Terroir : Ces entreprises du patrimoine vivant qui font vivre nos savoir-faire d’exception

Conserverie Azaïs-Polito, Ph. DR.

Vingt-deux nouvelles entreprises d’Occitanie viennent d’obtenir le plus haut label, de la part de l’Etat, ce qui porte leur nombre à seulement 91 au total dans la région et à peine plus d’un millier en France. Un chiffre que l’Etat aimerait doubler en gardant les critères d’excellence particulièrement difficiles à cocher.

“C’est la plus haute distinction d’Etat pour une entreprise garante d’un savoir-faire français”, formule Véronique Britto. La directrice commerciale de la conserverie artisanale Azaïs-Polito, elle-même labellisée Entreprise du patrimoine vivant (EPV) est une intarissable passionnée.

Déléguée départementale de ce label d’exception, la Sétoise explique avec sa faconde pourquoi ces entreprises qui décrochent ce label “tirent” tout le monde vers le haut : “Ce sont des emplois non délocalisables ; c’est un label d’excellence qui n’a rien à voir avec certains “labels” mercantiles qu’il suffit d’acheter. Nous, c’est une vraie soupe de poissons de roche, artisanale, avec des oignons revenus dans l’huile d’olive, réalisée avec des machines spécifiques qui n’appartiennent qu’à nous et des poissons du Golfe du Lion. C’est une soupe sétoise avec 52 % de poissons de roche identique à celles réalisées au torchon, à la maison…” C’est comme cela que “notre société a “traversé les époques” sans se renier. Utilisant encore des machines d’époque comme des sertisseuses mécaniques.

Les grands-parents achètent nos produits, leurs enfants et leurs petites-enfants aussi. On aurait pu changer notre packaging, on ne l’a jamais fait…”

Véronique Britto
Véronique Britto, directrice commerciale d’Azaïs-Polito, à Sète. Ph. AP.

Pour cela, il faut pouvoir les réparer et engager des formations adéquates. Et avoir des mains expertes : “Il faut voir comment certaines de nos salariées vrillent le nerf des moules ! Cela fait 40 ans que je les observe et je trouve toujours cela incroyable, cette dextérité ; elles sont capables de farcir 450 kilos de moules en deux heures…! C’est ainsi que nous sommes capables de répondre à des demandes en petites séries, bistronomiques, comme on le ferait pour un sac Hermès… Attention, on ne se compare pas à Hermès ou Cartier. Mais, chez nous, c’est comme avant : les grands-parents achètent nos produits, leurs enfants et leurs petits-enfants aussi. On aurait pu changer notre packaging, on ne l’a jamais fait…”

C’est le pantalon en cuir strech que tout le monde a remarqué quand Johnny Hallyday le portait sur scène”

Sarah Saussol, de Cuirs du Futur à Graulhet (Tarn)
Ph cuirs du Futur, entreprise du patrimoine vivant

“Ce label vient aussi couronner des savoir-faire rares dans tous les domaines d’activité ; on en compte à peine plus d’un millier, ce qui est très peu et ces entreprises sont présentes un peu partout sur le territoire”, complète Guillaume Bondu, d’une manufacture de cuir, à Réalmont (Tarn), qui ne travaille à façon que pour les grandes maisons du luxe, une orientation stratégique salvatrice, qui “nous a permis de ne pas délocaliser voire de faire faillite”.

Sarah Saussol, de Cuirs du Futur à Graulhet (Tarn), ne dit pas autre chose, dont les 50 salariés travaillent également exclusivement pour des maisons de luxe comme Chanel ou des spécialistes du cuir. Avec une originalité : le pantalon en cuir strech “scié dans l’épaisseur de la peau et avec de l’élasthane contre-collé… C’est le pantalon en cuir strech que tout le monde a remarqué quand Johnny Hallyday le portait sur scène. Aujourd’hui, beaucoup de monde s’y est mis mais nous avons une vraie technicité et une vraie qualité à faire valoir pour nous démarquer avec ce label…”

“Il y a très peu de candidats parce qu’il y a beaucoup de critères sélectifs à respecter”

Ph cuirs du Futur, entreprise du patrimoine vivant.

Justement, une nouvelle belle livrée d’entreprises du patrimoine vivant vient d’être validée devant le préfet de région avec diplômes à la clef pour vingt-deux nouvelles entreprises labellisées Entreprises du patrimoine vivant (EPV) en présence de Luc Lesenecal, président de l’Institut pour les savoir-faire français. “Il y a très peu de candidats parce qu’il y a beaucoup de critères sélectifs à respecter ; c’est pas comme le Label Rouge où c’est juste mieux que l’industriel de base”, confie Véronique Britto.

“Cohérents avec notre histoire (…) nous sommes des sentinelles de la qualité”

Ph. Conserverie Azaïs-Polito.

La conserverie Azaïs-Polito, c’est “30 salariés et 3,5 M€ de chiffre d’affaires” dont 8 % à l’export dans 23 pays jusqu’en Chine et au Japon. “Ce n’est pas fou comme chiffre d’affaires et 60 ans d’existence parce que nous voulons maintenir une qualité dans nos produits et qui est présente chez nos salariés. Nous vendons un produit du terroir ; nous ne “vendons pas un prix”. Le terroir revient à la mode notamment à la suite des crises sanitaires mais nous nous sommes fidèles à la vision d’origine des fondateurs. Nous sommes cohérents avec notre histoire et de la cohérence naît la confiance. Nous sommes des sentinelles de la qualité”. Véronique Britto ajoute : “Nous avons aussi le label Collège culinaire de France, décerné par les plus grands chefs, mais on ne veut pas, pour l’instant, celui de MSC tant qu’il n’y aura pas de poissons du Golfe du Lion…”

1 035 entreprises du patrimoine vivant en France, 59 000 salariés, 14,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires

Créé en 2005 et délivré par le préfet de région pour une durée de cinq ans, “c’est le seul label de l’État récompensant les entreprises françaises artisanales et industrielles aux savoir-faire rares et d’exception. Sa valeur provient de la sélection exigeante opérée par l’Institut pour les savoir-faire français. “Ce label est une reconnaissance nationale et internationale et constitue un atout pour favoriser le développement des entreprises labellisées”, explique-t-on en préfecture.

