Réchauffement : Le plan de l’ONF pour éviter que les feux ne virent au rouge

Michel Benit, technicien forestier et guide de chasse de l'unité territoriale montagne sur une exploitation de Douglas. Forêt domaniale du Somail (Hérault). Ph. Connestari Giada / Imagéo / ONF

Alors que l’été pourrait être à haut risque pour cause de sécheresse historique, l’ONF est “en alerte” et travaille aussi sur le long terme en vue d’introduire des espèces d’arbres plus résistantes. Un défi pour l’établissement public qui gère 650 000 hectares en Occitanie.

L’adaptation des forêts au changement climatique : c’est l’un des principaux enjeux auxquels l’ONF, un établissement public, doit répondre. Et ce, alors qu’un rapport sénatorial s’alarmait de la montée en puissance des feux de forêt et que des parlementaires de tous bords avaient demandé un renforcement de ses effectifs.

Hervé Houin directeur territorial Occitanie-Paca de l’ONF. DR

Directeur de l’ONF pour l’Occitanie et Paca, Hervé Houin dit“On est tous conscients que sécheresse et réchauffement vont s’accentuer et ne vont pas permettre à la forêt de s’adapter naturellement. Cela va trop vite. L’État a un plan ambitieux annoncé par Emmanuel Macron de planter un milliard de plants d’ici dix ans.Ce qui correspond à 10 % de renouvèlement de la forêt sur la période et à peu près trois fois le rythme de renouvèlement moyen des plantations.”

“La progressivité du réchauffement en Occitanie est peut-être un peu plus tenable qu’ailleurs dans l’Hexagone…”

Un défi. “On voit les choses venir. La progressivité du réchauffement en Occitanie est peut-être un peu plus tenable qu’ailleurs dans l’Hexagone. Cela ne veut pas dire que l’on n’est pas inquiets. Mais on peut se poser, former nos personnels, envisager des stratégies.  On est moins dans l’urgence que le quart nord-est de la France.” Un vrai défi pour l’ONF. “Oui, c’est colossal, qualifie Bertrand Fleury, son adjoint. On essaie d’accompagner tous les personnels techniques. Que ce soit en formation continue, en renforçant l’accompagnement technique… C’est un défi d’envergure.”

Secteur du plateau de Sault dans l’Aude, où les peuplements de sapin souffrent. Ph ONF

Il fait l’état des lieux des peuplements en souffrance : “Au niveau national, cela représente environ 300 000 hectares. Cela concerne beaucoup les régions Auvergne-Rhône-Alpes et dans une moindre mesure, pour l’instant, le Sud et notre région Occitanie, même si elle n’est pas épargnée.” Il ajoute : “La forêt y est vulnérable et menacée par le changement climatique, sachant que l’on prend 0,3 degré de hausse de température par décennie en métropole. Avec des étés plus chauds, plus secs, des canicules…”

10 % de bois dépérissants

“En Occitanie, il y a eu des vagues de dépérissement par le passé ; avec de premiers épisodes dans les années 1990-2000. Et là, c’est une autre vague. Nous commercialisons, dans la région quelque 900 000 tonnes de bois des forêts publiques d’Occitanie chaque année. Les bois dépérissants, c’est environ 10 %. C’est encore loin des 60 % ou 80 % du Nord de la France, par exemple.” 

Cette relative bonne nouvelle est-elle due à une adaptation toujours renouvelée de l’arc méditerranéen ? À la robustesse de nos essences méditerranéennes ? “Pour certaines espèces, oui, qui se sont adaptées au climat méditerranéen. 1,5 degré en plus ou 1,7 degré en plus, ça ne fait pas mourir par exemple les peuplements de pins d’Alep ou de chênes méditerranéens… pour le moment.”

“Les essences affectées ont été introduites…”

Effectivement, ajoute-t-il, “les essences qui sont affectées par le réchauffement climatique, ce sont des arbres qui ont été introduits chez nous lors de grandes campagnes pour alimenter la filière bois. Et notamment l’épicéa. Quelque 35 000 m3 d’épicéa sont en souffrance en Occitanie. Très peu adaptée à la sécheresse, elle qui a été plantée sur la bordure Sud du Massif Central où il connaît des difficultés, comme dans le Tarn.”

