Nécropole antique : À Elne, l’énigme d’un sarcophage exceptionnel

Sarcophage nécropole d'Elne. Photo : Département des P.-O.

À l’occasion de travaux et de la “redécouverte” d’un ensemble antique rare, de la fin de l’Antiquité, d’une vingtaine de tombes, à dix kilomètres de Perpignan, les archéologues viennent de mettre au jour une pièce exceptionnelle, en calcaire. Et si c’était celle d’une personnalité impériale…?

À Elne, le sous-sol est riche. Comme son passé. C’est Camille Mistretta-Verfaillie, responsable de ce chantier au service d’archéologie du département des P.-O., qui l’affirme : “Dans les années soixante, pour la première fois, en ville basse, des égouts sont posés. C’est lors de cette opération qu’un archéologue local, Roger Grau, essaie de documenter tous les vestiges qui pouvaient y apparaître. Cette nécropole antique, très ancienne, est assez étendue, sur environ deux hectares, avec une vingtaine de tombes, sachant que nous n’avons fouillé qu’une seule rue et sous une tranchée de 1,5 mètre de large. C’est sans doute plus vaste : la nécropole est dans tout le quartier, sous les maisons, etc. Ces tombes sont construites de manière très diverses ; ce sont pour certains des caveaux maçonnés ; des tombes sous tuiles romaines… Un sarcophage en plomb et même un sarcophage en calcaire dur.” 

“La nécropole est dans tout le quartier…”

Ph. Conseil départemental des P.-O.

De nombreuses sépultures, enfouies entre 1,50 mètre et 3,15 mètre de profondeur, ont été identifiées, dont des sarcophages en marbre et en calcaire, des sépultures en bâtière de tuiles et des tombes d’enfants en amphore. La période concernée est celle de la fin de l’Antiquité, du IVe, Ve et VIe siècle après JC. Et c’est dans le cadre de la “rénovation” de ces mêmes égouts, lancée en mars 2021, que les archéologues reviennent explorer ce chantier. Ces travaux sont conduits par la Communauté de communes Albères Côte Vermeille Illibéris et les entreprises Sol et Sade.

Une découverte lors de la pose des égouts…

C’est une “redécouverte”. Car, on le sait, la ville d’Elne est occupée de manière continue depuis près de trois millénaires. Pourtant, indique Camille Mistretta-Verfaillie, “nos connaissances sur la ville basse sont minces car la trame urbaine serrée offre peu de possibilités d’explorer le sous-sol. Contrairement à la ville haute d’Elne, qui est mieux documentée, la ville basse d’Elne, intra-muros, n’a fait l’objet que de peu d’observations archéologiques et les fouilles y sont rares. On doit une grande partie de nos connaissances aux observations réalisées donc par Roger Grau lors de l’installation du réseau d’assainissement, dans les années 1960”.

“Un intérêt important pédagogique et muséographique”

Les sarcophages ne sont pas des objets très courants en France. “Ça reste une sépulture luxueuse, exceptionnelle, rien que par le coût de la matière première et de la mise en oeuvre. La nécropole dans sa globalité est assez belle, précise la responsable du chantier. L’ensemble a un intérêt important pédagogique et muséographique. Car la plupart du temps, il est très difficile de restituer des tombes au public : ce ne sont que des trous dans la terre. Là, le sarcophage a l’avantage d’être un objet lui-même. Il va pouvoir être rendu visible.”

Avec la détermination du sexe, de l’âge au décès pour voir quels types de populations étaient enterrée là…”

Camille Mistretta-Verfaillie
Sarcophage nécropole d’Elne. Photo : Département des P.-O.

Exceptionnel, le sarcophage en calcaire (on ne sait pas d’où il peut provenir !), encore scellé par son couvercle en pierre, vient d’être donc mis au jour. Il se trouve à 3,20 mètres de profondeur, au croisement des rues Mazagran et Desaix. Intact, il a été extrait pour être ouvert et étudié. C’était une opération hors norme.

Et le chantier ne fait que commencer : “On n’a pas trouvé beaucoup d’objets ; juste un vase pour l’instant, précise Camille Mistretta-Verfaillie. On va étudier les ossements pour tenter de connaître l’identité des défunts. Avec la détermination du sexe, de l’âge au décès pour voir quels types de populations étaient enterrée là. Sur leurs états sanitaires. Souffraient-elle de pathologies ? Ces habitants portaient-ils sur leur squelette la marque d’activité répétée….? Était-elle accessible, cette nécropole, à tous ou à une certaine partie de la population ? On détermine aussi les pratiques funéraires : comment on a construit les tombes ; comment on y a déposé les corps avec quels gestes d‘inhumation…”

