Dossier / Consommation : Le vin sans alcool ? Il va falloir faire avec !

Domaine de Vassal, conservatoire français de la vigne, Marseillan (Hérault) avant son déménagement au domaine de Pech-Rouge, à Gruissan (Aude). Photo : Olivier SCHLAMA

Malgré le poids de vingt siècles de culture du vin, le sans alcool est le seul segment de la filière à progresser alors que débute le Dry January, mois sans alcool. Vins et société, CIVL, France Asso Santé, expert en développement de vins légers, Mathilde Boulachin, pionnière de cette production… Retrouvez les spécialistes d’un breuvage qui coule de plus en plus dans nos verres !

Saturés d’injonctions, d’interdictions, nous n’avons pas encore digéré nos repas de fête qu’un nouvel oukase hygiéniste nous serine : le Dry January. Qu’es a quo ? Une campagne pour stopper notre consommation d’alcool, coproduite par France Asso Santé, qui réunit une centaine d’associations de patients et d’usagers de la santé (et il y a même des chercheurs qui lancent une étude ICI !) Et qui espérait que le gouvernement en ferait la promotion sur le modèle du mois sans tabac. En vain.

De quoi se poser, en tout cas, la question de la tendance au sans alcool (pas plus de 1,2 degré selon la législation) ou aux alcools légers qui, pour l’instant, ne sont qu’une goutte d’eau – 35 M€ de chiffre d’affaires pour l’ensemble de l’Hexagone – mais qui grossit, de 15 % par an ! Parfois, même dans des terroirs historiques de combats viticoles homériques, comme Béziers ou Narbonne qui faisaient partie de ce que l’on a longtemps appelé le Midi Rouge…

“Plus d’un consommateur de vin sur deux se dit fortement intéressé…”

D’ailleurs, les initiatives font florès. Le Petit-Béret (qui est un jus de raisin non fermenté), à Béziers, en a toute une collection ; il y a aussi Moderato, basé à Cognac, qui, à l’occasion du fameux Dry January, communique à l’envi sur le modèle du “pionnier des vins sans alcool met à l’honneur sa première Cuvée Révolutionnaire !” Il brandit une étude maison affirmant, entre autres, que “plus d’un consommateur de vin sur deux se dit fortement intéressé par la perspective d’un vin sans alcool”. Notamment pour des raisons de santé.

“Un Français sur trois envisage de participer au Dry January”

Ph.Oswald Elsaboath. Unsplash

On peut citer une autre marque, Pierre-Chavin (lire ci-dessous), elle aussi basée à Béziers, qui rappelle : “Lancé au Royaume-Uni en janvier 2013, le Dry January connait depuis quatre ans un succès grandissant en France. Suivi l’an dernier par environ 20 % des Français, le mois de janvier sans alcool reflète une tendance de fond croissante vers un mode de vie plus sain et une réduction générale de la consommation d’alcool : – 18 % en 20 ans en France. Cette année, un Français sur trois envisage de participer au Dry January. La pratique qui consiste à ne pas consommer d’alcool chaque année pendant le mois de janvier, est devenue un choix conscient pour beaucoup après les excès des fêtes ou un besoin de faire une pause dans l’année, de mettre son organisme au repos.”

“Nous ne voulons pas que la trajectoire de la norme soit l’abstinence”

Certains acteurs de la filière auront la gueule de bois de ne pas avoir vu le virage s’amorcer. De ne pas avoir concurrencé plus tôt les “moments bière” ou les happy hours que le sans alcool promet de dégommer. Christelle Lepresles est directrice de Vins et Société, association lobbyiste qui associe les interprofessions du vin. “On a été très clairs : chacun est libre de participer à ce Dry January. C’est un mouvement qui a toute liberté pour faire connaître cette opération. En revanche, nous on est très fermes : si l’Etat devait promouvoir un mois sans alcool comme un mois sans tabac, nous y sommes opposés. Nous ne voulons pas que la trajectoire de la norme soit l’abstinence.”

