Réchauffement : “Dans quinze ans, les glaciers des Pyrénées auront disparu…”

Implantation d'une balise d'ablation au glacier d'Ossoue (Vignemale), le 19 septembre 2024. Ph Pierre René, association Moraine.

À l’heure des vacances au ski, une étude à laquelle ont participé des scientifiques de Toulouse, dont Étienne Berthier (CNRS), publiée dans Nature fait froid dans le dos. Sur la planète, “les glaciers ont perdu l’équivalent de 50 centimètres de glace recouvrant chaque année la France métropolitaine et fondant vers l’océan”. De quoi faire monter davantage le niveau des mers. Les Pyrénées, elles, ne comptent plus que 15 glaciers qui disparaissent au rythme de un par an…

Glaciologue au CNRS, à Toulouse, Étienne Berthier est définitif (1) : Sous l’effet du réchauffement climatique, “les glaciers (hors calottes polaires) ont perdu en moyenne 273 milliards de tonnes de glace par an entre 2000 et 2023, dit-il, dans un post sur Linkedin. C’est l’équivalent de 50 centimètres de glace recouvrant chaque année la France métropolitaine et fondant vers l’océan. Les pertes s’accélèrent passant de 169 milliards de tonnes de glace par an entre 2000 à 2005 à 410 milliards entre 2018 à 2023. Un accroissement d’un facteur 2,5. Les glaciers sont le deuxième facteur d’élévation du niveau de l’océan mondial, après le réchauffement des océans.” 

Les Pyrénées ont perdu 39 % de leur volume en 25 ans

Glacier d’Ossoue dans les Pyrénées. Ph. Association la Moraine.

Et de conclure : “En moins d’un quart de siècle, les glaciers de notre planète ont perdu 5 % de leur volume, pourcentage qui culmine à 39 % dans les Alpes et les Pyrénées. Face à un tel diagnostic, comment peut-on s’acharner dans la poursuite de projets “tout voiture” (A69, Jonction Est à Toulouse) qui engagent des lourdes émissions carbone de nos sociétés pour plusieurs décennies ?” Il ajoute : “Je me désole, en tant que citoyen et scientifique que l’on engage aujourd’hui des projets qui engagent notre société pour plusieurs décennies sur des nouvelles augmentations d’émissions de gaz à effet de serre – et d’atteintes à la biodiversité – et qui vont à l’inverse de ce qui faudrait faire si on voulait justement limiter la hausse des températures. Je me désole que l’on n’ait pas pris conscience de cela. Les glaciers, ce sont des vitrines…” Et l’un des aspects les plus visibles du réchauffement.

Pyrénées : de 100 glaciers, en 1850, à 15 glaciers en 2023

Forages de neige pour mesurer l’accumulation hivernale sur le glacier de l’Argentière. Ph Jourdain.

La suite du propos d’Étienne Berthier fait frémir : “Combien restent-il de glaciers dans les Pyrénées ? Il en disparaît un par an depuis 2000, dit-il. Actuellement, il en reste une quinzaine, dont quatre “gros” (pour ce massif), dont un côté français, celui d’Ossoue, au pied du Vignemale et trois côté espagnol : l’Aneto ; la Maladeta et le Mont-Perdu, près de la frontière franco-espagnole. Ils perdent de la glace à peu près comme les glaciers alpins. Et leur durée de vie est estimée, aujourd’hui, entre dix à quinze ans. À raison d’une perte de glace entre 1,5 mètre à 2 mètres d’épaisseur par an depuis 2000. La fin de vie d’un glacier agonisant peut durer ; cela peut être un petit corps de glace recouvert de rochers qui le protègent, en quelque sorte. Mais un glacier de taille suffisante (au moins 0,1 km2 même si cette limite varie) ; qui a des mouvements ; des crevasses, il n’y en aura plus d’ici dix à quinze ans.” La fonte est vertigineuse : à titre de comparaison, en 1850, on comptait une centaine de glaciers sur 20 à 23 km2 ; 24 glaciers en 2011 sur 2,9 km2 ; en 2016, 19 glaciers sur 2,4 km2 ; en 2020, 16 glaciers sur 2,3 km2. Et, en 2023, 15 glaciers se partageant à peine 1,4 km2…

Le réchauffement explique le recul des glaciers

Etienne Berthier, glaciologue. ph. DR.

