Toulouse : Ces jeunes exilés qui s’intègrent grâce au français

En cinq ans, l’université fédérale de Toulouse a créé le programme Dilami comprenant, entre autres, des cours intensifs de français à quelque 300 jeunes réfugiés pour qu’ils poursuivent leurs études et s’insèrent dans la société. Elle fait partie d’un réseau qui a accompagné 7 000 jeunes partout en France. Une réussite.

Glakho a 22 ans. D’origine Géorgienne, menacé de mort dans son pays d’origine, il vit sous le statut de réfugié politique, à Toulouse, et veut “absolument s’intégrer à la société”, celle qui lui donne une nouvelle chance. Il a une idée fixe : “Devenir médecin !” Pour cela, son niveau de français doit être (presque) parfait. On en est pas loin.

Cours intensifs de français, formation à la citoyenneté…

Sur le territoire national depuis dix-huit mois, il participe à un dispositif qui fonctionne bien depuis son lancement en 2017 : le Dilami (Dispositif langues accueil migrant) a vu passer quelque trois cents étudiants, à raison de 60 par an. Qui ont suivi un programme spécial fait de cours intensifs de français, de modules d’ouverture culturelle et de formation à la citoyenneté leur permettant de poursuivre leurs études ou de bénéficier d’une insertion professionnelle adaptée à leur formation.

400 heures de cours par an, trois niveaux

Ces élèves de moins de 35 ans et au minimum bacheliers, viennent principalement de Syrie, Soudan, Iran, Géorgie, Libye, Afghanistan, Yémen… Mis en place par l’Université fédérale de Toulouse à destination des réfugiés et des migrants, son but est de leur permettre de s’intégrer le mieux possible. L’étudiant exilé peut alors bénéficier de 400 heures de cours par an à raison d’au moins 15 heures hebdomadaires. Avec l’équivalent en heures de travail personnel demandé.

Ce cursus se divise en trois niveaux que l’on pourrait résumer de la façon suivante : arriver à se présenter ; tenir une conversation avec des copains, de la famille ; et enfin le niveau “avancé” où l’on s’exprime avec nuance permet d’accéder aux études supérieures. Et ça marche ! 80 % des étudiants de ce groupe le plus avancé ont pu passer le DU passerelle (1). Ces cours intensifs sont des pré-requis pour aller vers d’autres formations qualifiantes.

“Vous devez porter le chapeau de là où vous vous êtes…”

“Depuis que je suis ces cours intensifs, d’autres réfugiés m’ont dit qu’ils aimeraient les suivre également.” Être français pour lui, au-delà du triptyque Liberté, égalité, fraternité, il lui ajoute : tranquillité et… poésie ! Où sera-t-il dans dix ans ? “Médecin !”, répète-t-il. L’argument sur le soi-disant trop plein d’étrangers en France des candidats d’extrême-droite ? Balayé : “Oui, il y a peut-être trop d’étrangers au goût de certains… Mais ce n’est pas un problème. Ce qui est un problème, c’est qu’ils doivent apprendre le français, la culture. Je suis d’accord avec les règles françaises. Il y a une expression dans ma langue natale : “Vous devez porter le chapeau de là où vous êtes…” 

Taux de réussite de 77 % !

Depuis cinq ans, quelque trois cents autres étudiants ont les mêmes rêves. Comme lui, ils ont suivi ce programme, la dernière promotion a d’ailleurs été diplômée il y a quelques semaines, avec un taux de réussite de 77 % ! Sur 60 étudiants, 46 ont validé leur année. À l’issue de leur formation, 24 d’entre-eux sont passés dans le niveau supérieur, 15 poursuivent leurs études en licence ou master (11) ou en formation professionnelle (4). Sept étudiants ont renoncé à leur projet pour des raisons personnelles ou administratives.

Tout commence avec l’exode de Syriens en 2015

Sauvetage en Méditerranée. Photo Hara Kaminara / SOS Méditerranée

Le Dilami s’appuie sur les compétences linguistiques des étudiants organisés en trois niveaux : débutant, intermédiaire, avancé.” Glakho, lui, en est au niveau avancé. S’il a pu suivre des cours intensifs aujourd’hui, c’est grâce à une mobilisation, à l’origine, d’associations humanitaires qui, en 2015, s’alarment d’un exode sans précédent vers l’Europe et la France, du Moyen-Orient, notamment des ressortissants Syriens, retrace Isabelle Gueit, chargée de mission Dilami à Toulouse. C’était dans “l’urgence d’une demande des associations de soutien aux exilés qu’un réseau s’est mis en place, notamment à Toulouse”, précise-t-elle. “C’était une population différente de celles des précédentes vagues. C’étaient plutôt des jeunes, seuls ou en couple et diplômés qui fuyaient les persécutions à l’oeuvre dans leur pays d’origine, variable en fonction de leur confession et de leur implication dans leur pays.”