“S’il faut le faire ou pas, c’est un débat au sein des syndicats qui gèrent les cahiers des charges” des vins

Le sans alcool ou l’alcool léger ne sont-il pas, finalement, une chance, une porte ouverte pour attirer davantage de consommateurs, y compris vers le vin traditionnel ? Ou bien alors une porte fermée ? “En tout cas, cela répond davantage au besoin exprimé par un certains nombre de consommateurs d’avoir des boissons moins fortement alcoolisées. Quel que soit le produit. La filière vin en la  matière n’est pas la plus mal placée. C’est une tendance de fond. Les spiritueux auront aussi leur production sans alcool. Je ne prends pas position sur ce que doit faire ou ne pas faire la filière. Mais c’est ce que l’on observe comme tendance. S’il faut le faire ou pas, c’est un débat qui appartient aux syndicats professionnels qui gèrent les cahiers des charges” des vins.

Davantage ouverts à la réduction d’alcool

En Languedoc-Roussillon, la position a été a priori tranchée : “Quand j’étais directeur, on était davantage ouverts à la possibilité d’une réduction du degré d’alcool mais pas au zéro alcool”, exprime l’ancien directeur du CIVL (Centre interprofessionnel des vins du Languedoc), Jérôme Villaret. “Oui, reprend Christelle Lepreles, de toutes façons, les produits sous signe de qualité ne peuvent pas descendre au-delà d’un seuil (8,5 degrés en l’état actuel de la législation européenne, à moins que les appellations modifient leurs cahier des charges, Ndlr). Et pour un certain nombre de catégories de produits, c’est difficilement imaginable. J’ai du mal à imaginer qu’une appellation comme Vosne-Romanée on vienne la chercher pour du zéro alcool.”

Pas pour résoudre la crise

Ph. Thomas Schaefer. Unsplash

Pour le président du Conseil interprofessionnel des vins du Languedoc, Christophe Bousquet “c’est un sujet très peu abordé chez nous. Le sans alcool, ça ne nous concerne pas : ce n’est pas du vin. Et les degrés faibles, c’est un sujet qui n’est pas d’actualité pour l’ensemble de la filière.” Est-ce une façon de “parler” à ces consommateurs d’autres breuvages, comme la bière et de les attirer ? “Oui, convient-il. Surtout pour les alcools faibles. Ce sujet n’a pas été envisagé non plus pour résoudre la crise qui est, avant tout, pour des vins déjà faits. On pourrait faire de la désalcoolisation mais il y a des règles. Au CIVL, une grosse proportion ce sont des appellations en AOC, notamment. Et leurs cahier des charges ne le permet pas.” Pas encore

“Susciter de la curiosité par davantage de consommateurs”

Le zéro alcool concerne une certaine catégorie de produits – pour l’instant – qui ne sont pas labellisés AOC AOP, etc. Et d’ajouter que la baisse du degré d’alcool est sans doute une chance pour “susciter de la curiosité par davantage de consommateurs”. Et le goût ? “Cette question est présente dans les débats, y compris, originellement, comme ce le fut pour la bière. Il faut du temps pour obtenir un goût intéressant. On a réussi à le faire pour la bière, on y arrivera pour le vin. Après, ce ne sera pas du “vin”. Ce sera un produit différent.”

“Des produits proches du vin avec peu d’alcool”

Reconverti dans les visites oeno-touristiques et dans le conseil aux vignerons (Les Pépites du sud), Jérôme Villaret explique qu’une orientation a été prise par le vignoble languedocien : “La possibilité dans les cahiers des charges de produire des vins réduits en alcool, à 9 degrés pour les IGP maximum (le degré minimum d’alcool pour le vin est de 8,5 degrés selon la législation française et européenne ; en dessous, on ne peut plus appeler cela du vin) que des vignerons ont d’ailleurs commencé à produire comme Claude Vialade, à Lézignan-Corbières ou Vincent Puiginbier (Domaine de la Colombette, le vin Plume). Ils utilisent des procédés de désalcoolisation mis en place par l’Inra à Narbonne, l’osmose inverse. Du coup, on obtient des produits proches du vin mais avec peu d’alcool. Cela représente pour l’instant une niche, de l’ordre de 1 % à 2 % du marché.”

