Poulpe fiction : C’est la cuisinière qui fait le goût de tielle même avec… du calamar volant !

Ph. Olivier Ripoll.

Une étude très sérieuse a été menée sur la spécialité culinaire de Sète publiée dans l’International Journal of Gastronomy and Food Science par des Sétois passionnés qui désiraient que la science tranche la question. Réponse : quels que soient les ingrédients, c’est la façon de cuisiner la tielle qui en fait le goût. Avis aux discussions animées de cette fin d’année !

Aux confins de la cuisine, de l’alchimie et désormais de la science, la tielle est mondialement connue à Sète. Et, à deux jours du repas du réveillon, désormais au-delà. Cette spécialité culinaire a besoin de poulpes pour l’enfermer dans une sorte de tourte cuisinée avec autant de savoir-faire qu’il existe de Sétois jaloux de leurs tours de main. Il faut aussi de la sauce tomate, des épices et autres ingrédients secrets… Chaque façon de cuisiner la tielle est le graal familial. On en a même conçu un championnat du monde…! Certains se rappellent même de l’inauguration du Mc Do subissant des lancers de poufres depuis l’autre côté du canal… Mais, vu les quantités consommées, il n’y a pas assez localement de poulpes de “roc”, comme disent les séto-sétois pour fabriquer ce que d’aucuns appellent une vraie tielle.

Nos résultats montrent que les compétences en matière de recette et de cuisine sont les déterminants les plus critiques de la qualité gustative”

Ph. Olivier Ripoll.

Du coup, ces “vraies” tielles ne seraient pas, pour les puristes, valides sans cet animal précis… Qu’il y ait du céphalopode plus ou moins commun, plus ou moins importé de contrées exotiques, c’était un secret de Polichinelle. Mais de nombreux consommateurs locaux de tielle perçoivent ainsi “la substitution récente du poulpe, son ingrédient local essentiel, par d’autres céphalopodes comme entraînant une baisse de la qualité de la tielle (communications personnelles des consommateurs locaux”. Mais une étude scientifique met les pieds dans le plat ! 

Publiée il y a quelques jours à peine dans la très sérieuse revue International Journal of Gastronomy and Food Science, elle révèle en plus, non pas que le poulpe fait la tielle, mais même avec un calamar géant volant (!), c’est la cuisinière qui fait toute la différence ! Peu importe la nature du poulpe. De quoi s’écharper gentiment pendant le repas de Noël ! La conclusion abat certaines croyances : “La plupart des tielles de notre étude étaient cuisinées avec des calamars volants géants importés du Pacifique Est. Contrairement à la croyance locale selon laquelle la qualité gustative d’une tielle provient d’espèces de poulpes vraisemblablement capturées localement, nos résultats montrent que les compétences en matière de recette et de cuisine sont les déterminants les plus critiques de la qualité gustative.”

Un tiers des détaillants n’ont pas, ou n’ont pas pu, fournir des informations correctes sur la composition en espèces de céphalopodes de leurs tielles…”

Et d’ajouter : “Un tiers des détaillants n’ont pas, ou n’ont pas pu, fournir des informations correctes sur la composition en espèces de céphalopodes de leurs tielles, ce qui a entraîné une perte de confiance dans l’étiquetage des produits parmi les participants. Cependant, les participants ont exprimé leur volonté d’inclure des considérations environnementales dans leurs futurs choix alimentaires. Cette étude citoyenne souligne la nécessité de promouvoir mais également d’évaluer la transparence et la traçabilité des produits alimentaires à base de céphalopodes pour améliorer la communication sur le contenu des produits et permettre aux consommateurs de faire des choix alimentaires éclairés. Nos résultats attirent également l’attention sur le besoin crucial d’évaluations des stocks et de gestion durable des espèces de céphalopodes.”

“Un plat du pauvre garni des restes de la pêche”

Ph. Corinne Sospédra.

Chercheure à l’Ifremer Sète, Sophie Arnaud-Haond explique la genèse de l’étude qu’elle a menée de façon scientifique avec d’autres savants : “On a eu cette idée lors d’une discussion à l’été 2019. Il y avait les tenants du : “avec le poulpe c’est meilleur” et les partisans de ceux qui considéraient que “c’est le cuisinier qui fait le goût de la tielle” et peu importe ce que l’on y met. On a considéré que l’on avait les moyens d’analyses génétiques pour savoir à quel mollusque on avait affaire dans les tielles que nous avons goûté à l’aveugle.” Le jury était composé de 35 passionnés locaux d’âges, de professions et de sexes différents dont des Sétois au palais affirmé. Au final, les notes ont nettement parlé : c’est bien celui qui cuisine qui fait le goût que l’on utilise des encornets, du poulpe de roche ou du poulpe de sable. Les notes dépendent du cuisinier. Ce qui correspond à sa définition d’origine : “Un plat du pauvre garni des restes de la pêche”, rappelle Sophie Arnaud-Haond.

“Les erreurs d’étiquetage ont miné la confiance des consommateurs dans leurs choix alimentaires”

Des analyses scientifiques ! Ph. Ph. Olivier Ripoll.

