Emmanuel Macron s’est rendu ce mercredi 20 juillet en Gironde sur le front des incendies “qui vont sans doute nous coûter un milliard d’euros…”, calcule François-Michel Lambert, ex-député auteur avec l’ex-député de l’Aude, Alain Pérea, d’une mission flash sur les feux. Au-delà du constat, ils proposent, entre autres, un commandement national clair et unifié ; une nouvelle loi comme celle sur les inondations et la reconquête les espaces agricoles abandonnés et des forêts en expansion.
“La guerre du climat a commencé” : c’est par ces mots tristes que l’ex-député François-Michel Lambert termine son dernier ouvrage Charbons ardents (Editions Sydney-Laurent). Cette autofiction, qui imagine un incendie aux portes de Marseille avec toutes les conditions néfastes requises, place le début d’une nouvelle ère, celle des mégafeux, à Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône, dont il fut parlementaire remarqué, précurseur, durant deux mandats. Gardanne, c’est encore de la fiction ; la Gironde, c’est déjà le cas. Les deux sont impliqués dans le même combat lié au dérèglement climatique.
“Transformations de notre modèle à la hauteur des enjeux”
Vingt-quatre départs de feu en Provence ; au moins tout autant dans le Gard mi-juin ; des températures exceptionnelles et une sécheresse historique. Du jamais-vu propice aux mégafeux, comme celui de Gironde, donc aussi, en cette actualité brûlante. François-Michel Lambert dit n’avoir “jamais cessé d’alerter sur la question de l’urgence climatique, d’anticiper sur ses conséquences et faire des propositions de véritables transformations de notre modèle pour agir à la hauteur des enjeux”. Le désormais ex-député ajoute qu’en décembre 2021, il s’était vu confier avec un autre député (Larem) l’Audois, Alain Pérea, une “mission flash” sur la prévention des incendies justement ICI.
La menace du changement climatique
Dans cette mission, dont le compte rendu date d’il y a seulement un mois, il est présenté : “Le changement climatique fait de ce sujet une menace dont nous ne prenons que peu la mesure aujourd’hui. Or, la survenue d’un mégafeu en France – comparable à ceux observés dans d’autres pays (Suède et sud de l’Europe) – constitue un risque de plus en plus crédible, comme l’a montré l’incendie de Gonfaron qui a affecté les deux-tiers de la réserve naturelle de la plaine des Maures en août 2021, et qui aurait pu devenir incontrôlable sans la mobilisation efficace de nos équipes de lutte.”
“Habitat diffus, friches, recul de la présence de l’activité humaine, faible mise en œuvre de l’obligation légale de débroussaillement…”
Et d’appeler à un sursaut national : “Aussi, au-delà de l’émotion relayée chaque été dans les médias lorsque surviennent des feux, émotion qui retombe à l’automne, une prise de conscience nationale sur l’ampleur de ce risque est indispensable. Les travaux menés par les rapporteurs dans le cadre de cette mission flash les ont conduits à s’interroger sur les limites actuelles de la politique de prévention des incendies.” Les causes sont ici rappelées : “L’habitat diffus, le développement des friches, le recul de la présence de l’activité humaine ou de lisière dans des espaces forestiers, ou encore la faible mise en œuvre de l’obligation légale de débroussaillement sont autant de facteurs de risques sur lesquels nous ne pouvons pas nous permettre de faire l’impasse.”
90 % des incendies sont d’origine humaine
Selon les deux parlementaires, “les incendies de forêt et de végétation sont un risque majeur sur tout le territoire”. Ils signalent des feux plus fréquents et plus étendus sous l’effet du dérèglement climatique. Au passage, ils font remarquer que “si le nombre d’hectares brûlés tend à diminuer – la surface incendiée sur la période 2000-2018 est deux fois inférieure à celle de la période 1980-1999 -, le changement climatique pourrait en réalité conduire à la survenue de mégafeux dévastateurs, comparables aux épisodes connus sur le pourtour méditerranéen du Portugal, en Turquie, mais aussi jusqu’en Suède (…)”
Les deux ex-députés ajoutent que “90 % des incendies sont d’origine humaine. Il s’agit principalement de causes accidentelles et d’imprudences, ayant lieu en particulier dans les lieux d’interfaces entre l’homme et la nature (aux abords d’autoroutes par exemple)”. avec des conséquences importantes. Environnementales, bien sûr mais aussi à cause de l’émission de gaz à effet de serre dans de fortes proportions.
