Tarn/Hérault : En pleine sécheresse, un collectif de citoyens bout face au “forage Danone”

[Mis à jour le 11 mars 2023] Dans la petite commune de Murat-sur-Vèbre, les habitants refusent un nouveau captage qui relierait sur 20 km l’usine d’embouteillage de l’eau de la Salvetat. “Gardons cette eau pour l’avenir…!”, défend un membre du collectif de l’eau du Montalet. Le maire propose une consultation citoyenne. Le géant Danone réagit : “Dans un contexte de sécheresse, nous sommes parfaitement conscients que ce projet puisse susciter des interrogations (…) Il s’agit “d’un projet à long terme sachant qu’il n’y a pas de problème de renouvellement de la ressource à la Salvetat…” Début mars 2023, le collectif apprend que Danone jette l’éponge !

Pas question de vivre un nouveau Manon des Sources au pays des iconiques biotopes et autres tourbières tarnaises et accessoirement des emblématiques salaisons. Spontanément, à Murat-sur Vèbre dans le Tarn, où résident moins de 1 000 habitants, où cet été un arrêté préfectoral avait interdit prélèvements et irrigation, un collectif s’est levé contre les velléités supposées de la multinationale Danone, propriétaire de l’usine d’embouteillage de l’eau pétillante de la Salvetat-sur-Agout, dans l’Hérault, à 20 km de distance. Surprise, Début mars 2023, le collectif apprend que Danone jette l’éponge ! (1)

“Danone semble manquer d’eau…”

“Actuellement, Danone, qui semble manquer d’eau dans l’Hérault, fait un forage “test” pour faire face à la menace que ce forage fait peser sur la ressource en eau, un collectif d’habitants, d’agriculteurs, d’industriels de l’agro-alimentaire, de retraités, de résidants secondaires, de touristes s’est constitué pour s’y opposer”, indique “Jean”, prénom d’emprunt d’un éleveur local. On a été surpris de la diversité des membres de ce collectif.

Le collectif de l’eau du Montalet a lancé une pétition

Tout commence en mars dernier. Les prémices d’un forage laissent des traces. Des agriculteurs s’en soucient, évidemment.On a alors rencontré confidentiellement à quelques agriculteurs la directrice des sources d’eaux minérales chez Danone, Cathy Le Hec qui nous a dit de n’en parler à personne et de ne pas nous inquiéter : que c’est un forage exploratoire et que Danone n’a pas de problème de ressource en eau”, souligne Jean. Le collectif de Défense de l’eau du Montalet a lancé une pétition ICI qui a déjà recueilli plus de 1 722 signatures.

Plus judicieux de laisser cette réserve en l’état pour l’avenir. Nous sommes entourés d’un environnement exceptionnel mais fragile fait de tourbières, de sites Natura 2000 et on est au point le plus bas, en pleines zones humides…”

“Nous avons réclamé à cette responsable de venir à une réunion publique en juin ; elle n’a pas répondu ; alors, on a décidé de porter cette affaire sur la place publique. La plupart des maires du coin sont défavorables à ce forage. On est dans un contexte de sécheresse historique et nous pensons qu’il est plus judicieux de laisser cette réserve en l’état pour l’avenir. Nous sommes entourés d’un environnement exceptionnel mais fragile fait de tourbières, de sites Natura 2000 et on est au point le plus bas, en pleines zones humides. Si ces sites-là manquent d’eau…”

Dans le texte de la pétition, on peut aussi lire : “Nous, habitants du territoire des Monts de Lacaune et de la montagne du Haut Languedoc, résidents secondaires, résidents touristiques, citoyens soucieux de notre avenir, sommes inquiets au sujet du projet de forage de l’entreprise Danone sur la commune de Murat-sur-Vèbre.”

Roquefort, viande labellisée, tourisme vert…

“Ce territoire est réputé pour son environnement d’exception avec une économie locale diversifiée : une agriculture de qualité (AOC Roquefort, Viande sous labels de qualité), une activité traditionnelle salaisonière, ses eaux minérales, son tourisme vert (lacs, forêts…) Autant d’activités qui subissent de plein fouet un été 2022 particulièrement sec et chaud dont la fréquence des épisodes va s’accélérer. Avec, déjà, des effets immédiats : des difficultés d’affouragement des troupeaux, l’assèchement des prairies, une baisse de niveau des nappes alluviales, du débit des cours d’eau et sources et du lac du Laouzas… “

“À terme, ajoute le texte, cela pourrait concerner l’approvisionnement en eau potable ! Dans ce contexte, nous ne voulons pas que l’eau du territoire serve des intérêts industriels en étant exportée hors du bassin où elle naît ! De l’eau , pas des euros !”

