Pyrénées ariégeoises (1/3) : Des randos pédagos nocturnes pour protéger les trésors de la nature

Des vaches paissent tranquillement dans un nuage de brouillard statique, magique, imprimant une ambiance apaisante, mais nouvelle preuve d'une température nocturne trop élevée... Au coeur du parc naturel régional des Pyrénées-Ariégeoises. Photos : Olivier SCHLAMA

Ils ne sont pour l’heure que quelques amateurs à pouvoir profiter de randos naturalistes rendues possibles dans des zones Natura 2000 depuis trois ans grâce à huit médiateurs montagne. Reportage au plateau de Génat, où l’on goûte des fleurs ; où l’on observe les rapaces et où l’on se fond dans la nuit pour s’approcher d’animaux sauvages. Dans le respect de la faune et la flore. Pour le directeur du PNR, Matthieu Cruège, les “bons premiers résultats” enregistrés permettent d’étendre le dispositif qui est aussi éducatif.

Des randos nocturnes pour mieux s’éclairer sur l’importance de la nature. À la fin de cette soirée naturaliste, vers 23 heures, le silence total accepté à l’unisson par les compagnons de marche a une vocation rare : écouter et tenter d’observer les animaux qui vivent dans la montagne. La démarche, sous l’insigne protection de la voie lactée, n’est en rien angoissante. Elle est même, osons-le, initiatique. Loin des décibels de certains campings, la petite méharée familiale s’est, quelques heures avant, acclimatée au jour déclinant et à cette nuit annoncée, finalement protectrice. Où la vie se met à grouiller tout autour dans un drôle de ballet audible mais invisible. Et qui foisonne en mille et une couleurs comme un cri primal de la nature. Une respiration.

Ce n’est pas le lieu d’un vulgaire sport extrême mais de l’émotion extrême. Sans recours à l’adrénaline, cette émotion naît dans un écrin d’une beauté magnifique classé Natura 2000 et Znieff. On a goûté fleurs et plantes, entendu l’aboiement du chevreuil, on s’est sentis observés par des animaux très farouches… De quoi, aussi, cheminer intérieurement.

À 950 mètres avec un maximum de richesse du vivant

Au coeur du parc naturel régional des Pyrénées Ariégeoises. Plateau de Génat. Ph. Olivier SCHLAMA

Pour ce moment de luxe, il faut d’abord s’élever vers une crête recouverte d’un vert intense. C’est une balade naturaliste, facile d’accès, serpentant sur plusieurs kilomètres en plein coeur du parc naturel régional des Pyrénées ariégeoises. Une étonnante expérience, y compris avec soi-même où l’on sent une certaine liberté. Du partage. De la reconnexion. Intimiste.

C’est aussi – en bon français – ce que l’on appelle du slow tourisme – à l’opposé du tourisme de masse – qui a le goût de l’expérience unique et c’est normal, histoire de respecter la tranquillité de la faune et de la flore : pas de “troupeaux” de touristes sur le site : seulement deux balades sont proposées chaque semaine depuis le camping les Grottes. Direction, quelques centaines de mètres supplémentaires.

Après quelques minutes de lacets serrés, on pose la voiture pour une nature immédiatement accessible, le plateau de Génat (Ariège), à 950 mètres d’altitude, là où se déploie un maximum de richesses du vivant ; un terroir que l’on peut découvrir, hors du temps, avec un guide, le temps d’un crépuscule. Après des années comme gardien de refuge, Ivan Olivier, sec, élancé, sportif, a de multiples casquettes, dont celle de médiateur à l’environnement en montagne ; ils sont huit en Ariège. Photographe, aussi. Il a le sens du partage, bienveillance en bandoulière.

“J’ai l’impression de ne pas travailler”

La chélidoine, antiverrue. Ph. O.SC.

