Ariège (2/3) : Immersion magique à Niaux, seul géant de la préhistoire encore ouvert au public

Grotte de Niaux. Photo : Olivier SCHLAMA

La “Niaux”, disent les autochtones qui personnifient la grotte comme si elle était de la famille. Son Salon Noir est d’une beauté rare. Sous-estimée. Lampe en main, on s’y enfonce à la manière de ses premiers explorateurs. Le chemin – en prise directe avec l’histoire de l’humanité – est peu aménagé et, dans ce boyau, où la magie opère toujours, sont nées les premières spiritualités…

Le temps dure longtemps, parfois. Surtout quand il marque une pause. Dans la rotonde de la grotte de Niaux, si profonde, baptisée Salon Noir, tous les visiteurs – 25 maximum en même temps 25 minutes tout au plus à y refouler du gaz carbonique – 220 au total à la piétiner (le chemin est balisé) en une seule journée – ont, comme on le leur a demandé, éteint leur grosse lampe carrée prêtée. La guide fit de même. Avant de rallumer la sienne d’un coup sec.

Et là, la magie opère comme le flash d’une seconde d’éternité : on ressentit comme la répétition d’un moment originel dans un environnement protecteur. Énergie invisible. La guide, qui se défend de toute croyance de ce type, rapporte alors, frisson à l’appui, l’anecdote de l’un de ses collègues, se disant pourtant peu prompt à ce genre de manifestations “d’esprits” chagrins.

Traits fins, fissures de la roche servant de mise en relief ; ici, une queue d’animal ; le dos bosselé d’un auroch, là. De l’art servant une religiosité »

Grotte de Niaux. Photos : Olivier SCHLAMA

Ce dernier sentit, lui assura-t-il, une présence repoussant une conque – premier instrument à vent de l’histoire – , comme pour l’arrêter d’émettre, ici et maintenant, le moindre son. Synonyme de souillure profane ? Il y a encore quelques années, le guide pouvait se saisir d’une conque ou d’une flûte pour prouver à son auditoire l’extraordinaire acoustique de cette salle hors du temps. Une cathédrale. Une qualité qui en fit probablement un sanctuaire, un temple. Et où l’on peignait joliment. Traits fins ; fissures de la roche servant de mise en relief ; ici, une queue d’animal ; le dos bosselé d’un auroch, là. De l’art servant une religiosité. Naissance d’une humanité. Finalement, si loin, si proche.

Dans la grotte, le cheminement avait commencé quasiment deux heures plus tôt et très vite on s’est senti dans la peau d’un explorateur. Dans la pénombre sans âge. Deux heures à remonter le temps. À l’arrêter. Deux heures à s’enfoncer dans les boyaux souterrains. De la spectaculaire grotte de Niaux, plus de six cent quarante générations (16 000 ans) vous contemplent comme si on s’était calé dans le continuum temporel.

La chasse optimisée grâce à la mise au point du harpon et surtout grâce au perfectionnement du propulseur

Dans l’environnement de ces chasseurs-cueilleurs, on trouvait bouquetins, isards, des rennes de temps en temps, mais aussi perdrix des neiges, perdrix grise, chocard, grand corbeau, gypaète barbu, aigle royal, pie, lièvre variable, renard commun, renard polaire, couleuvre, campagnol... Sans oublier lions des cavernes ; panthères des neiges ; lynx ; loups. Les ours bruns étaient aussi présents dans le paysage. La chasse était optimisée grâce à la mise au point du harpon et surtout grâce au perfectionnement du propulseur, arme puissante adaptée aux espaces ouverts. Le régime alimentaire du paléolithique comprenait aussi de riches apports en fibres, fruits et végétaux sauvages.

Ce qui est tout aussi extraordinaire, c’est que l’on peut visiter cette grotte et le Salon Noir…”

Pascal Alard

Directeur culture et patrimoine au département de l’Ariège, Pascal Alard s’y rend souvent, “pas plus tard qu’hier et, depuis trente ans, dit-il. Et j’en suis toujours aussi ému. Se dire qu’il y a 16 000 ans, des gens ont fait des dessins de cette qualité, qui se sont si bien conservés, c’est extraordinaire”, confie-t-il. “Ce qui est tout aussi extraordinaire, c’est que l’on peut visiter cette grotte et le Salon Noir où l’on peut admirer 88 figures, principalement des animaux, essentiellement des chevaux et des bisons” et des formes géométriques (des sortes de traits, et de “flèches”…) dont on a perdu la signification.