Pin noir d’Autriche, épicéa, sapin…

Traitement par des agents de l’ONF d’une bande à débroussailler. Le 11 février 2022 sur la commune d’Estézargues dans le Gard. Photo : Eric Facon

“L’autre essence introduite, confie encore Bertrand Fleury, de l’ONF, c’est le pin noir d’Autriche, planté jadis à une altitude un peu trop basse. Il a ainsi lui aussi pu dépérir comme dans le Gard. Il y a aussi, c’est un phénomène que l’on a connu par le passé et qui revient en plus fort : c’est le dépérissement du sapin, de la sapinière pyrénéenne, mais dans un contexte géographique particulier, celui du pays de Sault, entre Quillan et Ax-les-Thermes, dans le sud-ouest de l’Aude.”

Précisant qu’il y “règne une sécheresse caractérisée depuis plusieurs mois. Avec une faible humidité de l’air. Et on a observé à la fin de l’été des mortalités avec 50 000 m3 dépérissant et que l’on doit commercialiser rapidement pour éviter que le boise ne se déprécie…” Il ajoute : “Nous ne sommes pas à l’abri de dépérissements de chênes verts sur les sols les plus contraignants. Nous en avons, par exemple en Corse ou en Paca et même en Occitanie mais on l’évoque moins parce que cette essence y est moins exploitées”.

“Nous sommes vigilants, préoccupés et en alerte”

Quel état d’esprit règne à l’ONF ? “Nous sommes vigilants, préoccupés et en alerte. Nous utilisons de la télédétection, toutes les données numériques prises par des aéronefs, de satellites et, bien sûr, des réseaux d’observation au sol.” La forêt méditerranéenne résiste-t-elle ? “Pour l’instant, c’est la chênaie méditerranéenne, les pinèdes de pins d’Alep : le risque principal pour elles, c’est le risque d’incendie. La forêt est vulnérable, menacée et elle est aussi l’une des solutions contre le réchauffement climatique. Pour qu’elle continue à jouer son rôle de puits de carbone, il faut qu’elle augmente. Pour cela, il faut une forêt adaptée au changement climatique.”

Pin d’Alep, cèdre de l’Atlas, chêne d’Andalousie

Futaie régulière d’Epicéas dans la forêt domaniale du Somail. Ph. Connestari Giada / Imagéo / ONF

Et pour cela il n’y a pas de solution unique. Là où les arbres meurent, il faut déjà replanter avec des essences résistantes au “climat d’aujourd’hui et du futur. Nous avons des outils d’anticipation et de projection”. En Occitanie, on a tous les étages de végétation de la forêt méditerranéenne jusqu’aux glaciers, même s’ils fondent de plus en plus. “On a par exemple le pin d’Alep – qui craint le gel – mais il est particulièrement adapté aux sécheresses et canicules. C’est un arbre que l’on va essayer d’implanter dans des zones un peu plus hautes que d’habitude. C’est une solution à notre portée.” Il y a aussi le cèdre de l’Atlas marocain, connu de longue date par les forestiers qui a été introduit en Occitanie dans le massif du Rialsesse, dans l’Aude. “Il a des capacités de résistance intéressantes en substitution du sapin qui n’est plus adapté.”