Conséquences économiques, sanitaires et humaines
Il y a aussi des conséquences économiques par la perte de valeur et de production de bois, “l’impact sur le tourisme de la dégradation des paysages, et en raison des coûts associés à la mobilisation de moyens de lutte terrestres et aériens. Ils évoquent aussi des conséquences sanitaires et humaines avec un risque de décès chez les pompiers et les riverains ou touristes”. Les auteurs évaluent à 7,3 M€ la valeur moyenne sauvée par incendie de forêt par l’intervention des pompiers, rien que dans les Bouches-du-Rhône.
Attaque des feux naissants
Au-delà du constat, François-Michel Lambert et Alain Pérea attaquent de front le sujet de la prévention “efficace mais qui fait face à de nombreuses difficultés”. Grâce à nos moyens importants, “95 % des incendies sont ainsi éteints avant d’atteindre la superficie de cinq hectares grâce à une stratégie d’attaque des feux naissants, qui s’appuie notamment sur le quadrillage des comités communaux de feux de forêt (CCFF) jusqu’au guet aérien armé (GAAR) et sur une anticipation opérationnelle en lien avec Météo France.” Et cette politique efficace est également reconnue hors de nos frontières. “L’Entente de Valabre à Gardanne (13), visitée par les rapporteurs, constitue une référence à travers toute l’Europe et au-delà en matière de formation à la lutte contre les incendies de forêt.”
Absence de coordination nationale efficace
Mais ils déplorent une absence de coordination des messages de prévention pour le grand public. “Il manque une coordination nationale efficace. Il faut nommer une délégué interministériel, une sorte de super préfet, un commandant en chef. Imaginez : on a des feux que l’on imaginait pas dans le Jura ; en Bretagne ! Dans le Gard, il y a dix jours, on s’alarmait avec 1 700 hectares partis en fumée… Il faut coordonner la défense”, insiste François-Michel Lambert.
Dix avions, douze Canadairs, sept Dash, deux hélicoptères
Car les moyens sont colossaux : l’Hexagone dispose, pour faire face à cette 45e vague de chaleur en France depuis 1947, de l’une des flottes les mieux dotées avec des 10 avions bombardiers d’eau, 12 Canadairs, sept Dash et deux hélicoptères bombardiers d’eau. Mais aussi, fait notable, une flotte de trois Trash, capables de larguer 3 000 litres d’eau, que le département de l’Hérault loue, stationnent sur un “pélicandrome” aménagé à l’aéroport de Agde-Béziers, aux frais de la collectivité. Sans oublier la présence de la Sécurité civile à l’aéroport de Nîmes-Garons.
Des moyens qui restent néanmoins en flux tendus sachant que le mégafeu de Gironde mobilise la moitié de ces moyens. “L’information ne passe pas”, appuie François-Michel Lambert. Il prend l’exemple récent du 14 juillet où un feu a ainsi détruit 1 000 hectares entre Tarascon et Avignon, déclenché par les étincelles produites lors d’un freinage d’un train. L’ex-député insiste : “D’un côté, certains connaissaient l’état de sécheresse extrême de ce secteur et d’autres savaient qu’un train comme celui-là pouvait faire des étincelles et le risque que cela représente. Si on avait eu un commandement commun avec un drone, etc., on aurait pu éteindre sans doute les première flammèches…”
L’information aux populations sur les gestes et les comportements à risques est primordiale…”
Dans leur mission flash, les deux ex-parlementaires décryptent : “Neuf départs de feux sur dix sont d’origine humaine, aux interfaces entre l’urbanisation, l’artificialisation et les espaces naturels. L’information de la population sur les gestes et les comportements à risque est primordiale. Or, il n’existe pas de coordination en la matière, les messages restent distanciés du grand public (campagnes radios ou d’affichage) au risque de ne pas convaincre. Les moyens alloués aux actions de communication sont aussi très modestes, ainsi l’Entente de Valabre dispose d’un budget annuel de moins de 100 000 euros pour couvrir plusieurs dizaines de départements. Pourtant “la valeur du sauvé” (coûts évités) justifie amplement des moyens financiers en faveur de campagnes d’information adaptées aux nouveaux risques (feux de forêts mais aussi d’espaces naturels) et coordonnées.”
