Pollution lumineuse : Les réserves de ciel étoilé en congrès au Pic du Midi pour mieux nous éclairer

Pic du Midi. Photo : Jean Francois Graffand

L’Hexagone compte quatre réserves pionnières, dont la “Tour Eiffel” du ciel étoilé : le Pic du Midi. Elles font exemple. Et veulent se fédérer pour être reconnues et faire tâche d’huile en France. Défendre une pleine alternance nuit/jour, c’est, outre la beauté de la voie lactée, lutter contre trop de lumière artificielle qui génère beaucoup d’effets néfastes sur la biodiversité et donc sur l’homme.

Elle s’impose, invisible. Et devient majoritaire… On estime que 99 % de la population européenne vit, la nuit, sous un ciel pollué par la lumière. Et 60 % des Européens ne voient plus la voie lactée, selon une étude de Sciences Advance. Cela prend, en ville, la forme de halos démultipliés par la présence de brumes qui perturbent jusqu’aux oiseaux migrateurs. Lampadaires en surnombre ; vitrines nuitamment allumées. En… clair, l’obscurité nocturne perturbée par la lumière artificielle est un fléau, y compris pour la faune – et pas seulement les chauve-souris – car tous les organismes vivants, à majorité crépusculaire dans la nature, répondent à la présence plus ou moins forte de la lumière.

Quand le ver luisant a du mal à identifier la femelle…

Conséquence, aussi, sur la production de mélatonine et sur l’horloge biologique de nombreux être vivants. Qui peut devenir nuisance. Les insectes ? De plus en plus nombreux, photosensibles, à être piégés : mieux détectés par leurs prédateurs, ils s’épuisent et ne reproduisent moins. Des chercheurs allemands ont même mis en… lumière que quelque 150 insectes sont tués sous chaque lampadaire chaque nuit, en été ! Que dire du ver luisant dont le mâle a de plus en plus de mal à identifier le scintillement de la femelle…? La luciole, ce ver de nuit, s’éteindrait-elle…? Faisons toute la lumière…!

Réserve de ciel étoilé du Pic du Midi. Photo : Luc Perrot

Ce sont, accessoirement, ces insectes, à majorité des pollinisateurs et nourriture de base de nombreux oiseaux, qui sont décimés. Même pour les poissons, c’est un… poison ! La lumière artificielle les expose davantage à leurs prédateurs ; idem pour les plantes dont le calendrier peut être amené à se décaler… Et ce sont quand même les végétaux qui produisent la photosynthèse, donc notre oxygène !

Tout premier congrès des réserves de ciel étoilé

C’est dans ce contexte que les 27, 28 et 29 septembre prochains, le Parc national des Pyrénées organise au sommet du Pic du Midi de Bigorre, le premier Congrès des réserves de ciel étoilé. Pour la première fois, les quatre Réserves Internationales de Ciel Etoilé (RICE) de France ont décidé de montrer leur unité. Une première à l’échelle européenne dont l’objectif est de “construire les bases d’engagements et d’accords communs déterminants pour l’avenir des réserves de ciel étoilé. Cette mise en commun de l’expertise et du savoir-faire des RICE constituera également un apport décisif pour les plans et politiques publiques de réduction de la pollution lumineuse”, communiquent-ils.

Directeur-adjoint du Pic du Midi, et cheville ouvrière de la réserve Nicolas Bourgeois explique : “Pour les acteurs des réserves, l’enjeu c’est l’équivalent d’une Conférence sur le climat. Il faut que l’on se fédère. Ces réserves sont au coeur d’un énorme enjeu. Certes, elles ont un label de niveau international ; elles obtiennent des aides européenne mais elles n’ont pas de reconnaissance officielle. Elles ont un gros potentiel : en termes de développement touristique, d’innovation, de réduction des impacts sur la biodiversité.” 

