Douze domaines viticoles organisent via l’association Vins de Femmes, le 8 mars, au domaine Piquemal, dans les P.-O., une journée champêtre où le vin élaboré par des femmes sera à l’honneur d’une action caritative. Un vin qui revendique certaines caractéristiques. Pour Pauline Nadal, “l’univers du vin reste très masculin (…) Les femmes font deux fois plus d’efforts pour montrer qu’elles sont capables…”
Le 8 mars, c’est la Journée des Droits des Femmes. C’est aussi celle des Vins de Femmes, une association de douze vigneronnes (1) qui organisent une journée caritative très courue avec plus d’un millier de personnes. Cette fois, cela se déroule au domaine Piquemal, au lieu Dit Della Lo Rec, RD 117 – km 7, 66600 Espira-de-l’Agly (P.-O.)
Cheville ouvrière de Vins de Femmes, Laetitia Pietri-Géraud, membre d’une autre association de vigneronnes, Vinifilles, remonte le temps : “Nous avons créé cette association au départ pour répondre à la demande de deux vigneronnes qui cherchaient à aider financièrement la recherche sur le cancer, dont elles étaient elles-mêmes concernées par la cause. Et puis, c’est vrai, au-delà, cette association cela crée des liens”, convient celle qui commercialise des bouteilles au nom de Maguy, Cuvée Mademoiselle ou Sine Nomine.
“Je ne suis pas sûre que ce soit un vin de nana, celui que je fais ; c’est le vin de quelqu’un qui écoute son terroir”

Personnalité incontournable de Collioure, Laetitia Pietri-Géraud formule : “Nos vins sont fait par des femmes. Cela implique une force émotionnelle… Toutes les vigneronnes sont très impliquées ; nous avons une mission de transmission, y compris d’un métier très décrié…” Elle parle de “défense des appellations”, du côté “émotionnel“. Dans la construction-même du vin, celui-ci est, qualifie-t-elle, “rond“, “assez frais”… “Mais il n’est pas rustique comme on le disait du cru qui ne l’est pas du tout… Bref, je ne suis pas sûre que ce soit un vin de nana, celui que je fais ; c’est le vin de quelqu’un qui écoute son terroir.”
Cette année, Vins de Femmes soutient l’association La Maraude du Lundi dont les bénévoles cuisinent eux-mêmes un repas chaud, puis le distribuer sur deux points de rendez-vous à Perpignan, aux plus démunis. L’argent – issu d’une partie d ela vente de vins et de repas lors de la journée du 8 mars – servira à acheter du matériel de cuisine. Nous répondons présentes et espérons dépasser la somme récoltée l’année dernière pour Joa Joie de 5 900 €.
Tous ceux qui travaillent avec la nature sont des passionnés ; cela demande une telle résilience faxe aux grêles, sécheresses… Nous aimons passionnément ce métier : c’est le point commun”
En France, on a parfois le cliché dur. On dit et on répète par exemple que les femmes préfèrent le champagne, le rosé ; le vin léger ou encore facile à boire ; avec de la rondeur. Il peut y avoir certes un côté marketing opportuniste. Mais cela se ressent-il dans la vinification ou le choix de certains vins, de certains goûts…?

Pour Agathe Jonquères d’Oriolas (Château de Corneilla, P.-O.) “Durant cette journée, on fait découvrir nos douze domaines.” La vigneronne ne distingue aucune différence entreun vin de femme et un vin bâti par un vigneron. Elle s’en offusquerait presque : “En 2025, on n’en est plus à se dire qu’un(e) chirurgien(e), homme ou femme, est moins compétent(e) que l’autre. Les douze vigneronnes travaillent sur douze domaines différents ; elles ont douze manières différentes de travailler et c’est ce qui plaît aux gens : la diversité. Tout le monde a une sensibilité différente. Tous ceux qui travaillent avec la nature sont des passionnés ; cela demande une telle résilience faxe aux grêles, sécheresses… Nous aimons passionnément ce métier : c’est le point commun.”
“Ce sont finalement des vins qui vont plaire aux hommes comme aux femmes !”
Pauline Nadal, membre elle aussi de Vins de Femmes, est à la tête du domaine éponyme. Pour elle, un vin de femme propose quand même des spécificités avec, déjà, “davantage de finesse…” Est-ce aussi un vin fait par des femmes pour des femmes ? “Ce sont des vins faits par des femmes”, tranche Pauline Nadal. “Ils sont pour tous. Nous sommes toutes sur des terroirs différents et nous vinifions toutes différemment. Certains vins seront plus ou moins forts ; plus ou moins féminins (davantage sur le fruit, par exemple). Oui, on peut être attirée par certains goûts. Mais attention beaucoup de femmes se détournent du rosé ; pas mal de femmes amatrices de rouge viennent chez nous. J’ai envie de dire que nos palais évoluent et, en effet, les femmes sont plus en recherche de finesse avec des vins plus légers. Plus faciles à boire et beaucoup sur la rondeur. Ce sont finalement des vins qui vont plaire aux hommes comme aux femmes !”
Il s’exerce évidemment une certaine sororité : quand des femmes viennent au magasin ; quand je dis que ce sont des vins qui ont été vinifiés par mes soeurs et moi-même, tout de suite, ça plaît”
Aujourd’hui, les femmes consomment moins de vin que les hommes si l’on en croit différents baromètres et études mais elles consomment davantage qu’il y a dix ans, comme l’explique Santé Publique France, dans un contexte où la consommation générale d’alcool baisse. S’y ajoute la crise de la consommation de vin ; la bière qui a détrôné le sang des vignes… Un vin dit de femmes, n’est-ce pas, aussi, un argument marketing bienvenu ?

