Après avoir rencontré 4 000 personnes dans 34 communes, recueilli des milliers de témoignages, organisé 131 événements et ateliers, la Commission du débat public vient de publier son compte rendu. “L’un des arguments forts, c’est l’exigence très forte d’information du public pour attendre les enseignements des fermes pilote” qui… n’existent pas encore. L’Etat et RTE ont jusqu’au 31 mars pour fournir “des réponses précises et argumentées“. Et dire s’ils poursuivent ou non le projet de 50 machines géantes en Méditerranée.
Avoir d’abord toutes les cartes en main avant de décider de planter des éoliennes géantes en Méditerranée. Quand on les interroge, les habitants des villes littorales d’Occitanie se disent sensibles à la question environnementale ; ils se sont d’ailleurs pas opposés par principe aux éoliennes en mer – inédit dans une Méditerranée fragile – , même quand on leur dit qu’elles feront 270 mètres de haut. Mais ils ne veulent pas que cela se fasse dans un moment ressenti comme de la précipitation. En tout cas, pas avant d’avoir toutes les informations en main. Scientifiques, environnementales, écologiques, économiques. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Une façon de demander le report du projet.
“Demandé avec insistance de revenir au calendrier initial”
“Il a été demandé avec insistance de revenir au calendrier initialement prévu par l’État, à savoir construire d’abord les fermes pilotes et mener les programmes de recherche scientifique ad hoc, pour prendre la meilleure décision à l’issue de ces travaux.” Si les ports et les régions ont exprimé leur engagement, les participants se sont interrogés sur ses implications possibles sur la fiscalité, les emplois, le paysage ou le tourisme. “La façon dont le projet prend part et modifie la vie du territoire devra faire l’objet de nouvelles discussions si le projet est amené à se poursuivre”, est-il encore indiqué dans le compte rendu de la CNDP.
Plus loin, au-delà des canyons…?
Bien sûr, il y a toujours les mêmes interrogations et défiance qui s’expriment dans ce genre d’exercice : quelle pertinence a ce projet ? Doit-on le réaliser plus loin, au-delà des canyons profonds pour ne pas avoir ces horreurs esthétiques sous les yeux ? Ou au contraire près pour avoir en permanence l’idée de notre consommation parfois vertigineuse ? Il y a aussi le coût, très élevé ; l’intermittence, le recyclage. Mais également, et c’est nouveau, la notion de sobriété : si on est économe en énergie, ces éoliennes seront-elles utiles ? Il y a aussi les questions sur les hypothétiques retombées économiques, la dépendance à de grands groupes multinationaux. Et encore : une préoccupation palpable envers la protection de la biodiversité. “Le débat ne se conclut pas par un rejet des éoliennes flottantes en Méditerranée. Au contraire, de nombreux participants se disent prêts à les envisager, parfois avec enthousiasme, mais souvent sous certaines conditions”.
Des éoliennes, oui, mais sous certaines conditions
Les habitants proposent de les éloigner au maximum de la côte, éventuellement au-delà des canyons, “en maîtrisant les coûts pour le contribuable et le consommateur, en limitant leur taille et donc leur visibilité, en ouvrant le capital à une participation financière des citoyens, ou encore en exigeant l’accord préalable des pêcheurs, etc.” Il est encore écrit dans le compte rendu : “Deux conditions ont émergé plus fortement dans ce débat : la première est de connaître l’objectif global de production. Ouvrir le Golfe du Lion à l’éolien est une décision de long terme dont le public souhaite pouvoir mesurer l’ampleur. La seconde condition est la protection de la biodiversité, dans une Méditerranée déjà fortement fragilisée. Sur ce point, on a entendu un refus de compromis, que ce soit au nom du climat ou au nom de la construction d’une filière industrielle nationale.”
Attendre les fermes pilote qui… n’existent pas encore
Singulier, émerge, par-dessus tout, dans ce compte rendu ICI“un argument phare, c’est l’exigence très forte d’information du public pour attendre les enseignements des fermes pilote”, mis en exergue dans le compte rendu de la Commission particulière du débat public (CPDP), une commission indépendante. Nombreux sont ceux qui pensent indispensable d’avoir, avant de prendre toute décision, un retour d’expérience des fermes pilotes avant de lancer la production industrielle. Même s’il y a aussi ceux, sans doute moins nombreux, que le temps que les éoliennes voient le jour, on aura reçu les enseignements de ces fermes pilotes… Qui n’existent pas encore… Les habitants veulent aussi connaître la position de l’État sur le long terme. Sur le coup d’après. Là encore, zéro explication.