On dénombre en France 1 035 entreprises du patrimoine vivant, employant 59 000 personnes et avec un chiffre d’affaires cumulé de 14,2 milliard d’euros. Dans le cadre de la Stratégie nationale en faveur des métiers d’art, le gouvernement a l’objectif d’obtenir en 2025, pour les 20 ans du label, un total de 2 500 entreprises du patrimoine vivant, “sans sacrifier l’excellence”. En Occitanie, ce sont aujourd’hui 91 entreprises du patrimoine vivant qui sont mises à l’honneur.

“Ce label fait rayonner le patrimoine français”

Les vingt-deux nouveaux chefs d’entreprise d’Occitanie et leur label en main. Ph. Préfecture d’Occitanie.

Pierre-André Durand, préfet de la région Occitanie, préfet de la Haute-Garonne, a félicité les 22 nouvelles entreprises labellisées de la région : “Ce label EPV récompense le travail que les entreprises et leurs salariés réalisent au quotidien pour maintenir l’excellence de nos savoir-faire, toujours à la pointe de l’exigence et au cœur d’une tradition régionale et nationale. Ce label fait rayonner le patrimoine français et confirme à quel point notre région occitane est riche en talents ainsi qu’en traditions industrielles, artisanales et manufacturières.” Les entreprises EPV seront ainsi particulièrement mises en valeur au sein du pavillon français de l’exposition universelle d’Osaka qui se tiendra du 13 avril au 13 octobre 2025, et dont le thème sera Audace et Savoir-faire.

“Les entreprises doivent répondre à des critères liés au patrimoine économique, à la maîtrise de techniques traditionnelles ou de haute technicité…”

Il y a d’autres avantages à décrocher ce label : il permet de “bénéficier d’une majoration du crédit d’impôt métier d’art (Cima), égal à 15 % de la somme des salaires et charges sociales afférents aux salariés directement affectés à la création d’ouvrages réalisés en un seul exemplaire ou en petite série, ou à la restauration du patrimoine (contre 10% pour les entreprises non labellisées)”, explique-t-on en préfecture.

Comment bénéficier du label ? “Les entreprises doivent répondre à différents critères liés au patrimoine économique, à la maîtrise de techniques traditionnelles ou de haute technicité, et à un ancrage géographique ancien ou d’une grande notoriété”. Comme posséder des équipements, outillages, machines, modèles, documentations techniques rares. Il faut aussi qu’elles détiennent des droits de propriété industrielle liés à leurs produits et services ou à leurs équipements de production.

Ce n’est pas tout. “L’entreprise doit aussi mettre en œuvre une démarche active de création ou d’innovation pouvant générer un réseau de clientèle significatif.” Quant à son savoir-faire, il doit être spécifique et “détenu par un petit nombre d’entreprises, contribuant de manière significative à sa valeur ajoutée produite”. Parmi les critères, il faut que l’entreprise candidate forme elle-même des salariés, notamment des apprentis à des formations qui n’existent pas dans les voies de formation habituelles.

Responsabilité sociétale, obligation géographique…

Ph cuirs du Futur, entreprise du patrimoine vivant.

Il y a aussi des obligations “géographiques”, comme la notoriété de l’entreprise ou l’exercice d’une démarche de responsabilité sociétale (et/ou) : “L’entreprise doit assurer une production dans son bassin historique ou est installée dans sa localité actuelle depuis plus de cinquante ans ou est établie dans des locaux qui ont une valeur historique ou architecturale” ; elle doit s’être distinguée nationalement ou par le fait qu’elle est “intervenue sur des biens appartenant au patrimoine protégé au titre des Monuments historiques ou encore sur des objets ou des meubles estampillés permettant de perpétuer un courant stylistique ou parce qu’elle fabrique des produits reflétant l’identité culturelle de son territoire”.

Enfin, l’entreprise candidate doit mener “une démarche de responsabilité sociétale à travers, par exemple, des actions de promotion de ses métiers auprès des jeunes publics ou une politique d’approvisionnement responsable privilégiant les circuits courts, etc.”

Depuis sa création, en 2005, le label a été attribué à 3 600 entreprises. Ces prestigieux lauréats sont actifs dans huit univers de marché : les équipements industriels, médicaux et mécaniques, les arts de la table, la culture et la communication, la gastronomie, l’architecture et le patrimoine bâti, la mode et la beauté, l’ameublement et la décoration, les loisirs et les transports. Les univers de l’ameublement et de la décoration, ainsi que de la mode et de la beauté, sont les univers regroupant le plus d’entreprises du patrimoine vivant (44 % du total). L’univers de la mode et de la beauté cumule à lui seul plus de 50 % du chiffre d’affaires total des EPV (chiffres Inma 2021).

Olivier SCHLAMA

À lire également sur Dis-Leur !

Métiers d’art : Comment sauver un savoir-faire unique au monde

Patrimoine : “Les métiers d’excellence, l’âme de notre France, en danger !”

Unesco : La Maison Carrée de Nîmes entre au patrimoine mondial !

liste Entreprises lauréates 2023 2024