Ce mercredi 24 juillet, 19h30. Ivan Olivier, le bout des doigts recouverts de la corne caractéristique des travailleurs manuels et des habitués de la varappe, lâche, devant les deux familles embarquées dans cette mini expédition : “J’ai vécu une journée à 100 à l’heure. Mais quand j’anime ce genre de balade, j’ai l’impression de ne pas travailler…” Prise directe.

Traits tirés, sourire néanmoins toujours présent qui, de plus, rassure, quand il entame le parcours avec la découverte d’un panorama improvisé de la flore étonnamment efflorescente que l’on croise. On débute avec la chélidoine (prononcez “kélidoine”), l’herbe au latex antiverrue, “mortelle” si on l’ingère. “Ici, on se tutoie tous”, dit-il, avant de dire un mot sur sa pratique de médiateur auprès d’habitués de sports de nature et qui se veut éducative. La sensibilisation avant tout. Un travail au long cours qui vise à faire avec les touristes. Pas contre eux. De les accompagner. “Le déclic s’est produit quand je me suis aperçu que nombre de gens du camping n’en sortaient pas de tout leur séjour ; je trouvais ça dommage…”

L’ortie, reine des bonnes mauvaises herbes

Des orties. Ph. Olivier SCHLAMA

Reine des “bonnes mauvaises herbes”, l’ortie.  On s’arrêtera évidemment sur un bosquet de fameuses plantes dont on fait soupe, tarte, pesto… Riche en fer, bourrée d’antioxydants, favorisant la digestion, cette plante mal aimée à l’origine parce qu’urticante, se… mange aussi crue. Faut la pincer par l’extérieur pour éviter ses poils urticants. La replier, en faire une boule et la mâcher. Les participants ont apprécié son goût de haricot vert. Ivan Olivier dit : “La nature est bien faite. Au pied de chaque plante non comestible, voire dangereuse, on trouve son remède à quelques pas de là. Si on se pique accidentellement avec des orties, on peut, par exemple, extraire le jus du plantain et se l’appliquer en friction pour soulager la piqûre…”

Globulaires, millepertuis, achillée, origan…

Le millepertuis. Ph. OSC.

La balade, didactique, n’est pas prise de tête. On stoppe devant des globulaires, ou fleurs du trèfle. Puis, le millepertuis. On découvre encore, deux plantes à l’opposée l’une de l’autre symbole de cette nouvelle tendance à l’herboristerie : d’abord, la ciguë, mortelle : aucun remède de viendra vous sauver…! “Un gros bouquet embarqué dans une voitures toutes vitres fermées et vous pouvez en être étourdi…” Il cite aussi  l’achillée, une vivace qui, elle, aurait des vertus médicinales, contribuant notamment à traiter les infections respiratoires. Origan, pulmonaire officinale… Et fleurs en tous genres… Comme la bardane qui a “inventé” le velcro. On a admiré l’oeillet des Pyrénées et accessoirement le campanule.

La cardère piège les insectes après les pluies !

Intermède. On voit s’élever dans un épais silence les rois des airs : un aigle royal “qui fait sa tournée” ; plus tard, nous aurons la chance d’admirer des gypaètes barbus dont un couple niche dans une cavité proche de la grotte de Niaux, dernier géant de la préhistoire… Des rapaces protégés. On replonge, guidés, les yeux au niveau de la terre meuble, encore gorgée d’eau de pluie de ces derniers jours.

Au coeur du parc naturel régional des Pyrénées-Ariégeoises. Photos : Olivier SCHLAMA

Cette fois, c’est un beau bouquet de cardère dont “les oiseaux adorent manger la fleur. C’est une plante étudiée par l’Inra (Institut de la recherche agronomique) tellement elle est intéressante” ; mieux, on ne la qualifie pas de plante carnivore mais on pourrait presque le faire tant elle est ingénieuse : elle propose une belle adaptation, surpassant ses consoeurs qui se nourrissent, elles, seulement de soleil et d’eau. La cardère ajoute à son menu perso des nutriments apportés par les insectes qui ont la mauvaise idée de se faire piéger dans ses feuilles assemblées en mini-piscines quand il pleut. On bifurque sur la plante de base des murs végétaux, le sédum. Il est l’heure de croiser la route de la vipérine commune. “Vous n’imaginez pas combien elle a sauvé de personnes, cette plante…!” : c’est un puissant antiseptique et anti-venin de serpent pour peu que l’on sache préparer la alcoolature, une macération alcoolique.