Il faut arrêter de culpabiliser le Français moyen qui a déjà bien baissé sa consommation d’alcool”

Jérôme Villaret
Ph Sigmund. Unsplash

Le zéro alcool, lui, c’est autre chose, c’est un jus de fruit modifié. “Ce n’est pas du vin. C’est un nouveau produit.” Et d’ajouter : “Les professionnels ne nient pas que l’alcool est dangereux pour la santé, reconnaît Jacques Villaret. Mais je ne suis pas favorable à la diabolisation. À dire qu’il ne faut plus boire. Cette opération, le Dry January, a été lancée il y a des années et ça n’a jamais marché. Et, petit à petit, ils mettent des moyens plus importants pour essayer de convaincre les consommateurs de ne plus boire du tout. Là, c’est en janvier mais demain ils prôneront l’abstinence un mois sur deux… Il vaut mieux qu’ils trouvent des moyens de communiquer auprès des gens comme des alcooliques au volant et arrêter de culpabiliser le Français moyen qui a déjà bien baissé sa consommation d’alcool et de vin.”

“Les appellations doivent adapter leurs cahiers des charges à ces nouveaux produits”

Expert en développement de boissons légères et sans alcool, B&S Tech accompagne des producteurs qui veulent entrer sur ce marché plein de promesses. Stéphane Brière l’a créé il y a quatre ans. Positionnement prix, compréhension du marché, benchmarketing, élaboration même du produit, conseils oenologiques… Alors que, notamment sous l’effet du réchauffement climatique, les vins titrent de plus en plus haut en alcool.

Il dit : “La tendance est mondiale dans laquelle la France n’est pas dans les précurseurs. elle est plutôt en retard. Les plus en pointe, ce sont des pays d’Europe du Nord, l’Allemagne, par exemple. Et l’Asie. La France est plus conservatrice, protectrice. Ce qui est sûr, c’est que c’est une tendance à la désalcoolisation, une tendance qui s’installe durablement. La progression est de 10 % à 15 % par an. C’est un marché encore réduit, d’environ 35 M€, mais c’est le seul marché dans le monde de l’alcool qui progresse. Car, globalement, l’alcool stagne et le vin baisse fortement. Désormais, ce sont les appellations qui doivent adapter leurs cahiers des charges à ces nouveaux produits”, si elles veulent en produire.

Le vin est moins moderne, plus complexe à appréhender. Cher. Pas très accessible. Et les jeunes générations y ont été moins formées”

Selon Stéphane Brière, “les consommateurs se détournent des boissons alcoolisées y compris parce que le vin est moins moderne, plus complexe à appréhender. Cher. Pas très accessible. Et les jeunes générations y ont été moins formées. Et se tournent vers des cocktails, des cocktails sans alcool, des bières, plus simple à comprendre et à acheter… Nous, justement, nous intervenons sur ce marché que l’on appelle NOLO (No alcool Low alcohol), comme l’appellent les anglo-saxons. Cela désigne cette nouvelle catégorie de boissons, d’adultes issues de boissons nativement alcoolisées et allégées en alcool. Il y a justement une nouvelle catégorie de vin désalcoolisés créée par l’Union européenne. On ne peut pas appeler ça un vin mais un vin désalcoolisé”.

Une très belle opportunité pour la filière permettant de diversifier son catalogue et attirer une clientèle qui a des attentes différentes et en jouant sur le taux d’alcool”

Stéphane Brière
Stéphane Brière. Ph. B&S

Stéphane Brière pense aussi que le sans alcool vient élargir la gamme des producteurs de vins classiques. “C’est une très belle opportunité pour la filière permettant de diversifier son catalogue et attirer une clientèle qui a des attentes différentes et en jouant sur le taux d’alcool. En général, ces produits ne cannibalisent pas les ventes de vins traditionnels, ils s’adressent à de nouveaux clients. Sur la bière sans alcool, par exemple, cela intéresse des gens qui ne buvaient pas de bière avant.”