Une forêt, quand on la rase ou on la brûle, elle ne repousse pas instantanément. Quand on éteint ou on améliore un éclairage, c’est instantané. C’est enthousiasmant et très pédagogique de faire ainsi de la protection de l’environnement”

Réserve de ciel étoilé du Pic du Midi. Photo : Luc Perrot

“Trames noires” ; “corridors écologiques de nuit” : ces territoires deviennent des territoires de projet. Et de progrès. “Les raisons pour lesquelles les réserves se fédèrent c’est qu’elles ont besoin de davantage de moyens. Et cela passe par une feuille de route”. Avec des enjeux et des moyens identifiés. Une reconnaissance et des moyens réglementaires des pouvoirs publics.

“Depuis la création de la Réserve du Pic du Midi, ce sont des millions d’euros qui sont investis dans l’éclairage. Nous sommes les témoins directs que ça marche : depuis le Pic du Midi, on observe un recul magnifique de la pollution lumineuse. La nuit, c’est la seule parcelle de l’environnement que lorsqu’on agit, on est capable de revenir en vite en arrière. Une forêt, quand on la rase ou on la brûle, elle ne repousse pas instantanément. Quand on éteint ou on améliore un éclairage, c’est instantané. C’est enthousiasmant pour les gens : c’est une manière très pédagogique de faire de la protection de l’environnement.”

“Les réserves peuvent faire profiter les collectivités de leur expérience.” Exemple : promouvoir l’installation de candélabres et autres lumières artificielles, diffusant non pas une lumière trop crue, mais une lumière plus “chaude. Et ces technologies, on sait les adapter en fonction des enjeux de biodiversité sur un territoire ; là où il va y avoir une nidification e chauve-souris, des poissons… Pour cela, on a défini des trames et à chaque fois qu’il y a un projet de conversion d’éclairage.”

“À chaque fois, 95 % de cette pollution est éliminée”

Réserve de ciel étoilé du Pic du Midi. Photo : Luc Perrot.

Cela fait dix ans que ce modèle, fragile, s’étend en France. À ce jour, trois réserves succèdent à celle du Pic du Midi. Les Cévennes, Mercantour et celui des Millevaches, en Lozère. “Il y en a trois ou quatre sérieuses dans les cartons, dont une en Corse. Nous avons accumulé une grande expérience, désormais, un savoir-faire, une compétence pour une vraie action publique de réduction massive de pollution lumineuse. Si on ne devait prendre que le seul exemple de la réserve de ciel étoilé du Pic du Midi, depuis dix ans, une fédération d’acteurs – Parc national des Pyrénées, fournisseurs d’énergie, etc.- pour mettre en place un nouvel éclairage. Et à chaque fois que l’on fait ça dans un village, c’est 95 % de cette pollution qui est éliminée.” 

À l’échelle européenne, les Etats prennent progressivement la mesure du phénomène et de ses impacts. Des plans nationaux et des lois porteurs d’objectifs ambitieux se précisent. Dans ce contexte de prise de conscience et d’engagement public, les quatre RICE reconnues en France par le label décerné par l’International Dark Sky Association (IDA) sont devenues des territoires pionniers.

“Source d’inspiration à plus grande échelle”

Enlever de la lumière – tout un symbole – n’est pas synonyme de retour au passé. “Notre but commun, c’est que les engagements qui auront été pris ensemble à ce congrès constituent une feuille de route pour les RICE mais aussi, plus largement, pourront être un apport et une source d’inspiration à plus grande échelle : renforcement des moyens de réduction de la pollution lumineuse, amélioration de la protection de la biodiversité nocturne, sensibilisation du grand public à la problématique…” Car l’opinion publique est en phase, l’ANPCEN a fait réaliser un sondage, sans appel : 82 % (79 % en 2028) des Français seraient favorables à la réduction de la lumière artificielle en milieu de nuit des aclairages publics . Mieux :  en ces temps économiques difficiles, les Français plébiscitent la sobriété énergétique, à 93 % ! A ce jour, en France, quelque 12 000 communes auraient déjà réduit leur éclairage nocturne (soit un tiers des communes françaises) et 722 ont déjà décroché le label de Villes et villages étoilés de l’ANPCEN.