“Reprendre leur parcours de vie”

Face à cette situation d’urgence, plusieurs universités, comme à Lille (110 étudiants exilés par an), en Bourgogne (60), à Toulouse (60) et, désormais, à Montpellier et Perpignan, avaient proposé des cours de français “un peu sauvages” au départ pour permettre à ces réfugiés de “reprendre leurs études en France et reprendre leur parcours de vie”, précise Isabelle Gueit. Puis, en 2017, un réseau s’est constitué, professionnalisé, le réseau MEns (Migrants dans l’Enseignement supérieur).

Celui-ci  regroupe les universités engagées dans l’accompagnement des étudiants en exil. C’est là que se crée à Toulouse, le cursus Dilami. En 2019, cela se professionnalise encore davantage avec la création d’un DU (diplôme universitaire) national, de même niveau partout, reconnu par le ministère de l’Education nationale et qui a donc valeur nationale. Cette reconnaissance ouvre aussi droit à une enveloppe budgétaire.

Un DU qui ouvre droit à des bourses

En 2020, en France, le nombre de bénéficiaires d’une protection internationale s’élève à 300 000, selon l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Interrogée, Frédérique Pharaboz, conseillère éducation, jeunesse et culture à la Délégation interministérielle à l’accueil et à l’intégration des réfugiés (Diair) confirme que depuis 2017 le réseau informel, devenu une association en 2020, “s’est structuré au point de proposer un diplôme universitaire, le DU Passerelle, reconnu nationalement et qui ouvre droits à des bourses”.

Quelque 7 000 étudiants ont suivi ce parcours

La conseillère, qui travaille dans l’équipe d’Alain Régnier, délégué interministériel, ajoute : “Pas moins de 43 établissements – universités, écoles…- sont partenaires plus treize associations, notamment d’étudiants et le ministère de la Recherche et notre délégation interministérielle. Depuis le lancement du dispositif, il y a eu quelque 7 000 (1 500 part an) étudiants qui ont suivi le programme dans toute la France et 5 300 demandes d’aides acceptées, dont 41 pour des femmes, sur 4 000 demandes au total sur la période.”

Six sur dix poursuivent leurs études à l’université

Que deviennent ces étudiants avec ce “passeport” de langue française ? “Nos chiffres sont encore peu précis parce que ce dispositif est jeune et que nous venons juste d’avoir un chargé de mission qui s’en charge, confie encore Frédérique Pharaboz. Mais, grosso modo, 60 % des étudiants intègrent ensuite l’Université, souvent celle où ils ont validé leur DU. Ils vont plus volontiers en sciences, biologie, informatique et marketing au sens large. Ils vont beaucoup moins en lettres et en droit. 20 % autres pourcents entrent directement dans la vie active, notamment en intégrant de grosses associations spécialisées d’aide aux réfugiés. Enfin, les 20 % restants, qui n’ont pas atteint le niveau requis en français, repasse l’un dernier niveau dans une sorte de “redoublement”. On enregistre aussi quelques belles réussites professionnelles, comme cette jeune femme, Sarah, qui a réussi à intégrer l’Ecole nationale des arts décoratifs ou Mohamed qui a réussi le concours de médecine 730 jours après être arrivé en France…!”

Pour ceux parmi les réfugiés qui n’arrivent pas à décrocher de diplôme en français, le Conseil de l’Europe a imaginé “un passeport européen”. Après avoir rempli un formulaire et passé un entretien, le jeune réfugié peut faire valider son niveau, un master en chimie par exemple, qu’il avait obtenu dans son pays de naissance. A ce jour, quelque 600 de ces passeports, des EQPR, ont été distribués en France, avec un taux de succès de 83 %.”

Olivier SCHLAMA

  •  (1) En 2020-2021, avec l’aval du ministère de l’Enseignement supérieur, l’équipe enseignante a mis en place, à titre expérimental, le DU Dilami Passerelle pour les deux premiers niveaux. Avec pour objectif de dépasser les 70 % de diplômés.
  • Les étudiants de ce programme participent également à l’élaboration de spectacles. C’est l’opportunité pour chacun d’entre eux d’engager leur corps et leur voix sur les mots d’écrivains, des images d’artistes, des sons de musiciens et de partager des moments d’efforts individuels et collectifs. Cette année, le thème des rêves a été retenu et se traduira par une lecture à voix haute, le 13 avril 2022 à la Cave Poésie, et un spectacle de marionnettes- musiques, le 22 avril 2022, à La Fabrique de l’Université Toulouse Jean Jaurès.
  • Le Dilami est soutenu financièrement (chiffres pour 2021-2022) par la Région Occitanie (129 366€), l’Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées (31 730€), l’Agence universitaire de la francophonie (17 000€) et la Préfecture de la Haute-Garonne (10 000€). Plus d’un million d’euros sont mobilisés chaque année sur ces sujets par la Région pour ces projets, dont fait partie DILAMI, avec un formidable travail d’accompagnement à la reprise d’études grâce à des cours de français”, a souligné Nadia Pellefigue, vice-présidente de la Région Occitanie.
  • En septembre 2021, le dispositif toulousain s’est engagé dans une nouvelle étape : le diplôme universitaire devient un diplôme inter-universitaire (Diu), concrétisant ainsi la co-délivrance de diplômes pour les trois niveaux du Dilami par l’Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées et les universités respectives.

À Lire aussi sur Dis-Leur !