C’est une façon aussi pour certains de limiter la consommation d’alcool en alternant un jour une boisson alcoolisée ; un autre jour un breuvage désalcoolisé. Il verse au débat : “C’est aussi une porte ouverte vers l’exportation. Le fait pour un vigneron français d’avoir ce produit-là dans sa gamme lui ouvre d’avantage de possibilités à l’export.” Par exemple, le domaine de Brau, près de Narbonne (Aude)a lancé Cypher, un rosé sans alcool,  puis un blanc et même en cannettes et en pétillant ! Il y aussi les vignobles Boissier… 

“Le gros du marché suit plutôt la tendance du zéro alcool, plus facile à expliquer. Quelques projets se développent dans des boissons “légèrement” alcoolisées”. Le “léger”, plus accessible, plus simple à boire, est aussi une très belle alternative” Face, entre autres, aux sodas. “En tout cas, nous nous prônons la modération toute l’année. Ce côté abstinence qui pourrait faire croire que l’on est anti-vin, ce n’est pas l’idée.” D’autres concepts émergent comme la sobriété permanente, sober versary, en bon anglais…

“Augmenter le prix de l’alcool sur le modèle du tabac et que ce surprix aillent aux producteurs pas à l’État”

Directeur général de France Asso Santé, co-organisateur du Dry January en France – membre de la Caisse nationale d’assurance maladie -, Marc Morel, n’est pas contre le vin : il a même racheté une maison vigneronne près de Calvisson (Gard) ! Il prône l’idée de faire monter peu à peu le prix de l’alcool sur le modèle du tabac, “comme en Irlande ou en Écosse”, défend-il, à la différence, c’est que ce surprix irait aux producteurs et non pas sous formes de taxes à l’État, ce qui comblerait une partie de la mévente et de la crise actuelles. Plus besoin de vendre beaucoup pour réaliser un chiffre d’affaires convenable avec une consommation en décrue.

Il y a 20 ou 30 ans, les gens fumaient partout, y compris dans les trains. Aujourd’hui, on est tous contents, même les fumeurs que les trains soient sans tabac”

Marc Morel. Ph. Francis Rhodes

Marc Morel opine : “Les mentalités évoluent. Mais nous ne disons pas, à France Asso Santé qu’il ne faut pas boire du tout, les consommateurs boivent plus modérément. C’est un fait. Plus personne ne laisse reprendre le volant d’un conducteur ivre. on boit des vins de meilleures qualités en plus petites quantités. De plus en plus de gens téléchargent l’application Dry January ou qui en ont entendu parler et se mettent à réfléchir à leur consommation. Car, ce n’est pas comme on peut l’entendre dire : nous ne  prônons pas l’abstinence. Ce que l’on dit, c’est qu’il y a des fêtes avec des moments qui peuvent avoir été excessifs et on propose une pause en janvier pour se questionner.” Pour une introspection salutaire, imagine-t-il. Il se défend de tout hygiénisme. “Il y a 20 ou 30 ans, les gens fumaient partout, y compris dans les trains. Aujourd’hui, on est tous contents, même les fumeurs que les trains soient sans tabac.”

“Que l’on soit conscient des conséquences sur la santé

On est quand même étouffés d’injonctions de toutes sortes… “C’est pour cela que nous ne sommes pas pour interdire de boire, note Marc Morel. Pour le Dry January, c’est la démarche qui importe : il faut s’inscrire, remplir une fiche et on se rend compte de ce que l’on boit ou pas quotidiennement. Beaucoup de gens qui boivent disent que ce sont d’autres buveurs qui boivent plus qu’eux… L’opération fait réfléchir. Ce que l’on veut également, c’est que les gens soient conscients des conséquences de l’alcool sur la santé. Quelque 16 000 ou 17 000 cancers sont directement identifiés comme étant liés à la consommation d’alcool. Et il n’y a pas que les cancers. Les maladies du foie, cardiovasculaires.”

Première cause de consultation aux urgences

Et si, finalement, le sans alcool ouvrait une nouvelle porte vers les boissons… alcoolisées à moyen terme ? Que ça ait l’effet inverse que celui souhaité ; que cela donne goût à l’alcool de plus en plus prohibé…? “Nous sommes, répond-il, une association qui représente une centaine d’assos de patients et de santé dans lesquelles pas mal de personnes souffrent des conséquences de l’alcool. L’alcool c’est la première cause de consultation aux urgences. On est face à une réalité.” Sur le sans alcool, il a cette réflexion :Pour moi, le sans alcool, ce n’est pas du vin. C’est du marketing.”