Pas un fac similé à l’image de Chauvet

Deux heures, c’est si près, si loin. Armé d’une lampe à la lumière volontairement fluette – on imagine aisément un ancêtre avec une bougie voire une torche. Aujourd’hui, on ne braque pas de lumière crue pour ne pas davantage détériorer la centaine de représentations murales préhistoriques. Alors, précipitez-vous pour arpenter – sur 1,6 km – Niaux ! C’est la dernière grotte ornée d’Europe – le dernier géant de la préhistoire – qui reçoit encore du public sans que l’on ne lui présente un fac similé et ses reproductions, comme à Chauvet ou, pire, qui soit totalement fermée comme à Lascaux. Possibilité de dormir en contrebas, au bien nommé et très agréable Camping des Grottes. Détente et serviabilité assurées. Familial, il est très prisé pour la qualité de son offre.

La question du réchauffement climatique

Un animal local, le bouquetin, est aussi représenté, à Niaux. Sans oublier les proches ancêtres de nos chevaux rustiques, adaptés à la montagne et au froid, comme les bisaïeux du Mérens, ou du Prjevalski. Tout est peint avec d’admirables proportions. “Il ne reste que quatre autres grottes de ce type en Europe, à Altamira (Espagne), Lascaux, Chauvet… Niaux est la seule encore ouverte au public…” Pour combien de temps ? L’on aperçoit, notre oeil en était incrédule, dans la grotte, de voir ces peintures venues du fond des âges, être abîmées par des infiltrations d’eau ; ce qui a nécessité, par endroits, la pose de… gouttières. Certes, à ce jour, il y fait une température constante de 12 degrés. Mais le réchauffement climatique ne va-t-il pas, peu à peu, effacer ces magiques traces d’humanité ?

Grotte de Niaux. Photos : Olivier SCHLAMA

“Si c’était juste de l’art, il y aurait le dessin de Monsieur ou Madame Cro Magnon (…) C’est quelque chose qui est dicté et le moyen de l’exprimer, c’est de l’art”

Les dessins sont criants de vérité. D’un réalisme puissant. Pour Pascal Alard, “ce n’est pas de l’art pour l’art. L’art est là pour exprimer quelque chose. L’art pariétal représenté par des chevaux et des bisons, on va les retrouver un peu partout ; en Dordogne, en Espagne, au Portugal… C’est une thématique qui dure 25 000 ans. Si c’était juste de l’art, il y aurait le dessin de Monsieur ou Madame Cro Magnon. Il y aurait des arbres, le soleil.. Il y aurait l’inspiration de chacun. C’est quelque chose qui est dicté et le moyen de l’exprimer, c’est de l’art”. 

Début de la religiosité

Ces groupes humains qui la fréquentaient – on les appelle les Magdaléniens, en référence à la grotte originelle de la Madeleine, en Dordogne (1) – ils nous ressemblaient : même corpulence – même si, apparemment, ils étaient plus grands en moyenne – même apparence générale. Un peuple charnière qui vivait à l’extérieur, dans des tipis. La grotte, c’était pour les choses sérieuses qui ont à voir avec les débuts de la religiosité. Pour la relation à de possibles dieux anciens. On a cependant gardé trace d’animaux, principalement chevaux et bisons admirablement représentés, proportionnés, sur les murs les plus lisses de la grotte.

Grotte de Niaux. Photos : Olivier SCHLAMA

Et cette même envie de partage : certaines grottes des Pyrénées Ariégeoises – des restes, de dents de cachalots, par exemple, en témoignent – étaient des lieux de rassemblements de plusieurs “tribus”, parfois très éloignées. Et sans doute portées par une même envie de spiritualité.

À preuve, l’extraordinaire “rotonde”, au bout de la visite, donc, le fameux Salon Noir – qualifié ainsi parce que ses dessins, d’une beauté magique, ont été réalisés au charbon et ont pu être, pour deux d’entre eux, datés précisément au carbone 14. Oxyde de fer, hématite, charbon, voire adjonction de graisse animale. A mille ans d’intervalle ce qui fascine aussi de savoir que dix siècles plus tard, on est revenu peindre dans cette majestueuse grotte. Quoi d’autre qu’un important sanctuaire ? Pour quelle (ébauche de) religion ? Comment s’exprimait-elle ? Pourquoi s’exprimait-elle…?

Grotte de Niaux. Photos : Olivier SCHLAMA

L’important, c’est le chemin, la quête…

Deux heures, ce n’est pas long, en définitive. On a cru que quelqu’un avait claqué des doigts quand la lumière faiblarde des lampes s’est rallumé. En réalité, c’est davantage le chemin qui importe. La quête. Vers un ailleurs qui transcende. Les cinq bambins qui cherchaient en permanence, ce jour-là, à être les premiers aux avants-postes agrippant les basques de la guide, l’ont-ils spontanément compris – à moins que ce ne soit qu’un manque d’éducation ? En tout cas, pour ces enfants et les visiteurs c’est le chemin qui compte ! “Ce qui compte, ce n’est pas l’arrivée, c’est la quête”, comme dit Orelsan. De quoi arrêter le temps…

Grotte de Niaux. Photos : Olivier SCHLAMA

Il était jusque-là impossible que des gens arrivant avant Adam et Eve aient pu faire de tels dessins de cette qualité…”

Les Ariégeois l’appelle “Le Niaux” en personnifiant la grotte. Elle est très connue mais, finalement, pas de tous. “Elle l’est du monde scientifique… Il y a davantage d’étrangers du monde entier, et plus d’anglophones qui visitent que de francophones, s’étonne Pascal Alard. C’est un haut lieu de l’art préhistorique en Europe. C’est l’un des cinq géants de la préhistoire, selon la classification de l’abbé Breuil. Et le seul encore ouvert au public. Elle est connue depuis toujours.”