Projet européen d’échanges de données

Dans la forêt domaniale du Somail (Hérault), un ouvrier forestier de l’ONF installe les grillages de protection autour des jeunes plants de chênes rouges d’Amérique récemment plantés sur une ancienne parcelle d’épicéas. Une nouvelle essence de feuillus plus résiliente au réchauffement. Ph. Connestari Giada / Imagéo / ONF

L’autre façon de faire pour s’adapter, “c’est de faire comme les anciens quand ils sont allés chercher des essences à travers le monde quand il s’agissait de reboiser les montagne du Sud au 19e siècle : s’intéresser au matériel forestier de reproduction que l’on a ailleurs chez nous, de la Péninsule ibérique, notamment. Nous participons à un projet européen avec nos homologues de la Péninsule pour échanger des données sur nos ressources génétiques. On va ainsi pouvoir s’intéresser à de nouvelles essences, comme le chêne d’Andalousie. Il a des qualités de bois d’oeuvre et peut, lui aussi, vivre sous un climat plus sec et plus chaud. Attention, il s’agit toujours d’expérimentations.

Des parcelles-tests

On va d’ailleurs y aller en douceur : en, plantant des parcelles-test, entre autres. Dans vingt ou trente ans, l’ONF aura suffisamment de données pour être sûre de la viabilité de ces nouveaux arbres chez nous. Il y a encore d’autres essences intéressantes : le pin de Salzmann, assez frugal et résistant, en fait partie que l’on rencontre dans plusieurs endroits d’Occitanie mais dont le peuplement naturel d’intérêt prioritaire européen, c’est celui de Saint-Guilhem-le-Désert, dans l’Hérault. “On y récolte des graines. À l’ONF, nous avons une sècherie dans le Jura qui conserve et les prépare pour les vendre aux pépiniéristes.”

“L’essentiel de ce renouvèlement, on le fait par voie de régénération naturelle”

Point panoramique sur le sentier des Berques (boucle de randonnée) dans la forêt domaniale du Rialsesse dans l’Aude. Ph. ONF/ Connestari Giada/ Imagéo

Il complète : “Ces replantations, c’est une solution mais pas LA solution. Le renouvèlement forestier, c’est le coeur de notre métier. L’essentiel de ce renouvèlement, on le fait par voie de régénération naturelle. On utilise les arbres-mères pour récolter les graines. On agit, aussi, en faisant comme ça, de sorte que l’on peut accélérer des mutations génétiques et une adaptation de certaines espèces. Des arbres qui ont longtemps résisté ont peut-être un ADN, un patrimoine génétique, plus favorable.”

Les vieilles forêts, puits de carbone et biodiversité

Vue sur le village de Sougraigne, le Piémont (contre-fort des Pyrenées) et le massif des Pyrénées depuis le massif de Corbières (Forêt du Rialsesse). Ph. ONF/ CONNESTARI Giada/ Imagéo

La conservation des vieilles forêts ont également un intérêt comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. “On dit qu’il ne faut pas mettre tous nos oeufs dans le même panier et diversifier nos forêts et les peuplements. Avoir aussi des zones de conservation pure. Des zones de vieilles forêts fait partie de ce que l’on appelle la trame de vieux bois : des îlots de sénescence, soit des réserves intégrales. Cela a aussi un intérêt pour la conservation de la biodiversité. Il y a tout un cortège d’espèces, de flore et de faune qui y sont associées.”

L’espoir, aussi, des “aberrations“, espèces qui se sont adaptées

Un exemple de présence d’une essence donne de l’espoir. Les forestiers appellent ça une  “aberration“. Il y a un exemple, c’est le hêtre dans le massif de la Sainte-Baume. Il ne devrait pas en avoir à cet endroit-là. Eh bien cette espèce s’est adaptée et y vit. C’est d’ailleurs une source de matériels de régénération que l’on est en train de valoriser pour l’exporter dans le Nord de la France pour régénérer les forêts là-bas. Il y a aussi le hêtre de la forêt domaniale de la Balbonne en Occitanie dans le Gard qui ne devrait pas s’y trouver. C’est là où se trouve, d’ailleurs, le conservatoire génétique du hêtre.

Prévenir les risques de feu

Autre enjeu sur lequel l’ONF en Occitanie est mobilisée : mettre en oeuvre de nouveaux moyens pour prévenir les risques, notamment les incendies. Ce qui signifie que l’État dote l’ONF de moyens humains et des matériels supplémentaires pour des patrouilles, notamment. “Et, dans les Pyrénées, historiquement, il y a depuis la fin du 19e siècle, des éboulements rocheux, des risques d’avalanche… Il y a des torrents à risques où il faut dresser des ouvrages notamment que nous surveillons et entretenons toujours.”

