Élu à la tête du Crif en juin dernier, Yonathan Arfi sera à Montpellier, ce mardi 8 novembre pour une table ronde sur l’avenir des Juifs de France. Il prône le dialogue, la pédagogie. “Ce qui nous menace menace tous les Français”, dit-il évoquant une poussée de l’antisémitisme depuis vingt ans. Résolument positif, il ajoute : “On a besoin aussi d’un judaïsme français qui soit le plus possible dans le dialogue.”
Né à Toulouse, ayant vécu à Montpellier, Yonathan Arfi, 42 ans, père de trois enfants en bas âge, chef d’entreprise dans le domaine du conseil aux entreprises, a été élu en juin dernier président du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), fondé en 1943 au coeur de la Shoah et qui réunit plus de 70 associations. Il sera à Montpellier ce mardi 8 novembre pour une rencontre-débat sur l’avenir des Juifs en France, à Montpellier, à l’invitation de l’institut Maïmonide dirigé par Michaël Iancu (1). C’est un militant engagé depuis “vingt ans” qui fut président des étudiants juifs de France. Qui connaît l’histoire oubliéedes Juifs du Languedoc, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. Et qui fait dire à Michaël Iancu : “Sans les Juifs, la France et la Région ne seraient pas ce qu’elles sont.”
Pourquoi venez-vous à Montpellier ce 8 novembre ?
Je viens à l’invitation de l’institut Maïmonide. Je profite de cette invitation pour rencontrer sur deux jours un certain nombre d’acteurs politiques et associatifs de Montpellier comme le maire Michaël Delafosse, préfet, président d’université… L’Institut Maïmonide est un lieu précieux qui fait vivre un dialogue entre les Juifs et la société. C’est précisément un lieu qui répond au risque de cristallisation de l’antisémitisme, sur des idées reçues. C’est fondamental.
Comment lutter contre l’antisémitisme ?
Il y a besoin de pédagogie. En permanence de mieux faire connaître les juifs, leurs aspirations, leurs inquiétudes mais aussi leurs contributions à la société française. Le risque serait de vouloir “enfermer” les Juifs dans leur combat contre l’antisémitisme. On a la responsabilité de mener ce combat avec force, avec responsabilité, en allant chercher des alliés. Ce qui nous menace menace tous les Français. En même temps, il faut que l’on soit capable de poursuivre la mise en partage de nos valeurs et de notre histoire avec nos concitoyens.
Vous avez de la famille dans la région ?
J’ai de la famille à Toulouse. Mes grands-parents et mon oncle et ma tante y habitent. Et j’ai une figure familiale, mon grand-oncle, le frère de ma grand-mère qui est connu : Alfred Nakache, surnommé le nageur d’Auschwitz qui est enterré à Sète. Il a beaucoup compté pour moi. J’ai vécu, très jeune, deux ans à Montpellier.
Comme président du Crif, quel est votre message ?
Mon mandat consiste à prioriser la lutte contre l’antisémitisme, bien sûr, sous toutes ses formes, même contemporaines souvent mal comprises par les Français. Je pense à la dimension liée au complotisme, à l’islamisme ou à l’antisionisme (la haine d’Israël). Ce sont trois facteurs qui produisent de l’antisémitisme. Deuxième priorité, c’est l’idée de renforcer un dialogue fructueux entre la communauté juive et l’ensemble de la société civile. Les Juifs sont des Français comme les autres. Et on a beaucoup de choses à se dire de nos aspirations, du fruit de notre histoire.
La question, c’est au fond : pourquoi l’antisémitisme ?
C’est vrai… Quand on est Juif, on vit avec cette question. Qu’est-ce qui fait que se cristallise sur 1 % de la population souvent près de la moitié des actes antisémites et racistes, de manière régulière. Quelles que soient les périodes, quels que soient les lieux. Cela s’est toujours réinventé... On n’aura sans doute jamais de réponse claire. Nous devons vivre avec ça. Je prends le pari que c’est aussi une force et que l’on mène ce combat.
La communauté juive de France et d’Occitanie, avec les attentats qui ont notamment endeuillé entre autres une école à Toulouse, est-elle toujours marquée ?
Quand on est français juif, on vit en permanence avec le risque terroriste ; la France vit aujourd’hui avec ce risque, désormais. On a une conscience particulière sur ce sujet ; les écoles juives, les synagogues sont obligées d’être protégées et on intègre dans le quotidien de nos vies cette question. C’est impressionnant parce que cela fait vingt ans, depuis le début des années 2 000, que cette nouvelle vague d’antisémitisme est à l’oeuvre. C’est une génération entière durant laquelle des gens se sont structurés mentalement avec l’idée qu’il est normal de vivre avec ce risque-là. Mon espoir, c’est que l’on revienne à une forme de sérénité. C’est la quête ultime.
L’alya, le départ vers Israël, est-il toujours aussi fort ?
C’est, avant tout, un choix individuel. Pour des raisons spirituelles, culturelles, politiques, ou personnelles certains Juifs font le choix d’aller vivre en Israël. C’est aussi un indicateur malheureusement parfois d’un état d’esprit de la communauté juive sur le niveau d’antisémitisme. C’est de la responsabilité des Juifs et de l’Etat français de tout faire pour que personne ne quitte la France à cause de l’antisémitisme. Les chiffres de départ se sont normalisés. Il y a eu une période où ils étaient très hauts après les attentats de Mohamed Merah puis de l’Hypercacher. On compte à peu près 2 500 personnes qui font chaque année leur “montée” vers Israël. Mais cela correspond à l’intensité du lien entre les Juifs et Israël.