“Un habitat antique important avec des constructions luxueuses”

En creux, tous ces éléments nous apprennent à comprendre comment était occupée la ville basse à l’époque qui s’étire de la fin de l’époque romaine au milieu de l’époque mérovingienne, période mouvementée où la région passe successivement entre les mains des Romains, des Wisigoths, des Arabes puis des Francs… “Habitat et tombes n’étaient pas mêlés. Cela nous apprend aussi comment était l’habitat avant ces tombes.” Par exemple, l’existence de pièces chauffées.L’archéologue complète : “On trouve ce genre de pièces soit dans les thermes soit dans les domus, ces maisons de l’époque très richement dotées, avec du chauffage par le sol. À cet endroit-là, cela nous dit qu’il y avait un habitat antique sûrement assez important avec des constructions luxueuses.”

Ce sarcophage avait une fonction mémorielle et symbolique très forte pour les gens qui voulaient se faire enterrer au plus près de lui”

Sarcophage nécropole d’Elne. Photo : Département des P.-O.

Avant de nuancer son propos : “Après, relativise Camille Mistretta-Verfaillie, il faut aussi se méfier : la richesse de la tombe n’est pas en corrélation avec la richesse de l’individu et une tombe vide d’objets n’est pas celle d’un pauvre. Les traditions funéraires évoluent avec le temps et, notamment, avec la mise en place de la chrétienté. Elles sont de plus en plus simples et c’est l’endroit où l’on est enterré qui devient le plus important. C’est là où le sarcophage prend son toute son importance : il était visible depuis la surface à l’époque où il a été utilisé et a attiré autour de lui toute une série de tombes ; ce qui montre qu’il avait une fonction mémorielle et symbolique très forte pour les gens qui voulaient se faire enterrer au plus près de ce sarcophage. “

Ce sarcophage en calcaire est seulement le second à être découvert en contexte de fouilles dans le département. C’est exceptionnel”

Que nous apprennent ce sarcophage et cette occupation romaine ? “La ville basse n’a pas toujours été plate ; jadis, elle avait un relief plus accidenté avec des collines et de talwegs (creux) qui ont été artificiellement comblés par l’homme, décrypte Camille Mistretta-Verfaillie. Du coup, les vestiges antiques sont très profondément enfouis. La trame urbaine fait aussi que l’on a très peu de zones où l’on peut mener des fouilles archéologiques. La redécouverte de cette nécropole donne des informations sur les pratiques funéraires. C’est sans doute une nécropole destinée à une élite de la population : les tombes sont très soignées, avec des architectures spectaculaires ; on a eu des sarcophages en plomb, en calcaire ou en pierre. Ce dernier est seulement le second à être découvert en contexte de fouilles dans le département. C’est exceptionnel.”

Assassinat d’un empereur romain à… Elne

Sarcophage nécropole d’Elne. Photo : Département des P.-O.

Cette nécropole est a priori installée à côté d’une église funéraire. “Il s’agit probablement de l’église Saint-Pierre mentionnée dans la documentation et dont on sait qu’elle existait encore en 935 avant qu’elle ne disparaisse. La tradition associe cette église à la mention d’un lieu de culte en 350, l’une des plus anciennes mentions du sud de la Gaule, qui aurait été le théâtre de l’assassinat d’un empereur romain à Elne”, indique le service d’archéologie des P.-O.

Constant, fils de l’empereur Constantin a été renversé à Autun en 350 par l’usurpateur Magnence. Constant a fui vers l’Hispanie pour rejoindre son armée et a été rattrapé à… Elne par les hommes d’armes de Magnence. Il s’est réfugié dans une église où il a été capturé, traîné vers l’extérieur, dépouillé de ses insignes impériaux avant d’être assassiné.

Cette tombe exceptionnelle abrite-t-elle une personnalité impériale…? Cela confine à la légende, mais qui sait ? Le service archéologie du département des P.-O., qui étudie également à cette occasion “toutes les couches archéologiques de la ville basse d’Elne. Avec les niveaux d’habitats médiévaux ; les niveaux d’habitats antérieurs antiques ; l’évolution de la topographie ; la répartition des habitats…”, nous l’apprendra peut-être un jour…

La loi protège le patrimoine archéologique

En France, depuis 2001, la loi protège le patrimoine archéologique enfoui et impose que ce dernier soit étudié avant qu’il ne soit détruit pas des projets d’aménagement. La pose d’un nouveau tuyau destiné à l’évacuation des eaux usées va endommager les tombes conservées dans le sous-sol. C’est ce qui a conduit la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) Occitanie à demander le suivi archéologique de ces travaux, opération confiée au service archéologique du département des Pyrénées-Orientales.

Olivier SCHLAMA

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