Le maire propose une consultation citoyenne

Contacté, le maire de Murat-sur Vèbre, Daniel Vidal, fait montre de “neutralité. De ma place, je ne veux pas prendre position pour ou contre ou faire état d’un avis personnel”, confie le maire. Daniel Vidal a, par ailleurs proposé “une consultation citoyenne publique à l’échelle communale” auprès de ses administrés. Il est en attente du feu vert de la préfecture du Tarn. Si une telle consultation était organisée, “notre conseil municipal se rangera derrière le résultat”, dit-il. De la même manière, celui qui est aussi président de la communauté de communes des Monts de Lacaune et Montagne du Haut Languedoc ajoute que “le président de cette intercommunalité n’a pas le pouvoir d’étendre cette consultation citoyenne à toutes les communes adhérentes”. De la même manière, Daniel Vidal, par ailleurs conseiller départemental, dans l’opposition, n’a pas saisi le président du Département du Tarn sur cette question. “C’est au préfet de prendre ces avis-là”, se retranche-t-il. La préfecture a réagit par communiqué (ci-dessous).

Le maire avoue ne pas bien vivre cette situation, confiant avoir reçu “des attaques et des menaces personnelles et envers ma famille ; j’ai déposé plainte…” Lui-même agriculteur, subissant les affres de la sécheresse, Daniel Vidal, “sensible aux inquiétudes”. Il tient à rappeler que “Danone a obtenu le feu vert des services de l’Etat sur une source privée”.

Danone : “Réglementation très stricte”

De son côté, Danone réagit par écrit. D’abord, le contexte : “En tant qu’eau minérale naturelle, La Salvetat se caractérise par sa naturalité, sa pureté originelle et la stabilité de sa composition minérale. L’eau minérale naturelle est un produit alimentaire extrêmement contrôlé et soumis à une réglementation très stricte. L’exploitation de cette ressource nécessite dans tous les cas, une autorisation de la part de l’Agence régionale de santé et de la direction départementale des territoires, ainsi qu’une approbation du préfet.”

Ensuite, Danone explique respecter l’environnement : “La Salvetat travaille depuis 10 ans dans le cadre de l’association PEPS’S pour protéger l’environnement et les ressources en eau en étroite collaboration avec les communes, les agriculteurs, les chambres d’agriculture du Tarn et de l’Hérault, le Centre de développement de l’agroécologie (CDA), le CPIE du Haut Languedoc, le CRPF et l’ONF.”

Et d’ajouter : “Depuis plus de 30 ans à La Salvetat, nos équipes d’hydrogéologues réalisent et font réaliser des études pour renforcer la connaissance des hydrosystèmes locaux et mieux comprendre les écoulements d’eau souterrains. Les nouvelles connaissances acquises grâce à ces études permettent de garantir au quotidien la préservation des ressources en eaux du territoire, optimiser leur gestion et évaluer les possibilités de développement futur.”

“Nous sommes engagés à effectuer des prélèvements inférieurs à la recharge naturelle de la nappe”

Murat, un projet sur le long terme : “C’est dans cette perspective qu’en 2020, nous avons souhaité mettre en place un forage d’étude sur la commune de Murat-sur-Vèbre. Il s’agit d’un projet à long terme sachant qu’il n’y a pas de problème de renouvellement de la ressource au niveau de l’impluvium de La Salvetat (système de captages et de conservations des eaux pluviales, Ndlr) et que nous sommes engagés à effectuer des prélèvements inférieurs à la recharge naturelle de la nappe.”

Ce projet d’étude a été “présenté, ajoute la multinationale, en janvier 2020 aux maires de Murat-sur-Vèbre, Nages et de Lacaune ainsi qu’aux membres de l’association PEPS’S (à savoir les maires de La Salvetat sur Agout, Nages, Lamontélarié, Anglès et Fraisse-sur-Agout) afin d’en expliquer les objectifs et étapes clés.” Et : “Les travaux de forage pour cette étude ont été finalisés en mars 2022 et permettent aujourd’hui d’effectuer des contrôles de la qualité de l’eau. L’eau prélevée est immédiatement restituée au milieu naturel à proximité du forage.”