On constate une baisse des actes antisémites… ?
En 2021, le ministère de l’Intérieur a enregistré 589 actes. Pur le premier semestre 2022, il annonce une baisse de 25 % des ces actes. C’est une réalité statistique. Néanmoins, cette baisse masque une augmentation des violences faites aux personnes et des menaces par courrier. Les actes les moins graves ont baissé mais parce qu’ils se sont beaucoup reporté sur internet et les réseaux sociaux. Et les actes les plus graves, les agressions physiques, elles, se poursuivent. Et il ne s’agit que des chiffres faisant état de plaintes déposées. Beaucoup de victimes ne déposent pas plainte, considérant que ce n’est pas efficace ou utile. Le ressenti des gens c’est qu’il y a une forme de permanence élevé, de plateau haut de l’antisémitisme. Je ne désespère pas de le faire baisser.
Dans le combat contre l’antisémitisme, nous avons besoin des Français. Et pour que les Français puissent s’engager dans ce combat, il faut qu’on le leur explique. Leur faire aussi entendre nos blessures, nos inquiétudes. Mais aussi nos espoirs. L’objectif c’est que l’on constitue l’équipe la plus solide. On a besoin aussi d’un judaïsme français qui soit le plus possible dans le dialogue.
Notre région est emblématique pour les Juifs…
Cette région incarne parfaitement le lien avec Israël. Il y a eu le départ de l’Exodus depuis Sète qui témoigne que la France s’est toujours tenue aux côtés des Juifs pendant les moments les plus durs. C’est l’histoire. Je souhaite que l’avenir de ces relations franco-israéliennes s’inscrivent complètement dans cette histoire-là. Et je suis convaincu que ce sera le cas avec ce futur nouveau gouvernement israélien. La France et Israël partagent l’essentiel : la démocratie.
Ce sont deux grandes démocraties qui, malgré les épreuves, gardent le cap démocratique. Je crois beaucoup aux solidarités entre les démocraties dans un monde où la démocratie ne progresse plus. Où la démocratie est un bien fragile. Notre histoire, très ancienne (on en sait quelque chose à Montpellier, notamment) est tissée dans celle de la nation. Et cela se conjugue au présent : ceux qui menacent les Juifs de France menacent la République tout entière. Notre rôle est d’expliquer aux Français que l’antisémitisme les concerne. C’est l’affaire de tous.
On a parlé religion, démocratie. Et la laïcité ?
Très clairement, je fais partie de ceux pour qui la laïcité n’est pas une loi liberticide mais une loi qui protège. Une loi de liberté qui a permis aux Juifs de France de trouver leur épanouissement dans la société française depuis 1905. C’est une particularité mais un principe universaliste. C’est un bien précieux à conserver.
Dans le dialogue interreligieux, notamment avec les musulmans de France, vous en parlez ?
Oui. On a régulièrement des échanges avec la Grande Mosquée de Paris. Il y a une conscience partagée sur la laïcité dans la société française. La grande majorité des Français y sont attachés. Il y a bien sûr un grand courant de protestation qui cherche à faire dire que ce serait une loi liberticide et islamophobe. C’est totalement faux. Et c’est une manoeuvre.
On se souvient des sorties de certains leaders politiques comme Zemmour Interviendrez-vous comme votre prédécesseur ?
Mon prédécesseur, Francis Khalifa était intervenu clairement contre Eric Zemmour qui avait attaqué frontalement le Crif. On est ce qu’il déteste : un judaïsme républicain, universaliste, avec une dimension généreuse de la République. Je continuerai à intervenir. On a une situation politique inédite avec un groupe très fort à l’extrême droite et un groupe LFI très fort aussi. C’est important de mener un combat contre ces deux blocs. Au milieu, il y a une majorité de Français qui n’ont pas encore dit leur dernier mot. La carte est entre leurs mains.
Ce n’est pas facile d’être un jeune Juif aujourd’hui ?
Tout à fait. On a une responsabilité vis-à-vis des nouvelles générations qui ont grandi avec la résurgence de cet antisémitisme qui rend le quotidien pesant. Surtout dans des quartiers populaires où être ouvertement juif rend les choses difficiles. On doit rappeler la profondeur historique du judaïsme français. Ses forces, ses richesses et sa capacité à se projeter vers l’avenir. La bataille est difficile mais elle n’est pas perdue. Dans l’histoire juive, il y a beaucoup de moments où l’on a le sentiment que notre destin est joué d’avance et, malgré tout, on trouve une ligne de crête car on reste fondamentalement libre. Une liberté qui peut-être nous fera trouver le chemin…
Propos recueillis par Olivier SCHLAMA
(1) Rencontre-débat avec le nouveau président du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF), Yonathan Arfi, autour de l’intitulé suivant : « L’avenir des Juifs en France », ce mardi 8 novembre à 18h30 (entrée libre), salle Pétrarque. Un débat animé par Perla Danan, présidente du CRIF régional et présidente de Radio Aviva et Michaël Iancu, directeur de l’Institut Maïmonide et délégué régional du Comité Français pour Yad Vashem.
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