Le moment est propice à une réflexion sur soi, aux confidences, même en présence d’inconnus

Balade nocturne au coeur du parc naturel régional des Pyrénées Ariégeoises. Photos : Olivier SCHLAMA

À l’heure du casse-croûte, direction un petit pré recouvert d’un abondant tapis de plantes d’une riche biodiversité. Face à nous se dresse un panorama à couper le souffle. Les montagnes, qui s’élèvent, massives, de part et d’autre de la vallée de Vicdessos, se parent alors d’une attirante couleur mordorée dans les prémices frissonnantes de la nuit légèrement humide qui nous enveloppe. Le moment est propice à une réflexion sur soi, aux confidences, même en présence finalement d’inconnus.

Une mère de famille raconte, par exemple, un événement marquant : l’épopée à vélo, seule, entre La Rochelle et Sète via le Canal des Deux-Mers par forte tramontane. Pas facile. Ivan nous montre, lui, les différents appeaux qu’il possède pour imiter les cris d’animaux. Il y en a un particulièrement étonnant, imitant le hibou Grand Duc. Il faut souffler avec le nez (!) et ouvrir la bouche savamment pour en faire sortir la bonne imitation sonore. “Attention, cela s’utilise avec parcimonie.” Pas question se s’en servir comme d’un vulgaire outil pour siffler les bêtes sauvages comme son caniche. Toujours l’éducation à la cohabitation avec le sauvage.

“Bienvenue au plateau de Génat, le vrai !”

Balade au crépuscule et de nuit au coeur du parc naturel régional des Pyrénées Ariégeoises. Photos : Olivier SCHLAMA

L’ours s’impatronise dans la discussion. Forcément. “J’en ai jamais vu ! C’est ma grande déception alors que j’ai posé quatre caméras de chasse…”, maugrée Ivan Olivier, pas fanfaron pour deux sous. L’Office français de la biodiversité a comptabilisé 76 plantigrades l’an dernier dans le massif des Pyrénées, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. On va justement les relever. Ivan en exploitera plus tard les 76 images qui ont été prises. Peut-être certaines montreront le passage d’ours et… Des vaches, sans doute aussi, qui paissent tranquillement tout près, dans un nuage de brouillard statique, magique, imprimant une ambiance apaisante, mais nouvelle preuve d’une température nocturne trop élevée, 22 degrés à 22 heures… On évoque entre randonneurs l’importance des vieilles forêts et de leur rôle de pièges de gaz à effets de serre. Avant de faire nous-mêmes silence un bon quart d’heure. Direction, la nuit noire pour tenter de s’y fondre et observer des animaux.

Aboiements rauques des chevreuils adultes et ceux, plus clairs des petits aux sons plus clairs…

La pulmonaire officinale au coeur du parc naturel régional des Pyrénées Ariégeoises. Ph. O.SC.

“Bienvenue au plateau de Génat, le vrai !”, présente alors d’un trait, solennellement, Ivan. “On a de la chance pour l’observation, l’herbe des champs a été coupée ; on croise les doigts”, ajoute-t-il en dirigeant sa lampe torche hyper-puissante, capable d’envoyer des rais de lumière blancs, rouges ou verts à l’autre bout du champ.

En lisière de forêt, des aboiements rauques, gutturaux, se répondent d’un côté et de l’autre du champ où nous patientons, toutes lumières éteintes, souffle léger. Ce sont des chevreuils adultes. Peu avant, c’étaient leurs petits produisant des cris plus clairs. On a fait fuir un renard. Au final, la quasi-totalité des animaux restent farouchement cachés sous la lueur des étoiles.