“Les études liées à ce forage sont toujours en cours”

Enfin, comme nous l’écrivions plus haut, “une réunion d’information a été organisée en mars 2022 en mairie de Murat-sur-Vèbre, avec la participation de cinq agriculteurs, une représentante de la chambre d’agriculture du Tarn, des maires de Murat-sur-Vèbre et de Nages, du propriétaire des terrains concernés et du directeur de l’usine de La Salvetat. Nous n’avons émis aucune limite d’invitation à l’occasion de cette réunion car nous prônons une gestion responsable et transparente de la ressource en eau, à La Salvetat, comme sur l’ensemble de nos impluviums. Les études liées à ce forage sont toujours en cours. Par conséquent, nous ne sommes pas en mesure d’affirmer que cette ressource répond aux caractéristiques de l’eau minérale naturelle de La Salvetat.”

“Nous avons pris contact avec le collectif de défense…”

Danone tient à souligner “qu’en juin 2022, une réunion dite publique a été organisée par le collectif de Défense de l’eau du Montalet incluant des agriculteurs préalablement informés de notre projet. Danone n’a été ni invitée ni sollicitée pour y assister ; nous avons appris sa tenue par voie de presse, ce que nous déplorons”.

Et de conclure : “Dans un contexte de sécheresse, nous sommes parfaitement conscients que ce projet puisse susciter des interrogations. Aussi, nous avons pris contact avec ce collectif ainsi qu’avec les élus du territoire pour les inviter à échanger et répondre à toutes leurs questions et ainsi – nous l’espérons – dissiper toute inquiétude et poursuivre le dialogue de façon sereine.”

Olivier SCHLAMA

(1) Dans un communiqué parvenu à notre rédaction, le Collectif de défense des eaux du Montalet “prend acte avec satisfaction de la décision de Danone de ne pas demander d’homologation pour qualifier les eaux de la nappe qui faisait l’objet d’un forage exploratoire sur la commune de Murat sur Vèbre (81). Celle-ci ne sera donc pas exploitée pour alimenter l’usine de La Salvetat (Hérault). Le collectif note cependant que cette décision n’est pas définitive mais est prise compte tenu du fait que « les besoins actuels de la marque sont couverts par les ressources déjà prélevées. 
À plus long terme, la vigilance est donc de mise. On peut se demander quel est le vrai motif de ce renoncement ? La pression des habitants inquiets pour leur ressource en eau, inquiétude largement relayée dans les médias nationaux ? La qualité des eaux prélevées n’est pas satisfaisante ?

Par ailleurs Danone réaffirmant dans son communiqué que ces forages exploratoires ont pour but de renforcer la connaissance des hydro systèmes et des écoulements des eaux souterraines, le collectif demande que les connaissances acquises lors de cette campagne soient partagées avec les populations et les élus locaux.

Enfin le Collectif de défense des eaux du Montalet maintient son rendez-vous le samedi 18 mars, salle du petit train à Murat sur Vèbre, de 15 heures à 23 heures, pour échanger avec nos invités de Volvic et Vittel et, bien sûr, faire la fête !!”

  • Dans un communiqué, la préfecture du Tarn a réagi. “Le groupe Danone a en effet déposé auprès de la direction départementale des territoires du Tarn, en janvier 2021, une déclaration pour réaliser deux forages de reconnaissance afin d’évaluer la faisabilité d’exploiter cet aquifère pour une éventuelle activité d’embouteillage, les eaux concernées ayant des caractéristiques proches de celles de l’eau minérale naturelle de La Salvetat. Les forages réalisés ne sont donc pas des forages d’exploitation.”
  • Si la multinationale  devait envisager une exploitation de cet aquifère, il lui faudrait demander “une autorisation d’exploiter le forage, de transporter l’eau, de la conditionner, de la caractériser comme eau de source ou comme eau minérale. L’agence régionale de santé assurerait l’instruction de ce dossier”. Et aussi : “Une autorisation de prélèvements si le volume d’eau est supérieur ou égal à 200 000 m3/ an. La DDT du Tarn serait en charge de l’instruction de ce dossier.”
  • Enfin, toujours du côté de la préfecture du Tarn, “si le groupe Danone se déclarait intéressé par une exploitation du site, les services de l’État, sous l’autorité des préfets des départements de l’Hérault et du Tarn, examineraient avec la plus grande attention les dossiers nécessaires et associeraient pleinement les acteurs locaux concernés par un tel projet, à commencer par la municipalité de Murat-sur-Vèbre. À ce jour, les services de l’État n’ont pas été saisis de telles demandes et aucune demande n’a été formulé aux municipalités, notamment de Murat-sur-Vèbre.”
  • Dernière remarque : “Ces forages suscitent des réactions qui ne sont pas admissibles dans un État de droit. Le préfet du Tarn condamne fermement les pressions et les insultes dont fait l’objet le maire de Murat-sur-Vèbre et tient à lui témoigner tout son soutien.”