Débroussailler coûte plus cher que le PV de 135 €…
Ce n’est pas tout. Les deux auteurs de cette mission insiste aussi sur l’obligation légale de débroussaillement : une mesure essentielle trop peu mise en œuvre qui joue un rôle fondamental en matière de prévention des incendies (…) “Nous ne pouvons pas nous contenter d’un taux d’application de 30 %, voire 50 % dans les meilleurs cas.” Pourquoi ? Débroussailler coûte plus cher que le PV de 135 € que l’on risque mais aussi par “l’absence de sanction par les assurances (qui acceptent de couvrir quasi systématiquement les coûts”. Enfin, “les maires manquent de moyens juridiques et d’outils pour définir les régimes de responsabilité dans ce système de superpositions d’obligations complexes”.
La France doit se doter d’une loi comme pour les inondations
Ce n’est pas tout. “À moyen et long terme, il faut que la France se dote d’une loi comme pour les inondations : une Gémapi avec un “i” de plus pour les incendies.” Avec des moyens, y compris coercitifs : “Il a fallu attendre le drame des 30 morts à la Faute-sur-Mer, en Vendée, lors de la tempête Xynthia le 28 février 2010 pour décider de détruire dans cette zone 674 maisons et les propriétaires indemnisés… Avec cette future loi, on pourrait là aussi interdire ou faire détruire des maisons…”
Favoriser l’implantation de petits agriculteurs, des bergers…
Enfin, troisième priorité, “on nous bassine avec le local eh bien, là c’est une occasion en or : sur le long terme, il faut faire en sorte que l’on retrouve des petits agriculteurs, des bergers et que l’on noue des relations fortes avec les chasseurs. Attention, pas les bouchers, mais ceux qui chassent à la glu par exemple, qui attrapent dix oiseaux par an et sont présents dix mois sur douze dans nos forêts et qui savent les entretenir. Il faut aussi de la sylviculture”. Et d’ajouter : “Le coût des incendies en France va sans doute nous coûter un milliard d’euros…”, calcule François-Michel Lambert. “Tout ça parce que l’on n’a pas voulu subventionner l’installation de bergers ; aider à la sylviculture… Maintenant, on le paie au prix fort…”
La déprise agricole et les forêts progressent
Car, en effet, comme l’ex-député le montre dans son rapport, “l’augmentation du volume de combustible et l’extension de la déprise agricole. Contrairement aux idées reçues, la forêt progresse de près de 2 % par an. Dans le même temps, l’IGN a mis en évidence une nette augmentation du volume de bois mort, et donc de la quantité de combustible potentiel.
De nombreuses essences subissent des dépérissements chroniques, sous l’effet conjugué du stress hydrique, de températures excessives et du développement d’agents pathogènes ravageurs. Face à ces risques accrus sous l’effet du changement climatique, la gestion des forêts devient un véritable enjeu…” Enfin, écrit-il, “la politique de prévention des feux ne peut plus se limiter aux seules forêts, le risque dépassant désormais le champ d’application du code forestier. On observe ainsi de plus en plus de feux de cultures, de chaumes et de zones pastorales”.
François-Michel Lambert pointe également notre capacité “à sensibiliser le grand public dès le plus jeune âge. “Cette sensibilisation relève de la commune : elle peut être effectuée à la fois par les élus, les gardes champêtres et les agents de police municipale, mais aussi par les bénévoles des comités communaux feux de forêts (CCFF) en zone méditerranéenne ou par des représentants des propriétaires forestiers regroupés en association syndicale autorisée (ASA) dans le Sud-Ouest…”
Olivier SCHLAMA
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