Les ronds de lumière de sa Olight n’y peuvent rien. Hormis une chouette chevêche qui s’envole de son nid dans un trou d’arbre après que Ivan eut frotté un bout de bois sur le tronc, signe pour cet oiseau d’un danger. Même là, il explique que ce subterfuge est utilisé par les naturalistes pour compter avec fiabilité les populations. Et qu’il n’est pas à reproduire. Sur le chemin du retour, Ivan, interrogé sur son bestiaire préféré, confie trouver la martre “fantastique“, furtive, avant de se reprendre et dire lui préférer la genette et sa “jolie gueule de chat”, tout aussi fugace et intelligente. “Mais on en voit peu.”

Réchauffement climatique est à l’oeuvre…

Ivan suit la même quête initiatique du surfeur du Pacifique à la recherche de LA vague idéale. Donc introuvable. “On voit peu d’animaux, se désole-t-il, sans doute à cause du réchauffement climatique. 22 degrés en pleine nuit… plus généralement, on voit de moins en moins de passereaux et quasiment pas de vers luisants, un intéressant bio indicateur… On se focalise sur le loup ou l’ours parce que ce sont de gros animaux, des mammifères, mais pas à toute la chaîne animale et à l’écosystème…” Cette balade naturaliste y contribue.

“Nous allons poursuivre, pérenniser et développer le dispositif dans d’autres vallées”

Bouquetins dans le parc naturel régional des Pyrénées Ariégeoises. Ph. Fourcat-Julien Canet

C’est aussi le sentiment de Matthieu Cruège. Le directeur du parc naturel régional des Pyrénées-ariégeoises confie sur cette expérience : “C’est la troisième année que nous mettons en place huit médiateurs de montagne dans les zones protégées Natura 2 000 : sur Biros, le Mont Valier, l’étang de Lers et aussi là où l’on a réintroduit des bouquetins. Déjà, nous enregistrons de bons résultats avec la présence des huit médiateurs montagne que nous avons missionnés cette année. Nous allons poursuivre, pérenniser et développer le dispositif dans d’autres vallées. On se rend compte que les comportements et les usages évoluent. C’est assez révélateur en cette période post-covid.”

Drones pour filmer les troupeaux de bouquetins…

Et cela ne va pas forcément dans le bon sens. Il insiste sur “des codes et des pratiques importés depuis la ville. C’est comme s’il n’y avait plus de sas et qu’on les importe en montagne : on nous rapporte par exemple l’utilisation de drones pour survoler et filmer les troupeaux de bouquetins, ce qui est interdit et qui leur fait peur ; les gens amènent aussi leur musique au bord des lacs, comme s’ils étaient à Port-Barcarès… Sans respecter la tranquillité de la faune. Eh bien, en montagne, c’est non.” Il y a donc tout un respect à transmettre.

Matthieu Cruège ajoute : “Les panneaux, les gens ne les respectent pas ; les applis…Trop de numérique tue le numérique. Nous avons donc décidé de recréer du contact humain ; du dialogue avec les gens qui viennent en montagne. Cela nous permet d’avoir aussi des infos qui remontent du terrain. Les gens vivent ainsi une vraie expérience…”

Olivier SCHLAMA

La scabieuse. Parc naturel régional des Pyrénées Ariégeoises. Ph. Olivier SCHLAMA
La fleur du trèfle. Parc naturel régional des Pyrénées Ariégeoises. Ph. Olivier SCHLAMA
L’origan. Parc naturel régional des Pyrénées Ariégeoises. Ph. Olivier SCHLAMA
Achillée mille-feuilles, fleur de carotte sauvage et mortelle ciguë peuvent se ressembler… Quand on ne connaît pas, on ne ramasse pas… Photo : Olivier SCHLAMA

À lire également sur Dis-Leur !

Ariège (2/3) : Immersion magique à Niaux, seul géant de la préhistoire encore ouvert au public

Ariège : L’incroyable histoire de la paire de skis de la Retirada classée Monument historique !

Inédit : La forêt ariégeoise site pilote contre le réchauffement climatique