Pic du Midi : 250 communes engagées pour réduire la pollution lumineuse

Pollution lumineuse… Ph. DR

Le directeur-adjoint du Pic du Midi souligne, lui aussi, l’importance de respecter des cycle nuit-jour pour la biodiversité. “La nuit, c’est plus qu’un temps entre lever et coucher du soleil : c’est réellement un habitat ; la faune s’en sert pour se déplacer, pour chasser et se reproduire et quand ce milieu naturel. Et cet habitat est totalement fragmenté. C’est l’équivalent à une forêt primaire au Congo ou en Amazonie qui subirait une déforestation.” Et même en zone rurale, il y a de la pollution lumineuse ! “On voit arriver de gros panneaux publicitaires…”

La première réserve de ciel étoilé en France et en Europe continentale a été reconnue en 2013 autour du Pic du Midi et de son Observatoire. Elle a créé un modèle d’action territoriale inédit : 250 communes engagées pour réduire la pollution lumineuse sur une zone de 3 000 km², co-gérée par le syndicat mixte du Pic du Midi, le Parc national des Pyrénées et le syndicat départemental d’Énergie des Hautes-Pyrénées.

Une problématique reconnue

C’est une problématique connue depuis très longtemps, notamment des astronomes – qui, mobilisés, sont à l’origine de la réserve du Pic du Midi. “C’est tout juste depuis tout juste une vingtaine d’années que la dimension environnementale de la pollution lumineuse a vraiment commencé à être appréhendée. C’est une problématique de développement durable : dès que l’on agit sur la consommation des communes, la pollution cesse. Retrouver la nuit, c’est retrouver la voie lactée ; des paysages naturels. On est les sinistrés de la modernité. Finalement, tout ceux qui ont accès au ciel étoilé, ce sont les pays émergents… Les pays développés sont sinistrés de leur progrès…”

Parmi les résultats marquants, on compte la création de pratiques et techniques d’éclairage nocturne ayant entrainé une diminution de 80 % à 95 % de la pollution lumineuse ; une réduction de plus de 50 % de la consommation électrique liée à l’éclairage dans les villes et villages des réserves. Dans le contexte actuel de crise de l’énergie, les actions mises en place dans les RICE offrent des perspectives inspirantes.

Ce potentiel de développement touristique est fondé par un programme de protection de l’environnement. C’est un cercle vertueux que nous voulons sanctuariser”

Nui étoilée. Ph. DR

Et un potentiel touristique à développer, notamment dans les Hautes-Pyrénées. “On est dans une interrogation de nouveaux modèles de tourisme : les gens désirent un tourisme durable ; être acteurs d’un tourisme respectueux de l’environnement. On crée ainsi une nouvelle ressource. On permet de valoriser un paysage unique en son genre : une nuit préservée. Avec des prestations qui vont avec : des hôtelleries d’expérience ; des balades avec accompagnateurs en montagne, de nuit, etc. On peut ainsi capitaliser sur des propositions écolos dans les réserves de ciel étoilé. Ce potentiel de développement touristique est fondé par un programme de protection de l’environnement. C’est un cercle vertueux que nous voulons sanctuariser d’où cette “fédération” de réserves de ciel étoilé.”

Des réserves, il y en aura de plus en plus. Forcément. “Nous aimerions que les prochaines réserves, si elles arrivent en nombre, qu’elles arrivent avec de bons moyens… Parce que, demain, on peut faire dans le déclaratif : aller chercher un label, on devient réserve mais si cette fédération n’arrive pas à faire reconnaître les réserves, elles resteront avec des moyens moins larges. Et ne réaliseront pas pleinement leur potentiel.”

Olivier SCHLAMA

  • Le congrès s’achèvera le vendredi 29 septembre par des visites de projets innovants pour sensibiliser à la pollution lumineuse. Il sera suivi à partir de 17h30, au pied du Pic du Midi, à Bagnères de Bigorre, par la Fête du ciel étoilé, un évènement gratuit et grand public dans le vallon de Salut : des associations d’astronomie, des médiateurs, des guides et des conteurs proposeront au grand public une soirée de découverte de la nuit et des étoiles.
  • L’évènement bénéficie du soutien de l’Office Français de la Biodiversité, de la Région Occitanie, du Commissariat de Massif, du Département des Hautes-Pyrénées, du Syndicat Départemental d’Energie des Hautes-Pyrénées, d’EDF et du Syndicat Mixte de Valorisation Touristique du Pic du Midi.

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