Une “filière qui peut créer beaucoup d’emplois”
Matthieu Laurent, de la DGEC (direction générale energie et climat), installé au ministère de la Transition écologique a répondu que “nous avons eu des retours d’expérience conséquents en matière environnementale” grâce à des fermes pilote en Ecosse, au Portugal, tout en reconnaissant que les fermes pilotes n’avaient pas pu voir le jour en 2019 en France comme prévu pour des “difficultés techniques” et qu’elles “verraient le jour en 2023. On est dans une situation d’urgence climatique”. Contrairement à l’éolien terrestre, où la France a laissé passer des trains, l’éolien marin, la “France est précurseur. Et c’est une filière qui peut créer beaucoup d’emplois…”
30 propositions du public et 29 recommandations
Dans ce contexte, des milliers d’habitants ont fait part de leur souhait de reculer ce projet. Après avoir mené 131 “événements” en 112 jours en 2021, organisé des débats dans 34 communes, rencontré 3 819 personnes, recueillis 4 000 commentaires sur les réseaux sociaux et 2 000 avis, dont 35 “cahiers d’acteurs”, notamment des professionnels de la pêche, dont Dis-Leur a rendu compte ICI (par ailleurs quelque 13 millions de personnes ont eu connaissance du sujet via la presse), la Commission particulière du débat public a relayé dans son bilan de la concertation “30 propositions du public qui attendent des réponses argumentées et précises de l’Etat et de RTE” ainsi que “29 recommandations qui ne sont pas sur le fond puisque ce n’est pas notre mission”. Elles balaient tout le spectre des interrogations.
Ils ne veulent pas de mise en concurrence avant que la décision officielle ne soit prise et ces réponses. Pour que le public se sente écouté et pas trahi…”
Etienne Ballan, président de la Commission
La plupart d’entre-elles se résument ainsi : “Améliorer l’information auprès du public sur les volets environnementaux, sociaux et économiques et si ce projet d’éoliennes est poursuivi et de favoriser sa participation.” L’Etat et RTE ont ainsi trois mois, jusqu’au 31 mars 2022, pour répondre précisément aux attentes des habitants réunies dans ce compte rendu.”Avec “des réponses argumentées et précises”, souligne Etienne Ballan, le président de la Commission particulière du débat public.
“Ils ont beaucoup insisté sur le fait qu’ils ne veulent pas de mise en concurrence avant que la décision officielle ne soit prise et ces réponses. Pour que le public se sente écouté et pas trahi…” “Nous donnerons ensuite un avis, sans doute le 6 avril, sur ces réponses qui seront rendues publiques”, a précisé Chantal Jouanno, la présidente de la CNDP. Un wébinaire sera organisé en ligne à ce sujet le mercredi 11 à 17h30 pour répondre aux questions du public. C’est ICI et accessible à tous !
Espace de liberté et une ressource pour les pêcheurs
Les projets visent la construction de deux parcs d’éoliennes flottantes – sur 10 % d’une surface de 3 300 km2 – d’une puissance de 750 mégawatts chacun pour contribuer à atteindre l’objectif national de 40 % d’électricité issues d’énergies renouvelables en 2030. Des parcs entre 10 km et 55 km des côtes. C’est demain ! “Sur le projet éolien marin en général, trois oppositions de principe se sont fait entendre : celle qui conteste sa qualité d’énergie vertueuse, celle qui considère que la mer doit rester un espace de liberté avec un horizon vierge à préserver pour l’équilibre humain, et enfin celle d’une partie des pêcheurs pour qui l’implantation d’un parc éolien est synonyme de privation d’activité et de ressources.”
Nécessité d’un grand débat sur l’énergie
La commission souligne aussi que, pour les habitants, apparaît “la nécessité d’un grand débat sur l’énergie pour choisir collectivement cette trajectoire de transition et décider des projets qui en découlent dans l’espace et dans le temps” mais aussi “le souhait que la question de l’énergie reste pilotée par la puissance publique. Il s’est clairement exprimé au cours du débat, notamment à travers une demande insistante de transparence à toutes les étapes du processus opérationnel de l’éolien flottant : engagements financiers, rédaction du cahier des charges, études environnementales et gestion du projet”.
Enfin, parmi les caractéristiques du projet, la localisation des parcs a été une question largement abordée “avant de faire l’objet d’ateliers cartographiques participatifs (…) Ils ont permis d’identifier sept zones potentielles, qui ne peuvent donc en aucun cas être considérées comme préférentielles, mais pourront éventuellement guider la réflexion à l’avenir, si le projet est poursuivi”.
Olivier SCHLAMA
Dis-Leur !, ce n’est pas du vent !
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