Intelligence artificielle : “Ben oui, Chat GPT peut faire de la… politique !”

“J’ai été bluffé !” : directeur de recherche à l’université Paul Sabatier, à Toulouse, Pascal Marchand le dit : il va falloir inventer la vie qui va avec l’intelligence artificielle…! Car le monde est de plus en plus piloté par des robots et Chat GPT interroge nos vies et nos métiers. Les politiques, aussi, vont devoir s’adapter comme de nombreuses professions…

L’intelligence artificielle (IA) va-t-elle nous remplacer ? Va-t-on être complètement dirigés par des robots ? La question est dépassée : le pouvoir est déjà dans les mains de grands groupes privés, y compris de la “tech”. La révolution technologique est en marche – et inexorable – qui va bouleverser le travail des cols blancs, les professions intellectuelles. Même si les ordinateurs n’ont pas (encore) de volonté propre, comme le souligne Jean-Gabriel Ganascia, philosophe et informaticien dans l’hebdomadaire le Un, l’avenir s’annonce vertigineux.

Certes, les voitures volantes n’existent toujours pas mais Chat GPT est déployé et va modifier nos vies

Chat GPT, générateur de textes, robot “conversationnel”, déploie une technologie inédite et surtout emmagasine la quasi-totalité de la connaissance présente sur le web avec une rupture historique : il est utilisable par le grand public. Certes, les voitures volantes qu’un enfant des années soixante imaginait crédibles pour l’an 2000 n’existent toujours pas. Mais Chat GPT et une dizaine de ses cousins sont déployés et vont modifier nos vies. Certains pensent même qu’il faut mettre en place des règles d’éthique (lire ci-dessous). Sinon, demain, qu’en sera-t-il des programmes scolaires et universitaires à apprendre dans nos écoles et facultés ? De l’avenir des médias… ? Et quelles seront les conséquences des relations entre êtres humains…?

L’intelligence artificielle a pris le pouvoir

C’est dans cet angle mort, mais ô combien important, que s’est intelligemment immiscé Pascal Marchand en demandant à Chat GPT s’il est en capacité de produire des programmes électoraux. Réponse : Oui, il peut le faire. Or, un programme, c’est avant tout une feuille de route pour gérer une cité… Les fantasmes vont bon train… et à raison. De façon générique, l’intelligence artificielle prend le pouvoir partout, notamment dans les tâches intellectuelles : expertises juridiques ; graphistes, journalistes, professeurs, écrivains… Cela interroge notre modèle de transmission des savoirs. Des métiers vont être touchés mais ne vont pas nécessairement disparaître. Mais certaines tâches, un tiers disent les spécialistes, vont devoir évoluer. Et vite.

Accroissement des inégalités

Pascal Marchand, du Lérass, à Toulouse. Ph. DR.

Enfin, cette IA déclenche un nouveau risque d’accroissement des inégalités, avec un accaparement ment jamais vu par une poignée de grands groupes privés des instruments de production. Posons la question : comment faudra-t-il faire pour donner un revenu aux travailleurs dans un monde où le travail s’automatise à l’envi…?

Les programmes en vue de la présidentielle

Le travail de Pascal Marchand est une sorte d’alerte. Dans une première étape, ce directeur de recherche à Toulouse, avait analysé, grâce à un logiciel maison, Iramuteq, les programmes des candidats à la précédente élection présidentielle, comme Dis-Leur, vous l’a expliqué ICI. Alors que le mouvement de contestation se durcissait, ce professeur en sciences de l’information avait analysé rétrospectivement les 567 000 textes du Grand Débat et les 119 000 textes du Vrai Débat organisé, lui par les Gilets Jaunes, était formel.