“Peut-être, oui, répond spontanément Pauline Nadal. Le fait que ce soit fait par des femmes renforce l’envie de partager ce vin plus facilement. Il s’exerce évidemment une certaine sororité : quand des femmes viennent au magasin ; quand je dis que ce sont des vins qui ont été vinifiés par mes soeurs et moi-même, tout de suite, ça plaît.” La vigneronne complète : “Et puis notre oenologue-conseil est aussi une femme ; et deux autres oenologues suivent les douze vigneronnes de l’association : ce sont des vins doublement féminins !” Y compris parce que ces breuvages sont souvent élevés en bio. Pourquoi ? “On pense à nos enfants ; on est toutes des mamans et on ne va pas pourrir la terre que l’on va leur laisser en héritage. On préserve l’eau et les ressources aussi. Aucune d’entre-nous n’est, d’ailleurs, en irrigation.” C’est aussi ce qui est partagé dans les vignobles : la dernière enquête d’Atout France montre une hausse de 20 % en huit ans, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. Avec 2,3 millions d’oenotouristes en 2023, la région Occitanie talonne l’Aquitaine, leader. L’étude explique que ce slow tourisme a été rendu possible grâce à une importante et diversifiée politique de l’offre.
“Le vin reste un univers très masculin (…) Les femmes font deux fois plus d’efforts pour montrer qu’elles sont capables”
A-t-remarqué une différence de comportement entre un amateur et une amatrice de vin ? “Je ne vois pas de différences. Sauf pour les professionnels : nous avons beaucoup de cavistes femmes qui viennent au domaine qui, elles, en effet, posent davantage de questions et sont plus précises.”
Et : “L’univers du vin reste très masculin et les femmes ont besoin de prouver deux fois plus que les hommes qu’elles sont capables, que leur vin est bon. On fait deux fois plus d’efforts. Souvent, nous ne sommes pas prises au sérieux. J’ai 35 ans. Quand je vais dans un salon, on ne me prend pas forcément au sérieux.”
“Mais c’est un vin très sérieux !” Cette façon de penser, c’était très stéréotypé, cela m’a choqué…”

Que pense-t-elle, Pauline Nadal de cette étude de deux chercheuses bordelaises de la Kedge Business parue il y a moins d’un an dans le Journal of Wine Economics et publiée par les presses universitaires de Cambridge, révélant que les consommateurs français et belges s’attendent à payer moins ( entre – 5 % et – 10 % ) pour une bouteille de vin produite par une vigneronne que par l’un de ses confrères ? “C’est justement ce côté soit-disant non sérieux…. J’en parlais hier avec des clients allemands : j’ai fait un vin qui s’appelle Aurore au Doigt de Rose ; ce sont des couleurs très chatoyantes. Tous mes vins ont une connotation de mythologie grecque. Là, c’est la déesse qui lève le jour. Et ces clients quand ils l’ont goûté ont dit, comme surpris : “Mais c’est un vin très sérieux !” Cette façon de penser, c’était très stéréotypé, cela m’a choqué…”
Même si le secteur se féminise massivement (dans les cursus d’œnologie et de viticulture, on trouve désormais plus de 60 % d’inscrites), le vin reste largement dominé par un imaginaire masculin. La femme est sans doute l’avenir du vin. Il n’y a pas le choix, finalement, tellement il est urgent de trouver d’autres amateurs de ce patrimoine qui s’en vont ailleurs. Et après, on pourra déguster le vin à l’aveugle… Ou pas !
Olivier SCHLAMA
- (1) Laurianne du Clos Cérianne ; Marie-Clothilde du Château Las Collas Séverine du Château de L’Ou ; Julie et Pauline du Château Nadal-Hainaut ; Laetitia du Domaine Pietri-Géraud ; Marie-Pierre du Domaine Piquemal Cathy du Château de Rey ; Réjane du Domaine Sanac ; Frédérique du Domaine Vaquer ; Marie du Domaine Pagnon ; Caroline du Mas Karolina ; Agathe du Château de Corneilla et Véronique Présidente de l’association.
👉 UN DON POUR SOUTENIR DIS-LEUR !
L’information a un coût. En effectuant un don (cliquez ICI), vous réduisez, en plus, votre impôt en soutenant les journalistes indépendants de Dis-Leur ! à partir de 1 € et défiscalisé à 66% !
– Après notre premier prix un concours national organisé par le ministère de la Culture en 2018 devant 500 autres medias, après l’installation de bandeaux publicitaires en 2019, après avoir été agréés entreprise de presse, nous lançons en collaboration avec le syndicat de la presse numérique (Spiil) un appel aux dons. Merci pour votre générosité et merci de partager largement !
À lire également sur Dis-Leur !
Patrimoine : Avec 12 millions de visiteurs, l’oenotourisme a le vin en poupe !
Salon de l’Agriculture : “La caisse de résonance des soucis et des espoirs du monde agricole”
Dossier / Consommation : Le vin sans alcool ? Il va falloir faire avec !