C’est une première : à Port-la-Nouvelle, sur une presqu’île, on a restauré et magnifié une ancienne maison de maître pour en faire le premier refuge du littoral sur le modèle des refuges de montagne – dortoirs, repas pris ensemble, petits prix – pour un tourisme différent qui permet de se connecter à la riche nature environnante. C’est aussi un exemple réussi d’une proposition différente, conciliant tourisme et sobriété, ont dit Agnès Langevine, présidente du Conservatoire du littoral, propriétaire de cet endroit exceptionnel, au coeur d’une réserve naturelle, et Benjamin Assié, élu régional. Reportage.
Deux immenses chênes verts se dédoublent doucement en se reflétant dans le canal de la Robine. Le temps est suspendu… “Havre de paix” ; “Trésor dans un trésor”… Entre vastes étangs et littoral, le Refuge Sainte-Lucie, à Port-la-Nouvelle (Aude), vous éclabousse de sa beauté naturelle. Les cinq bâtisses qui le composent ont connu mille vies depuis l’Antiquité. Elles ont été restaurées et magnifiées par deux architectes du patrimoine, Bruno Morin, de Thuir (P.-O.), et Sylvie Rapp, de Castres (Tarn). Tout en matériaux naturels : pierre, bois, fer. Volets vert amande, façade ocre… “L’idée, c’est de mettre en oeuvre une sobriété qualitative”, résumera Agnès Langevine.
“On a cherché à s’intégrer le mieux possible sans contrecarrer la riche histoire de ce lieu”
Il n’existe que très peu de refuges littoraux en France : en Corse, à Campomoro Sénetosa, dans un phare ; un autre en Bretagne et un troisième dans les Calanques de Marseille. “On ne voulait pas quelque chose de trop moderne”, dit simplement le premier. Ni faire un pastiche de ce qui a existé. On voulait garder une unité. On a cherché à s’intégrer le mieux possible sans contrecarrer la riche histoire de ce lieu”, dira-t-il.
Deux cents espèces d’oiseaux, 700 espèces végétales
Ici, entre Gruissan et Port-la-Nouvelle, on est à l’écart de la frénésie touristique. Entre étang de l’Ayrolle et de Bages-Sigean, on vit d’un air pur, entouré, selon Yann Rudent, du Parc naturel de la Narbonnaise, de 200 espèces d’oiseaux et de 700 espèces végétales dont le roi local est le fameux pin d’Alep (“Qui est originaire de Narbonne !”, affirma sans rire un agent de l’ONF). Et, surtout, riche de plus de 50 “micro-milieux”. On peut s’y régaler d’une pause bienveillante – quel silence ! – ; se reconnecter avec la nature. Un enchantement. Qui sera parfait, même si le domaine est équipé de moustiquaires, quand des pièges à moustiques à CO2, promis par l’EID, l’Entente interdépartementale de démoustication, seront installés.
Proposition unique d’un “tourisme différent” dans un site bardé de labels de protection de la nature
On ne peut rallier ce refuge qu’à pied, vélo, cheval ou en bateau. C’est la condition pour ne rien dénaturer. Et en profiter à plein. Bardées de labels plus prestigieux les uns que les autres (entre autres : Ramsar, pour les oiseaux, Natura 2 000, pour la faune, et même Unesco avec le Canal de la Robine et la proximité du Canal du Midi…), cette langue de terre est une proposition unique pour un “tourisme différent”, comme l’expliquent ses deux gardiens qui le furent auparavant dans les Hautes-Pyrénées : Rozenn Olichon et Eric Courgeon. C’est le même modèle économique qu’appliquent les refuges de montagne. A ras du flot, comme à 2 000 mètres sous la neige, pas de repas après 14 heures et puis on mange tous ensemble.
Sur le modèle d’un refuge de montagne
Ces deux-là, qui animaient un refuge dans les Hautes-Pyrénées, ont l’ambition d’appliquer “le même modèle que le refuge de montagne” sur notre littoral. Cela donne tout son sens au mot “convivialité”. Ce n’est pas un hôtel – les trente couchages sont organisés en dortoirs et pas de salle de bains individuelle – ce n’est pas une ferme ; c’est un lieu hybride où l’on vient d’abord pour ressentir. Ressentir l’histoire du lieux. Ressentir le temps qui passe… On est dans une ambiance de forêt méditerranéenne avec des pins d’Alep, des chênes verts, “avec aussi des arbres d’autres essences, de tous âges et de toutes tailles, on appelle cela une “futaie irrégulière”.
“Une vitrine de ce qu’il est possible de faire…”
“C’est une vitrine – y compris pour montrer à des investisseurs privés – de ce qu’il est possible de faire ; pour leur dire qu’ils peuvent aller vers davantage de sobriété et davantage de sens”, ose Benjamin Assié. Originaire de l’Aude, l’élu régional, de plus en plus remarqué, le reconnaît volontiers : ce Refuge du Littoral n’a pas de prix mais un coût, 5,5 M€ et cinq ans de travaux avec des partenariats exemplaires avec le Conservatoire du Littoral, propriétaire, le Parc naturel régional de la Narbonaise ou encore l’ONF. Il a fallu que toutes les planètes – l’Europe, l’État y compris au titre du Plan de Relance, la Région Occitanie, le département de l’Aude – , s’alignent en même temps pour dégotter ces sommes pharamineuses qui n’appellent pas, dans ce contexte, de rentabilité immédiate. La demi-pension, dans ce cadre idyllique quoique spartiate, n’excède pas 48 € par personne pour la demi-pension comprenant le petit déjeuner…
L’éloge de la lenteur
Il faut faire l’expérience d’abandonner l’A9 pour se rendre à l’île de Sainte-Lucie, à Port-la-Nouvelle (Aude). Pour passer de la vitesse autoroutière au pas tranquille. Là, devant la capitainerie, deux mondes se séparent : l’économie pure et dure, incarnée par le port de commerce, industrieux où s’expérimentent un futur champ d’éoliennes flottantes et s’amorce la filière innovante de l’hydrogène. Il faut abandonner sa voiture après le ruban de bitume pour enfourcher un VTT et emprunter le chemin de halage du canal de la Robine, farci de fondrières. Là, on change de dimension. L’éloge de la lenteur. Il faut traverser un pont de bois et rouler vers un bout du monde qui ne veut pas de la fin d’un monde mais une meilleure continuité.