Éviter le scénario catastrophe de l’été 2022

Les autorités souhaitent, par ailleurs, éviter de se retrouver avec un bilan aussi catastrophique que celui de l’été 2022 avec 7 200 hectares brûlés alors que la moyenne annuelle tourne depuis dix ans à un peu plus de 13 000 hectares calcinés. Du coup, le gouvernement a décidé de moyens supplémentaires : sept nouvelles colonnes de renforts en plus des 44 existantes. Et un nouveau groupe du génie : 500 pompiers de plus sur le pied de guerre.

Mais aussi, dans le ciel, neuf avions et hélicos supplémentaires : deux Dash (soit neuf au total) ; trois hélicos bombardiers ; et quatre Air Tractor de petits avions qui peuvent aller tuer les feux naissants en rase-motte avec 3 000 litres d’eau (10 000 pour un Canadair). Et pour rendre les interventions encore plus rapides, le gouvernement a annoncé la création d’une “météo des forêts” grâce aux données de Météo France et aux travaux de l’ONF, concernant les caractéristiques des végétaux concernés (1).

Protection de la faune et la flore

Dernier aspect, la protection de la faune et la flore. De la biodiversité. “Suite aux annonces du Président de la République, sera mis en oeuvre un programme de mise sous statut de protection fort environ 10 % du territoire forestier national. On nous demande de créer des réserves biologiques supplémentaires et c’est la région Occitanie qui est le premier pourvoyeur de ce réseau complémentaire de réserves. Au niveau national on compte environ 50 000 hectares de zones fortes dans les cinq ans dont 30 000 hectares le seront en Occitanie. Nous mettons des chargés de mission supplémentaires pour accompagner ce programme.”

Olivier SCHLAMA

  • Bertrand Fleury signale l’existence d’un site créé par les forestiers, Climessences, qui permet de savoir la place du sapin en 2070 dans nos contrées en fonction du scénario pessimiste du Giec, par exemple. Et des exigences de cette espèce. C’est un site qui donne des tendances. Attention, c’est à une échelle macro, pas au niveau d’une parcelle.
  • (1) Il est aussi question d’un fonds de renouvellement et d’adaptation au changement climatique doté de 150 M€ dès 2023. Une sorte de guichet pour les propriétaires publics et privés, 40 M€ étant déjà attribués à l’ONF. Par ailleurs, 50 M€ seraient consacrés à la recherche sur es conséquences du changement climatique sur les forêts et sur les expérimentations sur de nouvelles essences plus résistantes, justement.

Occitanie : 800 personnes et 650 000 hectares

L’ONF gère quelque 650 000 hectares en Occitanie, soit 21 % des zones boisées de la région. Le reste, c’est de la forêt privée, explique Hervé Houain, directeur de l’ONF pour l’Occitanie et Paca. “Nous gérons parmi ces 650 000 hectares la moitié – 300 000 –  ce sont des forêts publiques d’État. L’autre moitié appartient aux collectivités, principalement aux communes et des conseils départementaux qui peuvent être propriétaires également de massifs forestiers.”

“La forêt publique doit être exemplaire”

Le forestier examine un pin qui repousse dans la forêt communale de Cournonterral (Hérault). Ph. ONF.

Il ajoute : L’État finance 90 % de cette gestion forestière (hors travaux à la charge des communes) et impose l’ONF comme gestionnaire. Il est demandé à la forêt publique d’être exemplaire et de participer à une filière bois, très active en Occitanie en protégeant la diversité en accueillant le public, même si ça reste privé.” Enfin, “nous mettons sur le marché 940 000 mètres cubes de bois par an en Occitanie. Toutes les forêts sont dotées d’un document de gestion durable pour 20 ans, avec les programmes de régénération, les travaux sylvicoles…”

O.SC.

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