 pénalités (cinq fois plus qu’il y a trois ans). Même si, évidemment, pour les dossiers les plus graves nous allons au pénal.”
Faux remboursements de tests covid
Dossiers. Quels sont les plus importants dossier de fraude ? “Typiquement, les actes fictifs. C’est, par exemple, en 2023 sur les faux remboursements aux tests covid.” Directrice santé à la CPAM de l’Hérault, Noémie Bonnet-Aldigier précise le mécanisme : “C’est par exemple une pharmacie qui facture ces test à l’Assurance maladie alors qu’ils sont toujours dans leurs stocks ou qu’ils n’ont jamais eus. Ce qui intéresse les fraudeurs ce sont juste les numéros de santé. Toute la problématique, c’est d’utiliser frauduleusement soit du numéro d’un assuré social soit celui d’un professionnel de santé.” Et l’escroc qui accède aux bases de remboursement peut se faire rembourser des actes qui n’existent pas. D’où l’importance prises par des “pertes” de données en ligne et du hacking.”
Les professionnels de santé fraudent plus en valeur
La fraude concerne-t-elle autant les particuliers que les professionnels de santé ? Directrice santé à la CPAM de l’Hérault, Noémie Bonnet-Aldigier répond :“On s’occupe de tout le monde. 58 % des fraudes – droits à l’assurance maladie – en volume sont le fait d’assurés pour seulement 24 % du montant des préjudices (donc 76 % pour les professionnels de santé). On peut parler de centaines de particuliers. Ce sont souvent des gens qui demandent la C2S, la complémentaire santé solidaire qui permet d’éviter de payer une complémentaire dans le droit commun. Il remplit le formulaire et dit qu’il n’a pas de ressources pour en profiter. Lors de nos contrôles ciblés, on peut mettre ce genre de fraude en évidence, en ayant des infos d’organisme, des banques…”
“Il y a un second type de fraude : les falsifications d’ordonnances pour obtenir des médicaments ou des falsifications d’arrêts de travail pour bénéficier de remboursements d’indemnités journalières. Ces deux actions nécessitent de plus en plus une organisation structurée qui proposent sur les réseaux sociaux des kits aux assurés sociaux. Pour les ordonnances ou les faux arrêts de travail, ce sont souvent des réseaux de grande ampleur qui fournissent des kits payants, via le dark web. Pour les médicaments, c’est souvent un complément du trafic de drogue ou pour les revendre à l’étranger. Ce sont des trafics nationaux.”
60 cyber-enquêteurs dédiés aux escroqueries sur le net
Sur le trafic de médicaments, renchérit le directeur de la CPAM de l’Hérault, Philippe Trotabas, “la nouveauté, c’est qu’en 2024, l’Assurance maladie se mobilise. on va recruter France entière 60 cyber-enquêteurs ; c’est un métier nouveau ; ils auront pour mission d’infiltrer les réseaux sociaux, d’y faire des investigations… Et ils auront des prérogatives de police judiciaire.”
Il confie encore : “On a eu une grosse affaire en Occitanie. C’étaient des ordonnances falsifiées d’établissements de santé de la région parisienne. L’immense majorité des professionnels de santé sont honnêtes, il faut le rappeler. On a beaucoup travaillé avec les pharmaciens pour les sensibiliser : dès lors que l’on s’aperçoit que dans tel établissement il y a pu avoir une fausse ordonnance, on leur communique l’information pour qu’ils vérifient et parfois nous signalent des ordonnances anormales.” Ajoutant : “Il y a des liens, dans ces réseaux, avec la région Paca, entre autres ; on échangeait déjà beaucoup avec nos homologues de cette région mais il faut aller au-delà. Nous n’avions pas le droit d’infiltrer un réseau sur le net. C’est désormais possible. Ce service démarre à 60 cyber-enquêteurs qui peut-être qu’ils seront davantage à l’avenir.”