Et : “Déjà, en 1850, Adolphe Garrigou, préhistorien et médecin, de Tarascon-sur-Ariège, se demandait : “Il y a des dessins dans cette grotte. Mais qu’est-ce que cela peut bien être ? Si elle est vraiment connue depuis cent ans, c’est que la préhistoire est connue depuis cent ans. Dans un colloque de 1902, dans la Ville Rose, du Toulousain Emile Cartailhac avait fait le mea culpa d’un sceptique ; la religion prenant à l’époque une place très importante, il était jusque là impossible que des gens arrivant avant Adam et Eve aient pu faire de tels dessins de cette qualité…”

Plus d’un millier de graffitis, dès 1660 !

Grotte de Niaux. Photos : Olivier SCHLAMA

Les premières visites modernes attestées datent du début du XVII siècle. Plus d’un millier de graffitis constellent ainsi les parois de la grotte. En 1660, un visiteur nommé Ruben de la Vialle a laissé son nom dans le Salon Noir. Pas besoin de participer à un remake de Deep Time, une expérience hors du temps, dont Dis-Leur vous a rendu compte ICI.L’Ariège et plus spécialement la Haute-Ariège est perclue de grottes. Pourquoi ? “Nous avons de très grandes grottes très accessibles. C’est dû à des bandes de calcaires qui ne se sont pas plissées comme ailleurs. Dès la préhistoire, du coup, elles ont été occupées par l’homme. Et on a un remplissage post-paléolithique très faible”. Et beaucoup de ces grottes ont pu conserver leurs trésors jusqu’à notre époque.

Niaux Interdit : trois ans d’attente…

Il y a aussi, joyau du joyau, le Niaux Interdit, comme l’explique Pascal Alard : J’ai créé le Niaux Interdit en 2006 après l’ouverture exceptionnelle du réseau Clastres où uniquement 750 personnes ont été autorisées à aller lors du centenaire de l’authentification, des dessins de Niaux. En effet, on s’est rapidement rendu compte de l’intérêt d’un certain public pour approfondir ses connaissances des sites préhistorique. Cette visite de maximum douze personnes peut se réaliser une fois par mois sur réservation. À ce jour, nous sommes entre deux ans et demi et trois ans d’attente ; c’est une forme de visite privilège pour des personnes un peu plus initiées elles passent quatre heures dans la grotte à notamment visiter des réseaux non ouverts au public quotidiennement.” 

Truite ou saumon préhistorique. DR.

Cheffe des guides de Niaux, Myriam Cuennet que la visite peut atteindre quatre heures et que l’on fait vraiment le tour du Salon Noir, où l’on découvre notamment des gravures au sol ; “Après la même visite que d’ordinaire, on s’enfonce ensuite dans des galeries profondes jusqu’au lac terminal souterrain. Un parcours où l’on voit encore des peintures murales préhistoriques représentant des animaux, bisons, chevaux, bouquetins. Et même un auroch (taureau) et un poisson, saumon ou truite, les spécialistes n’ont sont pas d’accord”. Attention, si le parcours ne présente pas de difficulté majeure, il vaut mieux le faire avec des jeunes âgés d’au moins 13 ou 14 ans

Sur les 400 grottes ornées connues dans le monde, “il y en a dix extraordinaires, impressionnantes, dont Niaux”. Il ajoute : “Niaux fait partie d’un ensemble de galeries, le réseau Clastres, dont certaines sont totalement inaccessibles ; c’est dû à des lacs qui se sont formés après le paléolithique supérieur.” Il reste à interpréter cet héritage d’une rare beauté. Si près, si loin.

Olivier SCHLAMA

Grotte de Niaux. Photos : Olivier SCHLAMA
Grotte de Niaux est connue depuis très longtemps. Des graffitis et des signatures dont la plus ancienne date de 1650 ! Photos : Olivier SCHLAMA
Grotte de Niaux. Photos : Olivier SCHLAMA
Grotte de Niaux. Photos : Olivier SCHLAMA
Grotte de Niaux. Photos : Olivier SCHLAMA

À lire aussi sur Dis-Leur !

Ariège : Quinze confinés volontaires dans une grotte pendant 40 jours !