“Pas la meilleure manière de s’affranchir de la dépendance : avec le sans alcool, on garde le même rituel”

Pour l’addictologue au CHU de Montpellier, Hélène Donnadieu-Rigole, s’en remettre au sans alcool n’est pas sans incidence pour ceux qui étaient dépendants de l’alcool. Pour au moins une raison solide : “Si c’est pour boire un coup comme on boit un jus de fruit, pourquoi pas. Si cela s’adresse à une personne qui veut supprimer l’alcool, ce n’est pas la meilleure des manières de s’affranchir de la dépendance”, car avec le sans alcool, elle garde le même rituel” de porter un verre à sa bouche, elle garde le “même comportement”.

“On voit la différence quand même : les sans alcool manquent encore de profondeur, de couleur”

Ph. Sulav Jung Hamal. Unsplash

Quant au goût, il faut améliorer les techniques et les savoir-faire et surtout “partir de bons produits”. L’idée n’est pas de proposer des ersatz, de “tromper” le consommateur. C’est de proposer autre chose aux consommateurs”. Pour le caviste renommé basé à Narbonne, Jean-Michel Boron, fondateur du site qui fait autorité dans les vins du Languedoc-Roussillon, Vie d’Oc, “il existe vraiment une clientèle pour les vins sans alcool : les femmes enceintes, les malades, les personnes âgées sous traitement, etc., et qui veulent garder l’esprit festif. D’ailleurs, il y a des caves sans alcool qui se créent et des domaines aussi comme Arjolle dans l’Hérault ; je crois qu’il y en a une à Montpellier. Cela peut être vu comme un paillatif, aussi.”

Il livre cette anecdote parlante : “Un jour, un conducteur de bus me dit : “En travaillant, moi, c’est zéro alcool. Pourtant, j’aime bien le principe de boire un verre avec mon steack. C’est pour ça que j’aimerais goûter du vin sans alcool…” C’est magnifique.” Jean-Michel Choron note :“On voit la différence quand même : les sans alcool manquent encore de profondeur, de couleur”, esquisse-t-il. Et de souligner que “les vins effervescents s’y prêtent davantage”. Les échappées de bulles, elles au moins, sont identiques.

Olivier SCHLAMA

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Pour Mathilde Boulachin, pionnière du sans alcool, “on a le devoir de s’adapter à la demande”

La Biterroise est la créatrice de Pierre-Chavin basé à Béziers, une “licorne” du secteur.

Pour Pierre-Chavin, basé à Béziers (“Où la culture du vin est grande”), tout commence il y a quatorze ans. “En partant de zéro, explique Mathilde Boulachin, j’ai créé en 2010 un négoce de vins avec alcool initialement en qualité d’acheteuse de vins français pour la Scandinavie où je vivais. En rentrant, j’ai voulu dépoussiérer les codes du vin et proposer une nouvelle offre. Avec nos oeillères culturelles franco-françaises, on ne s’imagine pas la demande mondiale.”

Elle imagine le chaînon manquant

Mathilde Boulachin. Ph. P.C.

Ailleurs, dans d’autres pays amateurs, “ils n’ont pas vingt siècles de culture vinique. Et chez eux, l’innovation du vin est assez recherchée, surtout des produits en provenance de la France, considérée comme qualitatifs.” Peu après le lancement de la société, “je tombe enceinte, dit-elle. Il me fallait une alternative au vin classique”. Sa culture champenoise la porte à imaginer le chaînon manquant entre sodas et le vins alcoolisés. Ce sera le vin sans alcool et le vin légèrement alcoolisé produits avec la technique de la distillation sous vide. “L’idée, c’est de conserver un maximum d’arômes.”