Dans l’introduction de l’étude, il est dit : “Dans les régions côtières de France, les produits de la mer constituent un élément clé de la cuisine traditionnelle et sont appréciés par les consommateurs comme des aliments de qualité. Cependant, au cours des dernières décennies, les erreurs d’étiquetage des produits alimentaires ont miné la confiance des consommateurs dans leurs choix alimentaires. Dans cette étude, nous avons utilisé l’identification génétique des espèces de fruits de mer utilisées pour préparer un plat traditionnel de la ville de Sète, pour initier une discussion sur l’étiquetage et la durabilité des aliments. Le plat, nommé Tielle sétoise, est une tarte traditionnellement garnie de poulpe cuit dans une sauce tomate épicée.”

“La récente substitution du poulpe par des calamars volants géants a déclenché des débats parmi les habitants”

Ajoutant : “La récente substitution du poulpe par des calamars volants géants (Dosidicus gigas) a déclenché des débats parmi les habitants sur la manière dont l’utilisation de céphalopodes non indigènes Les espèces ont un impact sur la saveur des tielles. Pour tester cette hypothèse, nous avons coordonné un événement de dégustation impliquant 35 testeurs de la population locale et utilisé le métabarcoding du gène CO1 pour identifier la composition en espèces de 25 tielles différentes. Outre les espèces de poulpes disponibles localement, y compris les espèces commerciales communes espèces Eledone cirrhosa, E. moschata et Octopus vulgaris, nous avons trouvé des calmars volants géants dans 17 des 25 tielles, dont huit (35 %) étaient étiquetés à tort comme des produits à base de poulpe.”

“La saveur dépend davantage de la manière dont les tielles sont préparées que de l’espèce de céphalopodes utilisée”

Ph. Olivier Ripoll.

Du coup, contrairement à la croyance locale, des évaluations anonymes par dégustation à l’aveugle n’ont montré “aucune corrélation significative entre la saveur ou le prix d’une tielle et la composition en céphalopodes de sa garniture. Nos résultats soutiennent l’impact de la texture, de l’acidité et des épices sur la saveur, suggérant que la saveur dépend davantage de la manière dont les tielles sont préparées que de l’espèce de céphalopodes utilisée”, précise l’étude. “Les participants à notre étude ont exprimé leur volonté de faire des choix éclairés concernant l’achat de tielles en fonction de l’empreinte carbone et de son impact sur les stocks de céphalopodes. Nos résultats appellent à des recherches plus approfondies pour permettre aux citoyens de faire des choix alimentaires éclairés. Notre étude met également en évidence la nécessité d’améliorer l’étiquetage des céphalopodes commercialisés afin d’améliorer la communication entre l’industrie alimentaire et la société, ainsi que la possibilité d’évaluer cela grâce à la science citoyenne.”

Alors que le tourisme à Sète augmente et que l’attrait pour la gastronomie locale augmente, la tielle est devenue populaire en tant que partie intégrante de l’identité et du patrimoine culturel de la ville”

Reste tout un débat à trancher que l’étude fait poindre : “L’industrialisation de l’alimentation sur un marché mondialisé qui dure depuis des décennies a récemment généré une réaction négative de la part des consommateurs recherchant de plus en plus de produits locaux (Bricas et al., 2013). Cette observation est courante en France, où l’alimentation locale et régionale est souvent associée à une plus grande confiance dans le contenu et une meilleure qualité.”

“En conséquence, la perception par les consommateurs de la qualité des aliments et de leurs propriétés organoleptiques (évaluées par le goût, l’arôme, la vue, la couleur et la texture) (Spence, 2013) diffère entre les aliments locaux et non locaux (Fan et al., 2019). Cela est particulièrement vrai en Europe, où les plats traditionnels et locaux sont promus et où les offres culinaires sont essentielles au tourisme culturel (Muntean et al., 2010). Alors que le tourisme à Sète augmente et que l’attrait pour la gastronomie locale augmente, la tielle est devenue populaire en tant que partie intégrante de l’identité et du patrimoine culturel de la ville. La réputation grandissante de ce plat reflète le développement de la ville de Sète, d’un port de pêche et de commerce à un centre touristique au cours des dernières décennies.”

Confiance, gestion des espèces…

Ph. O.SC.

À mesure que la demande augmentait, les tielle passèrent de l’artisanat familial au commerce de détail. Aujourd’hui, la tielle se retrouve principalement dans plusieurs dizaines de petits magasins spécialisés (combinant production et vente au détail) et de restaurants en ville et aux alentours, mais elle est également produite industriellement et vendue dans les grandes surfaces à travers tout le pays. “L’augmentation récente de la production industrielle de tielle pourrait toutefois semer la confusion et des perceptions erronées chez les consommateurs soucieux de la qualité des aliments.”

Enfin, en octobre 2021, les résultats anonymisés de cette étude inédite ont été présentés aux participants, à qui trois questions ont été posées : Faites-vous plus ou moins confiance aux détaillants tielle qu’avant ? ; Considérant que la saveur n’est pas associée à la teneur en espèces des tielles, vos critères de choix d’une tielle vont-ils changer ? ; La gestion des espèces est-elle importante pour vous, et pensez-vous que votre comportement de consommation peut l’influencer ? Le vote oui/non s’est fait à main levée, ce qui a laissé du temps pour une discussion ouverte…

Olivier SCHLAMA