Animad’Oc (6) : Le porc Noir de Bigorre, ce survivant a traversé les siècles

Le proc Noir de Bigorre, si caractéristique, il a traversé les siècles ! Photo Joël ESTRADE

Les porcs Noir de Bigorre reviennent de loin ! Ces animaux, reconnaissables à leur robe noire et à leurs oreilles horizontales ont bien failli disparaître. Aujourd’hui, ils sont élevés en petits troupeaux sur des étendues de prairies et de sous-bois, sur des parcelles d’herbe de l’aire de l’AOP (département des Hautes-Pyrénées et cantons limitrophes du Gers, Haute-Garonne et Pyrénées Atlantiques)…

Trop gras, trop lent, trop peu productif, inadapté en un mot aux conditions de l’élevage intensif et aux normes de la consommation industrielle, le porc Noir de Bigorre ne correspondait plus au modèle économique dominant du XXe siècle. Ainsi, en 1981, il ne restait plus que 34 truies et deux mâles, chez une vingtaine d’éleveurs des Hautes-Pyrénées !

Le porc Noir de Bigorre a su revenir en pleine lumière grâce à l’action de passionnés… Photo Studio Blue Lemon

“Faire du gras un atout…”

Il aura alors fallu toute la volonté d’une poignée de passionnés (éleveurs, charcutiers, salaisonniers) pour relever le défi d’organiser la renaissance du porc Noir de Bigorre.

Et comme le précise le Consortium du Noir de Bigorre sur son site : “Aujourd’hui, après quarante ans d’efforts et de résistance face à sa disparition programmée le porc Noir de Bigorre retrouve une place emblématique dans son terroir d’origine. Faire du gras un atout et de la mise en valeur du goût les ressorts de la renaissance, c’est rendre hommage à l’histoire du porc Noir de Bigorre et à ceux qui l’ont élevé depuis la nuit des temps dans son milieu naturel.”

Du côté de l’Irqualim (Institut régional de qualité agroAlimentaire) on précise que “depuis toujours, l’élevage du porc Noir fait partie de l’économie et de la culture paysanne du Piémont Pyrénéen, où sa présence est attestée depuis l’Antiquité. Descendant du porc méditerranéen comme son cousin le porc Ibérique, il assurait les réserves familiales, en salaisons, en conserves et fournissait le gras nécessaire pour la cuisine…”

“Le triptyque Animal, Territoire, Homme…”

Dans le cahier des charges de l’AOP, un maximum de 20 porcs à l’hectare… Photo Joël ESTRADE

La sauvegarde du porc Noir de Bigorre dans son berceau d’origine a consisté à préserver le patrimoine génétique sur son territoire, là où le maximum de facteurs naturels, sociologiques et culturels concourent à sa présence. Ses défenseurs n’ont ainsi jamais consenti, à sortir l’animal de son berceau naturel et historique, conscients que c’est dans son terroir d’origine qu’il exprimerait au mieux ses qualités.

Les animaux sont exclusivement de race pure élevés à la pâture sur les parcours identifiés, constitués d’herbe et bordés de haies, d’arbres et/ou de sous-bois. La densité maximum est de 20 porcs par hectare. Et l’alimentation est constituée du pâturage de l’herbe, de céréales non OGM (blé, avoine, orge, seigle, triticale) provenant de l’aire géographique, ainsi que, selon les saisons, des fruits (glands, châtaignes, pommes, nèfles…) et autres ressources du milieu.

Appellation d’Origine Protégée (AOP) pour le porc Noir de Bigorre et son jambon

le porc Noir de Bigorre, inséparable de son environnement et des paysages de sa région d’origine… Photo Studio Blue Lemon

Comme le souligne le Consortium (qui fédére tous les partenaires de la filière), “au fil des ans, le triptyque Animal, Territoire, Homme a opéré une alchimie parfaite façonnant et révélant la véritable identité du porc Noir de Bigorre. Il devenait alors l’héritage d’une réserve de goûts, légué par la Bigorre, ses paysages et des générations de paysans.”

Les défenseurs du Noir de Bigorre n’ont jamais baissé les bras et c’est à force de persévérance qu’ils ont gagné la bataille. Le porc Noir de Bigorre a retrouvé ses lettres de noblesse et une AOP le protège désormais.

Ce travail de longue haleine a été récompensé en 2015 par l’obtention de l’Appellation d’Origine Contrôlée pour le Porc Noir et le Jambon Noir de Bigorre. L’Appellation d’Origine Protégée la complète depuis 2017, qui protège désormais les deux produits à l’échelle européenne.

Le porc Noir de Bigorre, c’est au fond une histoire d’amour, entre des hommes et des femmes et leur terre, à ce patrimoine qui s’illustre idéalement dans un animal qui aura su affronter toutes les difficultés, pour faire triompher son caractère unique.

Philippe MOURET

Sur le plan économique, le porc Noir de Bigorre c’est 60 producteurs pour un volume de 9 379 porcs et 17 280 jambons par an. La Confrérie du Noir de Bigorre (Loi 1901), créée en 2000, a son siège à l’Abbaye cistercienne de l’Escaladieu, symbole identitaire de l’histoire de la Bigorre car elle possédait, au Moyen Âge, un important troupeau de Porcs Noirs de Bigorre

Gastronomie : Le gras, Graal du goût !

Ah ! Le gras ! Le grand paradoxe du porc Noir de Bigorre qui faillit disparaître à cause de sa forte proportion de gras, jusqu’à 60 % d’une carcasse, et renaît grâce à ses qualités gustatives exceptionnelles.

Le jambon Noir e Bigorre, une AOP prestigieuse ! Photo Studio Blue Lemon

“Reconnue par les gourmets, présente sur les tables, sur les étals des meilleures boucheries et charcuteries de France (…) la viande de porc Noir de Bigorre est une viande de caractère. Déguster une côte d’échine de porc Noir de Bigorre révèle à elle seule la perte irréparable qu’aurait constituée l’extinction de la race pour la gastronomie française ! Au-delà de son taux de graisse élevé, sa viande surprend par sa couleur rouge intense. Elle est liée à un taux de myoglobine très élevé, d’environ 3 mg/100g, largement supérieur à celui des autres porcs. Cuite rosée, fondante en bouche, la présence de gras autour de la tranche révèle une saveur intense…”

Aujourd’hui, le Noir de Bigorre s’inscrit aussi dans le gotha des plus grands jambons européens. Le climat original de la Bigorre, par ses alternances de phases humides et sèches dues à l’effet de foehn, un vent du Sud provenant des Pyrénées qui s’est fortement réchauffé et asséché en descendant vers le sol, permet d’affiner les jambons dans des conditions naturelles optimales. Il leur confère leurs caractéristiques sensorielles si particulières.

Déjà à l’époque romaine, le géographe Strabon vantait les jambons des Porcs Noirs qui disait-il étaient “les meilleurs de l’Empire”.

Notre série d’été Animad’Oc :

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Animad’Oc (2) : Les loups du Gévaudan, pour aller au-delà de la bête

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