Perturbateurs endocriniens : En Occitanie, on lance la toute première étude à grande échelle

Ph. Eric Brolin, Unsplash

Une étude révèle la présence de 46 produits nocifs dans l’air qui dérèglent le fonctionnement hormonal dont on ne sait rien ni de “l’effet cocktail” ni des conséquences à long terme. De quoi rendre légitime une étude sur trois ans dans cinq points de la région menée par l’observatoire régional Atmo.

C’est une première. Atmo Occitanie, observatoire régional de la qualité de l’air, a lancé une étude d’envergure “exploratoire” pour détecter la présence de multiples perturbateurs endocriniens – des substances chimiques d’origine naturelle ou artificielle – présentes “dans l’air que nous respirons tous les jours”, a expliqué Dominique Tilak, directrice générale de Atmo. Pendant trois ans, l’air des deux métropoles, Montpellier et Toulouse, va être ausculté, comme celui de zones agricoles et viticoles de l’Aude et de la Haute-Garonne. Ces perturbateurs endocriniens dérèglent le fonctionnement hormonal des êtres vivants.

“Notre enjeu, c’est de collecter des données pour que les agences sanitaires s’en emparent…”

Dominique Tilak, directrice générale de Atmo Occitanie et Thierry Suau, administrateur. ph. DR

“Ce genre d’études n’a jamais été réalisé, a certifié Dominique Tilak. Notre enjeu, c’est de collecter des données pour que les agences sanitaires s’en emparent…” Thierry Suau, administrateur de Atmo a complété : “Cette étude se lance dans un contexte d’inquiétude légitime sur ces perturbateurs endocriniens… Vernis, peintures… On peut les retrouver partout dans notre environnement quotidien”, a précisé Thierry Suau, se disant “choqué comme individu : on peut décider de manger ou pas mais l’air que nous respirons, c’est un réflexe.” Il a aussi révélé que cette étude n’aurait “jamais pu être lancée si la France n’y avait pas été contrainte par le Conseil d’État, la plus haute juridiction, qui jugeait insuffisante la lutte contre les pollutions…” Une personne, c’est 15 000 litres d’air expiré chaque jour, soit 10 litres à la minute.

Sur 56 molécules recherchées, 46 présentes dans l’air

Cette étude exploratoire fait suite à une étude de faisabilité dont les résultats ont été dévoilés ce mardi. Elle a nécessité un an de travail en collaboration avec la Sorbonne pour mettre sur pied un protocole complexe. Et démontre la pertinence d’une étude à grande échelle. Le périmètre de cette étude unique sur trois ans s’intéressera et quantifiera aussi ces perturbateurs endocriniens à Alès (Gard), ville au passé minier important. Et, également, les Pfas, ces substances polluantes que l’on retrouve dans de nombreux objets du quotidien, comme les poêles feront aussi partie de cette étude. Ce travail a montré que sur les 56 molécules recherchées, 46 étaient présentes dans l’air que l’on a retrouvé dans des capteurs placés à quatre ou cinq mètres de hauteur pour être au plus près de l’air respiré par la population.

Phtalates, HAP…

Toulouse. Ph. DAT VO, Unsplash

Dans l’étude préparatoire, dite de faisabilité, on ne s’attendait pas à retrouver certaines molécules, comme les phtalates (1) que l’on retrouve notamment dans les cosmétiquesn les produits de nettoyage, mais aussi les sols en vinyle : “Six types sur sept sont ainsi présents dans 80 % des échantillons avec une concentration cumulée de 278 nanogrammes par mètre cube, en moyenne.” Les fameux HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques), aussi, issus de la combustion de bois et de pétrolen ont été débusqués dans la même proportion, 80 % des capteurs. Et que l’on retrouve logiquement en plus forte concentration en hiver. “Mais qui restent présentes dans l’air que nous respirons toute l’année.”

Et même un insecticide interdit depuis 26 ans !

Mieux, Atmo a mis au jour la présence d’insecticides et étonnamment l’un d’eux, utilisé dès 1930 dans l’agriculture (mais aussi dans le traitement des poux), dont la présence est “rémanente” pourtant interdit depuis 26 ans : le lindane présent dans tous les échantillons. Cela montre la “rémanence des produits, comme l’est le PCB pourtant lui aussi interdit depuis 1987”, a fait remarquer Dominique Tilak qui participait en mars à des rencontres internationales air et santé.

Coût total de l’étude sur trois ans : 300 000 €

“Nous n’avons pas d’inquiétude particulière à ce stade”, a répondu Dominique Tilak. Mais, même si aucun des premiers points de contrôle “ne met en évidence le dépassement de seuils préconisés par l’OMS, 5 mg par an. Mais nous n’avons pas des capteurs d’une finesse suffisantes. On voit les pics mais par la moyenne d’exposition (…)” L’étude coûtera quelque 300 000 €, dont 100 000 € pour étudier une quarantaine de Pfas. “70 % des moyens vont au financement des laboratoires. Ce n’est pas très cher pour une telle étude”, a jugé Dominique Tilak.

On ne sait rien de des “effets cocktails” dus à une exposition aux polluants sur le long terme

Ph. Eric Brolin, Unsplash

Cette dernière a complété : “Dans notre région, on sait d’après les études que nombre de petites filles ont une puberté précoce et que les garçons ont un pourcentage d’infertilité supérieurs à la moyenne française. D’où l’intérêt de cette étude exploratoire à grande échelle sur cinq sites et sur trois ans.” Le vent a-t-il une influence positive ? “Le vent amène et balaie les polluant… En tout cas, il ne suffit pas pour avoir un air pur”, a-t-elle ajouté. L’intérêt, aussi, d’avoir un tel panorama c’est que les pouvoirs publics “s’en saisissent”. Pour aller vers une loi… ? Car on ne sait rien de des “effets cocktails” dus à une exposition aux polluants sur le long terme. De leur impact.

Thierry Suau, administrateur d’Atmo Occitanie, a dit : “Nous agissons pour une meilleure connaissance des enjeux sur la santé pour pouvoir un jour réglementer {les émissions des industriels, Ndlr) et déployer le principe de précaution. Nous espérons que cela fera avancer les choses.” En préambule, Thierry Suau avait dit : “Cela touche à des enjeux avec lesquels on ne badine pas.” Rappelant que, s’agissant d’un autre polluant, les particules fines, la France a enregistré 40 000 morts évitables entre 2019 et 2022.

Olivier SCHLAMA

(1) Ils sont présents dans de nombreux produits du quotidien, dans des matériaux de construction et d’ameublement. Certains sont utilisés comme plastifiants pour conférer de la flexibilité à des matériaux en PVC. D’autres sont incorporés dans les cosmétiques comme agents fixateurs afin d’augmenter le pouvoir de pénétration d’un produit sur la peau ou préserver leur parfum. Ils peuvent également être utilisés pour la fabrication de nombreux produits (peintures, vernis, colles, mastic, laques, encres, produits ménagers, produits phytosanitaires, …) et sont utilisés par les industries du caoutchouc, de la photographie, des papiers et cartons, du bois, des matériaux de construction et dans l’industrie automobile. Ce sont des produits chimiques utilisés à grande échelle au niveau industriel.

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