Hérons cendrés, sternes naines, sangliers…
C’est l’île de Sainte-Lucie qui partage sa beauté avec deux magnifiques étendues d’eau : les étangs de Bages et de l’Ayrolles avec vue extraordinaire sur les massifs de la Clape et des Corbières. Seuls au monde. Au loin, des hérons cendrés nichent dans les beaux tamaris ; et les sternes naines foncent en piqué ignorant quelques colverts… Des champs d’oliviers peuplent aussi cet écosystème où les sangliers ont leurs habitudes. Tandis qu’au loin, comme suspendu, on devine le TGV Paris-Barcelone ; la cathédrale de Narbonne, en partie construite avec les pierres de Sainte-Lucie…
Remodeler les passages, comme le chemin des Moines
L’agent de l’ONF complètera : “Il s’agissait de mettre en valeur le caractère insulaire de cette réserve de 835 hectares ; de remodeler les passages, comme celui du chemin des Moines, fermé en 2009 après une tempête, avec des coupes de bois mort – qui permettent le développement des champignons et nourrissent les insectes – à certains endroits pour profiler les parcours et éviter que les touristes ne marchent partout…”
Les lieux exploités depuis l’Antiquité
Avant d’être une idée écolo-touristique, les lieux ont été exploités dès l’Antiquité. Pour ses carrières qui ont bâti la cathédrale de Narbonne, par exemple ; pour son silence et son côté hiératique, des moines avaient investi ces bâtisses et y ont vécu en toute plénitude ; cela fut aussi un lieu de villégiature pour les évêques de Narbonne ; le futur refuge servit aussi domaine de chasse avec une exploitation agricole ou encore d’atelier d’un charpentier de marine. Le domaine, passé des mains des Salins du Midi à celles du Conservatoire du Littoral en 1983, est devenu un “trésor dans un trésor”, quand il fut intégré aux 835 hectares de la réserve naturelle et au Parc naturel, comme l’a expliqué Remi Balthazar, élu de Port-la-Nouvelle.
“Ce doit être un modèle qui montre qu’une autre approche du tourisme est possible”
“Cette nature, c’est la nature qui soigne”, a poursuivi Francis Morlon, vice-président du département de l’Aude, partie prenante du projet. Ce refuge complète l’offre touristique, connecté à la Véloroute qui emprunte le Canal du Midi, qualifiant la démarche éco-touristique de “chemin vertueux”.
Pour sa part, Benjamin Assié, élu régional a rappelé le contexte de “l’adaptation au changement climatique ; ici, c’est un cas unique d’intérêt national voire international où il y a conciliation de l’urgente nécessité de préserver la biodiversité et la qualité paysagère et patrimoniale. Ce doit être un modèle, qui montre qu’une autre approche du tourisme est possible, moins consommatrice d’eau et d’énergie et mettant en avant une autre relation attendue avec les touristes…” Ce modèle doit peu à peu “ne plus être une “originalité”. Entendre : il doit essaimer et devenir banal.
Ce lieu unique est un modèle à promouvoir qui permet de prendre le temps, de ralentir”
Agnès Langevine, présidente du Conservatoire du littoral
“C’est un lieu où l’on peut accueillir aussi des groupes scolaires ou des associations ; ses espaces sont de grande qualité. On peut y aller aussi pour s’y reposer de la vie…” Quant à la présidente du Conservatoire du littoral, Agnès Langevine, elle a souligné que “ce lieu unique est un modèle à promouvoir qui permet de prendre le temps, de ralentir” ; d’être davantage dans la recréation de la nature et du vivant (…) De quoi mieux s’adapter aux bouleversements climatiques en cours. Celle qui est aussi vice-présidente de la Région Occitanie a pointé les risques qui y sont liés : ce “climat de violence et de clivages très forts sur l’eau ; des tensions qui n’augurent rien de bon…”, faisant référence aux fameuses “mégabassines”.
“Sédimentation historique”
L’idée d’un refuge du littoral – 1 730 m2 de surface habitable – a cheminé doucement. “On voulait valoriser ce lieu. En 2015, premier diagnostic patrimonial. L’ancienne maison de maître était dans un état déplorable dans un site naturel remarquable à fort intérêt”, reprend Bruno Morin, l’architecte. L’idée se concrétise en 2017. “Nous voulions garder cette sédimentation historique des lieux, fruit des peines et des joies qui y avaient été vécues…”
Pour que les chênes verts puissent continuer à grandir et se dédoubler dans le canal de la Robine…
De notre envoyé spécial à la réserve de Sainte-Lucie, Olivier SCHLAMA
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