Au niveau de la planète, “le nombre de glaciers est, lui,… en augmentation : il est passé de 200 000 à 275 000. Ce n’est pas parce que des glaciers se sont formés mais que l’on a davantage de finesse dans les observations satellitaires pour les dénombrer. Ce chiffre de 0,1 km2, dans les Pyrénées, comme il y a très peu de glaciers et que l’on s’y intéresse de très près, du coup, on va compter des glaciers que l’on n’aurait peut-être pas comptés en Alaska où il y en a plusieurs dizaines de milliers. C’est pour cela que l’on préfère compter en surface cumulée de glaciers.” Le scientifique précise : “Jusqu’en 1850, il y eut une période plutôt froide, le Petit Âge de Glace, où les glaciers ont prospéré et ensuite ils ont reculé pour des causes naturelles. Là dessus, le réchauffement, dû à l’homme, est arrivé, expliquant, aujourd’hui, la quasi-intégralité du recul des glaciers.” Avec quelles conséquences ? D’abord, la hausse du niveau des mers.

Véritables châteaux d’eau dans certaines régions

Forages de neige pour mesurer l’accumulation hivernale sur le glacier de l’Argentière. Ph Jourdain.Ph Jourdain.

“La fonte des glaciers est responsable entre 1/5 et 1/4 de la hausse de ce niveau des mers. Dans certaines régions, autre conséquence importante, les glaciers jouent un rôle majeur dans l’apport de la ressource en eau : ce sont de véritables châteaux d’eau, capable de stocker l’eau sous forme de neige en hiver, de fondre et d’apporter l’eau nécessaire dans les rivières en été, au moment où l’on en a le plus besoin. Et les écosystèmes en ont le plus besoin. Ce système de château d’eau n’existe toutefois pas dans les Pyrénées où les glaciers sont beaucoup trop petits pour avoir un rôle dans le débit des rivières. En revanche dans les Alpes, en cas de sécheresse et de canicule, une bonne partie de l’eau des rivières provient de la fonte des glaciers. D’autres régions du globe sont dans une dépendance encore plus forte aux glaciers, comme celles de l’Asie Centrale.”

Ce n’est pas tout. Avec la perte des glaciers, “on perd également un patrimoine culturel et touristique. Nos montagnes pyrénéennes seront bientôt dépourvues de glace”.

Des équipes de scientifiques travaillant ensemble

Ces conclusions sans appel sont issues d’une étude du  projet Glambie (ESA) à laquelle a participé ce glaciologue publiées dans la célèbre revue Nature et sont Grenoblois : Fanny Brun (IRD) et Nicolas Eckert (Inrae) et Toulousains : Julia Pfeffer (Magellium), Alejandro Blazquez (CNES) et Etienne Berthier (CNRS). Le projet est piloté par les universités de Zurich, d’Edimbourg- et Earthwave.

Cette étude, principalement basée sur l’observation satellitaire, est inédite : “Pour la première fois, l’ensemble des équipes qui travaillent sur ce sujet se sont tous mises autour de la table pour faire cette estimation des pertes de glace des glaciers. Jusqu’à présent, ces équipes travaillaient séparément. En faisant une publication par méthode. Là, on a travaillé durant deux ans en homogénéisant les données pour qu’elles soient comparables, y compris dans le temps : c’est important parce qu’il peut y avoir des variabilités inter-annuelles importantes. C’était aussi un travail d’homogénéisation dans l’espace : sur les mêmes régions.

Nourrir le prochain rapport du Giec prévu en 2029

Front du glacier du Perito Moreno en Argentine. Ph Etienne Berthier.

Ces trois méthodes différentes, une fois combinées, apportent davantage d’informations prises ensemble. “Certaines ont plus de finesse spatiale, glacier par glacier, mais cela se fait au détriment de la résolution temporelle avec des moyennes sur plusieurs années. Pour d’autres, c’est l’inverse : elles sont fines dans le temps, tous les mois mais pas au niveau spatial. L’idée, là était de gagner en résolution temporelle : on a une estimation tous les ans. Au lieu de quatre à cinq ans.” Le mécanisme de mise à jour est, au final, plus réaliste.

Cette étude inédite a été réalisée par le consortium international Glambie, composé de 35 équipes de recherche comprenant plusieurs chercheurs et chercheuses du CNRS, du CNES, de l’Inrae et de l’IRD. Ces conclusions ont été publiées dans la revue Nature. La diversité et la complémentarité des méthodes utilisées dans cette étude sont sources de données particulièrement fiables, permettant aux scientifiques de pouvoir désormais mener une surveillance accrue et plus régulière de la fonte des glaciers. Ces résultats, actualisés nourriront le prochain rapport du Giec, prévu en 2029.

Olivier SCHLAMA

  • Le directeur de recherche CNRS, Étienne Berthier, du Laboratoire d’Etudes en Géophysique et Océanographie Spatiales (LEGOS) à Toulouse.

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