Retraites : “Oui, le rejet massif de la réforme était prévisible… !”

Alors que le mouvement de contestation se durcit, le professeur en sciences de l’information, à Toulouse, Pascal Marchand, qui a analysé rétrospectivement les 567 000 textes du Grand Débat et les 119 000 textes du Vrai Débat organisé, lui par les Gilets Jaunes, est formel et explique pourquoi.

Invariablement, les écrits restent : Pascal Marchand le sait qui est justement un fin analyste des mots. Pas un sondeur qui ne ferait que confirmer que 70 % des Français rejettent cette réforme. Directeur de recherche à l’université Paul-Sabatier de Toulouse, il a analysé grâce à un logiciel développé dans son labo, Iramuteq, deux corpus de textes et de mots pour savoir si l’opposition à la réforme des retraites était ou non prévisible. La réponse est claire : Oui !”, selon ce professeur en sciences de l’information et de la communication au Lerass (Laboratoire d’études et de recherches appliquées en sciences sociales).

Analyse textométrique de millions de textes

Pour cela, il a passé au crible d’un algorithme de son cru, par une analyse textométrique les textes (567 000) et les mots (167 millions) du fameux Grand Débat National lancé par Macron pour mettre fin au mouvement des Gilets Jaunes et justement du Vrai Débat (119 000 textes et 7 millions de mots), lancé, lui, par les Gilets Jaunes pour contrebalancer le premier débat officiel.

Les priorités des participants aux débats : revalorisation des salaires, justice fiscale et redistribution des richesses ; taxation des classes supérieures ; les privilèges des élus…”

Pascal Marchand, du Lérass, à Toulouse. Ph. DR.

Celui qui avait déjà confirmé que le clivage droite et gauche existe toujours, dont Dis-Leur vous a parlé ICI, et analysé en profondeur le mouvement des Gilets Jaunes, dit : “Dans ces deux corpus, on a recherché le mot retraite bien sûr mais aussi élargi le contexte lexical autour des retraites. On pouvait prévoir dans ces deux grands débats qu’il n’y avait pas une acceptabilité majoritaire à une réforme. On aurait pu prévoir que cela aurait généré d’énormes réticences notamment du côté de ceux qui ont contribué au Vrai Débat et aussi à ceux du Grand Débat.”

Pascal Marchand explique que “leurs priorités, c’est la revalorisation des salaires ; la justice fiscale et la redistribution des richesses. Dans le Grand débat national aussi, pour beaucoup de gens la priorité c’est aussi la question de la redistribution ; la taxation des classes supérieures ; surtout des privilèges des élus, etc. Sans savoir vraiment quel pourcentage d’opposants à une réforme ou de gens qui était pour une maîtrise des dépenses, mais on pouvait se rendre compte qu’une majorité qui s’était exprimée dans les débats et qui allaient résister à la réforme des retraites.”

L’enfumage des concertations gouvernementales

Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’analyse de la part des pouvoirs publics de ces deux débats ? “Il y a une mode, une stratégie gouvernementale de lancer des concertations et de ne pas les analyser après. Cela a été la même chose sur le Grand Débat sur l’identité nationale, par exemple. C’est juste pour mettre fin à un mouvement. On dit aux gens : “Parlez, parlez, parlez…” ; on leur dit d’aller dans les mairies et “remplissez les cahiers de doléances…”; “Allez sur le web et mettez-y vos contributions… Et, in fine, on ne regarde absolument pas ce qu’il y a dedans…”

Très difficile de consulter les cahiers de doléances

Et puis il est extrêmement difficile d’aller les voir vraiment, ces doléances, selon le chercheur : “Nous avons eu un colloque en novembre à Bordeaux : les chercheurs sont obligés de prendre rendez-vous plusieurs semaines à l’avance pour les consulter et encore moins pour les analyser ; c’est très difficile d’aller voir les revendications exprimées.” C’est de l’enfumage. “Ce fut la même chose pour la Consultation citoyenne, sur la consultation sur le climat et pour certaines consultations autour de la transition écologique…”

“Ressentiment”

Du pain béni pour le RN ? “Il est sûr que quand on demande aux gens de s’exprimer et qu’ensuite on n’accorde aucun crédit à leur expression, que l’on fait semblant de les écouter, ils en nourrissent un certain ressentiment. Et c’est le RN qui joue à l’Assemblée la dignité des débats et l’apaisement…” Pascal Marchand en profite pour expliquer la méthode employée : “Notre idée était de partir sur les bases de la communication persuasive : c’est de savoir quels leviers actionner quand on veut amener quelqu’un à changer de comportement. En fait, il y a trois leviers. D’abord, le niveau d’acceptabilité : est-ce que les gens sont prêts à changer de comportement ? Donc, la réponse est donc négative.”

“Echec de la communication gouvernementale”

Restait à analyser le deuxième niveau : la compétence : est-ce que le gouvernement a la compétence reconnue pour dire aux gens qu’il faut qu’ils changent d’avis ? “Eh bien non : il y a eu beaucoup de couacs ; rien qu’avec le coup des 1 200 € mensuels minimum. On ne peut pas allumer sa télé sans entendre un expert économique qui démonte les arguments du gouvernement. Sur ce volet-là, c’est un échec de la communication gouvernementale. Quant au 3e niveau de la communication persuasive, la confiance, la légitimité que les gens peuvent m’accorder, ce n’est pas ça non plus.”

Un Français sur cinq seulement a voté Macron au 1er tour

Il développe : “Macron réaffirme : “Je peux faire cette réforme parce que j’ai été élu et qu’elle était dans mon programme.” Or, tout le monde sait qu’il a eu seulement le vote d’un Français inscrit sur les listes électorales sur cinq au premier tour. Donc quatre sur cinq ne l’ont pas choisi. Peut-on dire dans ce cas qu’il a une vraie légitimité à imposer cette reforme des retraites…? Ajoutez à cela un certain nombre d’affaires sur les cabinets de conseil ; sur les collusions de membres du gouvernements et l’industrie, des reniements sur des projets, etc. La confiance est donc entachée. Sur cette réforme des retraites, le gouvernement pouvait en théorie jouer sur trois leviers. Mais aucun ne fonctionne. Les gens n’en veulent pas.” Et elle n’est pas juste.

Olivier SCHLAMA

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