Les infirmières sur la sellette
En Haute-Garonne, Isabelle Conte, la directrice de la CPAM affiche, elle aussi, un record départemental : 9,4 M€ de fraudes évitées contre 5 M€ en 2022. Là aussi, les assurés représentent 68 % des fraudes en volume mais seulement 39 % du montant total. Les professionnels ? 15 % des infractions mais 60 % des montants frauduleux. “C’est la même tendance que dans l’Hérault et les mêmes fraudes”, confie-t-elle. Isabelle Conte pointe une différence avec l’Hérault : pas mal de professionnels de santé, notamment les infirmiers(ières) tentent en Haute-Garonne d’arnaquer le système.
Infirmière condamnée à 215 000 € de dommages et intérêts et 18 mois de prison avec sursis !
“Sur les 9,4 M€ de fraude évitées, explique-t-elle, plus de 1 M€ concerne des actes non réalisés d’infirmiers(ières), des abus de facturation, des majorations indues ; des soi-disant interventions de nuit ou les week-ends… On en a même eu une infirmière qui a été condamnée à 215 000 € de dommages et intérêts et 18 mois de prison avec sursis pour des facturations très massives d’actes non réalisés. La quasi-totalité de son activité était fictive !” Elle dit à propos des fraudes sur le net : “Le pratiques sont multiples ; cela se complexifie et cela se renouvèlent sans cesse.”
“Très attentifs aux centres de santé”
Quels sont ses sujets de vigilance accrue en Haute-Garonne de la part de la CPAM ? “Nous sommes très attentifs aux centres de santé. Certains ex-salariés ou assurés sociaux ont dénoncé des pratiques frauduleuses, des actes fictifs, soins injustifiés, etc. Il y a eu récemment dix de déconventionnés au niveau national mais aucun chez nous. On apporte une vigilance supplémentaire également en ce qui concerne les arrêts de travail. On remarque que de pauvres gens se font alpagués sur les réseaux sociaux et participent parfois d’une fraude…” Là aussi, Isabelle Conte pense que la fraude chez les assurés pourrait concerner plusieurs centaines de personnes. Face à cela, elle prône comme ses collègues, “la fermeté : on dénonce souvent au procureur de la République. Et ça fonctionne : En Haute-Garonne, 90 dossiers se sont retrouvés au pénal et 60 ont dû payer des pénalités. Avant, c’était l’inverse…”
Y a-t-il un fraudeur type ? “Il n’y en a pas et c’est cela qui la rend la lutte difficile”, répond Philippe Trotabas directeur de la CPAM de l’Hérault qui gère 1,2 millions d’assurés dans ce département et plusieurs milliers de professionnels de santé. “Ce qui fait notre force, c’est notre capacité à analyser les incohérences statistiques. Et la réactivité dès que l’on a un signalement. On se partage l’information.”
Olivier SCHLAMA
Campagnes antifraudes visant les audioprothésistes
L’année 2023 a par ailleurs été marquée par la mise en œuvre de campagnes majeures ciblant les audioprothésistes fraudeurs auprès desquels l’Assurance maladie a redoublé de fermeté. La fraude émergeante aux audioprothèses – depuis mi-2023 – fait l’objet de contrôles approfondis par la CPAM de l’Hérault, avec en 2023 un montant de 200 000 € de fraudes évitées.
300 plaintes pénales déposées en 2023
Un ensemble d’actions ont été menées en 2023 et depuis début 2024, dont l’analyse exhaustive des factures et le rejet d’une part importante d’entre elles. Ce dispositif s’intègre au plan national au contrôle en cours de plus de 160 sociétés d’audioprothèses, à la radiation d’une dizaine d’entre elles depuis 2024, et à plus de 300 plaintes pénales déposées en 2023 à l’encontre d’audioprothésistes. Enfin, dans l’Hérault, les investigations post-covid ont également continué en 2023, en lien avec la production de faux bordereaux de vacations pour tests covid par de faux étudiants en pharmacie, de même que la lutte contre le trafic de médicaments.
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