Considérer le vin sans alcool comme une nouvelle proposition. Et certainement pas quelque chose qui remplace le vin classique”

Aujourd’hui, la société a franchi un palier : 12 M€ de chiffre d’affaires annuels (dont la moitié est réalisé à l’export), deux millions de cols sans alcool – entre 6 € et 20 € la bouteille sur le site dédié dont l’activité a cru de 60 % cette année – , 18 salariés. La société, présente à l’export dans 64 pays, ouvrira un showroom au printemps dédié au sans alcool pour que l’on puisse le déguster. Elle confirme que les effervescents sont plus adaptés au sans alcool. “Les pressions en bars, trois, sont équivalentes au champagne. Lors de dégustations à l’aveugle, nos vins tiennent la comparaison avec un Proséco, par exemple. Au-delà de cet aspect, il faut considérer le vin sans alcool comme quelque chose de nouveau, d’une nouvelle proposition. Et certainement pas quelque chose qui remplace le vin classique.”

“Sur le plan gustatif, il y a de grandes nuances dont certaines seront exubérantes, d’autres sont plus vineuses”

Pour assurer sa production, Mathilde Boulachin dispose de vignes en Champagne, et ensuite l’intégralité des moûts et des vins sont achetés au négoce. “On sélectionne  les raisins avec des maturités qui nous conviennent.” Et le goût dans tout ça ? A quoi peut s’apparenter le sans alcool ? “Pour découvrir un vin, il y a un triptyque : acidité, sucrosité et alcool. Or, nous nous enlevons l’alcool. On ne peut pas comparer. En revanche, sur le plan gustatif, il y a de grandes nuances dont certaines sont exubérantes, d’autres seront plus vineuses.” Pierre-Chavin pratique des chardonnay, muscats, syrah, sauvignon, cabernet-sauvignon…

“Devoir d’innover”

Ph. Pierre-Chavin

Que pense Mathilde Boulachin de la position du CIVL qui explique qu’à ce jour, ces vins nouveaux ou sans alcool, ce n’est pas un sujet (lire plus haut) ? “Je suis citoyenne du monde et, quoi qu’il en soit, pour le monde du vin, en Occitanie ou ailleurs, on est dans le devoir d’innover, dans le devoir d’écouter, de nous adapter aux demandes du monde. Je suis ce que l’on appelle une “flexi-buveuse” ; une amatrice de vins et de vins sans alcool. J’aime les champagnes ; j’aime les expériences gustatives ; je suis une femme active ; sportive (je cours beaucoup).”

“Beaucoup de personnes nous ont remerciés, avec des mots forts”

Finalement, pourquoi les consommateurs, qui ont déjà le choix dans une palette de boissons existantes, boiraient-ils du vin sans alcool ? “Quand vous faites un belle table, que vous devez conduire, que vous suivez un traitement médicamenteux, que vous êtes une personne âgée, que vous reste-t-il comme alternative à l’alcool ? Le soda, un perrier-tranche… Entre le soda et les vins, il manquait quelque chose. On est dans un préambule. Ce sera vraiment vraiment dans l’air du temps bientôt. Vous imaginez il y a vingt ans quand quelqu’un demandait un café décaféiné…? Aujourd’hui, c’est entré dans les moeurs. Un jour, on vous proposera au restaurant un vin ou un effervescent sans alcool qui a les mêmes qualités organoleptiques que le vin classique. Et tout le monde pourra lever son verre comme il l’a toujours fait. C’est fantastique, c’est inclusif. D’ailleurs, sur notre boutique en ligne beaucoup de personnes nous ont remerciés, avec des mots forts.”

Recueilli par Olivier SCHLAMA

La consommation de vin en chiffres

364 : Le nombre d’unités d’alcool achetées en un an dans un foyer de moins de 35 ans (toutes familles de boissons alcoolisées confondues, vins compris), soit 54 % de moins qu’un acheteur de 50-64 ans.
27 % : la part de Français déclarant consommer des boissons peu ou pas alcoolisées : les 18-25 ans sont 40 % à déclarer en consommer, contre 14 % chez les 50 ans-65 ans. L’unité d’alcool est une unité de mesure de la quantité d’alcool pur contenu dans un volume donné de boisson alcoolisée, par exemple 10 grammes pour un verre de vin ou de champagne. Le nombre d’unités d’alcool contenu dans la bouteille ou la canette apparaît parfois sur les étiquettes de bière, notamment dans les pays anglo-saxons où cela peut être obligatoire.

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