Nous avons demandé à Chat GPT de produire lui-même des programmes électoraux…”

Directeur de recherche à l’université Paul-Sabatier de Toulouse, il a analysé grâce à un logiciel développé dans son labo, Iramuteq, des corpus de textes et de mots. S’agissant des programmes des candidats. Et ses conclusions, professeur en sciences de l’information et de la communication au Laboratoire d’études et de recherches appliquées en sciences sociales, étaient éclairantes : “Les extrêmes ne se rejoignent pas, contrairement à la croyance populaire ; Mélenchon n’est pas identifié comme ayant un vocabulaire d’extrême-gauche ; Macron est plutôt de droite, etc. Cela m’a donné une cartographie des programmes réels de l’élection. Avec une stagiaire, nous avons demandé à Chat GPT de produire lui-même des programmes électoraux, attribués à chacun des candidats à l’élection. C’est ce qu’il a fait.”

Textes des candidats et ceux de Chat GPT superposés

Pour produire son analyse sur la capacité de Chat GPT de produire lui-même des programmes électoraux, Pascal Marchand a, cette fois, superposé les deux sortes de discours et de programmes : ceux des candidats réels et ceux produits par Chat GPT. En posant quatre questions. “Nous avons repris le corpus des programmes des candidats à l’élection présidentielle de 2022, construit avec l’aide d’Emma Recorbet, et que nous avions analysé avec Iramuteq. Nous avons déjà diffusé des extraits de cette analyse, et une version approfondie sera prochainement publiée avec Brigitte Sebbah dans un ouvrage coordonné par Philippe Maarek et Nicolas Pélissier (L’Harmattan, collection Communication et Civilisation). Voilà pour les textes “naturels”.

Quatre grandes questions posées à Chat GPT

Pour ce qui concerne les textes “artificiels”, Claire Denis s’est chargée de poser à ChatGPT les mêmes questions pour chacun des candidats du corpus “naturel” : Quel est le programme politique de candidat(e) ? Peux-tu développer ta réponse sur le programme politique de candidat(e) ? Quel est le programme électoral de candidat(e) ? Peux-tu développer ta réponse sur le programme électoral de candidat(e) ? “On a pu observer que les textes étaient plus développés avec “électoral” qu’avec “politique”. Et on a conservé les quatre productions pour l’analyse. Les textes ainsi produits font entre 1 000 et 1 600 mots. On ajoute donc ces textes aux programmes réels pour calculer une analyse des correspondances lexicales.”

Conclusion de ce travail : “J’ai été bluffé. Chat GPT peut faire de la politique ! Ce que l’on a démontré, c’est que si on lui demande de créer des programmes politiques des candidats, ce qu’il produit peut être très proche de ce qui a été réellement produit.” Que n’importe pourrait  reprendre ? Quelle serait alors la place de la singularité ?

“Les politiques devront être plus proches de l’analyse et moins des éléments de langage”

Pascal Marchand analyse : “Les hommes et femmes politiques devront adapter leurs pratiques et être moins caricaturaux, s’ils veulent se démarquer… Cela va leur demander des efforts… Qu’ils arrêtent de ronronner sur les mêmes rhétoriques. Qu’ils soient innovants, plus proches de l’analyse et moins des éléments de langage.” Il a cependant mis au jour quelques erreurs : “Chat GPT n’a pas bien identifié Anne Hidalgo et Valérie Pécresse ; il les a identifiées davantage comme des élues locales que comme des candidates, c’est dû au fait que la base de données, en la matière, s’arrête pour l’instant, à septembre 2021 alors que la présidentielle était en 2022. Il avait aussi vu Macron moins à droite qu’il ne l’est vraiment.” Grosse erreur !

On peut lui demander de produire des dissertations, des articles de presse… Mais cette application est incapable d’analyser…”

Pas besoin de lui apprendre qui est Mélenchon ou Macron, à Chat GPT. “C’est une base de données considérable, infinie, qui indexe quasiment tout internet dans toutes les langues ; on ne sait pas vraiment comment… Mais il peut répondre à n’importe quelle question. On peut lui demander de produire des dissertations, des articles de presse… Mais cette application est incapable d’analyser. Même si le danger vient du fait que la rédaction est tellement bien faite que l’on peut avoir l’impression qu’il y a une analyse derrière. Il y a une introduction, un développé avec des listes à puces qui décrivent des plans de programme, des conclusions… Et même un avertissement pour les candidats d’extrême-droite, en leur disant que leurs propos sont controversés, parfois à la limite de la légalité et ont été dénoncés pour racisme ou discrimination.”

Montpellier demande une pause dans l’utilisation de Chat GPT

Une note interne de l’adjoint au numérique de la ville de Montpellier vient de demander d’ailleurs l’interdiction “à titre conservatoire” de l’utilisation de ChatGPT pour les services de la ville et de la métropole. En cause notamment, l’incertitude sur le traitement des données entrées dans le logiciel. Pour Manu Raynaud, adjoint au maire chargé des questions numériques, trop d’incertitudes planent autour de ce logiciel pourtant très utilisé depuis plusieurs semaines. “Nos agents ne sont pas des beta-testeurs”, explique-t-il. “Ce n’est pas à eux de tester un produit qui n’est pas terminé, dont on ne connaît pas les limites”. “Nous voulons utiliser ChatGPT mais on veut l’utiliser en connaissant la notice et le mode d’emploi”, dit-il également.

Limitation ou interdiction ? “Illusoire !”

intelligence artificielle, Ph. d’illustration

Que pense-t-il de ceux qui prônent limitation ou interdiction de Chat GPT ? “C’est illusoire. Ces outils-là, il en existe une dizaine, au-delà de Chat GPT, en train de se développer. Tout le monde va s’en servir. C’est comme si on voulait interdire le téléphone portable ou Wikipedia… Certes, beaucoup de gens ont peur qui n’y voient que la concurrence que cela peut générer. Ils ont raison ; il y a des choses effrayantes mais il y a une évolution de la société qui passe par là. Cela produit  forcément quelque chose de conservateur puisque Chat GPT s’appuie sur des bases de données existantes, de ce que tous les internautes du monde produisent. Ça ne crée pas de chose nouvelle. Et même s’il y a un certain nombre de filtres, des propos discriminatoires vont ressortir, par exemple.”

“Comment on fait évoluer certains métiers pour créer d’autres compétences chez les étudiants et les évaluer différemment…”

Pascal Marchand prône en revanche de réfléchir profondément à l’usage de Chat GPT. “Il y a une vraie réflexion à avoir pour son usage et une vraie réflexion pour toutes les professions : enseignants, journalistes… Je lui ai envoyé mes sujets d’examens, confie le chercheur, eh bien Chat GPT n’a pas produit une copie pauvre. En revanche, il va chercher très loin tant que l’on est dans des productions académiques mais sans aucune analyse ou un regard critique. Pour les enseignants, cela peut-être une interrogation : que faut-il apprendre à nos étudiants ? D’accumuler de la connaissance… ? Là, Chat GPT sera meilleur que n’importe quel étudiant voire des enseignants. Mais si on lui demande une analyse, de mettre des faits en correspondance, il est totalement incapable de le faire. C’est un gros enjeu. Et comment on fait évoluer certains métiers pour créer d’autres compétences chez les étudiants et les évaluer différemment.”

“Il est important d’engager un dialogue ouvert et constructif entre les différentes parties prenantes pour arriver à un compromis acceptable par tous…” 

Et si on demandait à Chat GPT quelle est la solution pour sortir de la crise sur les retraites en France…? “En quelques secondes, il va vous faire un programme…”, prophétisait Pascal Marchand. En effet. Sa réponse en moins de temps qu’il ne le faut pour l’écrire a juste développé un gros paragraphe, soulignant au passage qu’il “est important d’engager un dialogue ouvert et constructif entre les différentes parties prenantes pour arriver à un compromis qui puisse être acceptable par tous (…)” Si en plus, Chat GPT montre même la voie à suivre…!

Olivier SCHLAMA

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