Les élus d’opposition et la vice-présidente de la Région, Agnès Langevine, sont déjà montés au créneau. C’est désormais Dominique Sopo, président de SOS racisme, qui demande au préfet contre, selon lui, “l’illégalité” d’une délibération qui met à l’honneur un dirigeant de l’OAS. Pour Louis Aliot, “nous sommes une ville qui entretient avec cette mémoire-là des liens particuliers…”
À Perpignan, ville tenue par le maire RN Louis Aliot depuis 2020, le symbole est fort. “Cela fait 20 ans que l’on attend cela ici, dit le premier magistrat. C’était une promesse de campagne. Nous l’avons réalisée.” Le 22 septembre, c’était chose faite en conseil municipal. Une “esplanade sise entre le square Bir-Hakeim et le boulevard Jean Bourrat face à la rue Molière” et qui n’avait à ce jour pas encore reçu de dénomination reçoit le nom de Pierre Sergent.
Pierre Sergent, un nom qui sent la poudre
C’est un nom qui sent la poudre. Pour l’ancienne candidate malheureuse à la mairie de Perpignan et vice-présidente de la Région Occitanie, Agnès Langevine, “Louis Aliot réhabilite l’OAS”, l’organisation de l’armée secrète en Algérie, le réseau terroriste des ultra-indépendantistes de l’époque, dans les années soixante. “Louis Aliot défigure un peu plus notre ville, dit-elle, en l’obligeant à honorer la mémoire de Pierre Sergent, ancien député FN, ancien chef de l’OAS, organisation qui a tué au moins 2 300 personnes en Algérie et en France dans près de 13 000 explosions au plastic, 3 000 attentats et des dizaines d’assassinats. Cette décision terrifiante signe encore une fois la relation malsaine qu’alimente Louis Aliot avec le passé colonial de la France…”, affirme-t-elle.
Pierre Sergent figure mythique du combat pour l’Algérie française
Pour l’historien Nicolas Lebourg, spécialiste des extrêmes droites, “Pierre Sergent est une figure mythique du combat pour l’Algérie française car il en a tout partagé en Algérie, est venu porter et diriger l’OAS en métropole. En mars 1962, il participe à la fondation du Conseil National de la Résistance, présidé par Georges Bidault, ex-président du CNR fondé par Jean Moulin. Sergent le transforme en Conseil National de la Révolution qu’il préside à son tour en 1963. En sus, il va écrire et être lu devenant ainsi une référence partagée dans la représentation du conflit.”
Giscard puis Le Pen
Nicolas Lebourg donne le bilan tristement comptable des exactions de l’OAS : “L’OAS c’est 71 morts et 394 blessés en métropole et d’environ 2200 tués et plus de 5000 blessés dans les territoires algériens. Sergent est contacté dès le congrès d’Ordre Nouveau qui en juin 1972 va décider de la création du FN. Mais finalement il décide de faire bande à part et soutient Giscard d’Estaing plutôt que Jean-Marie Le Pen pour la présidentielle de 1974. Il ne rejoint le FN qu’en 1985.”
De résistant à la tentative de putsch à Alger…
Il y a aussi Dominique Sopo, président de SOS Racisme qui vient de se fendre d’un courrier au préfet des P.-O. “Si, est-il écrit, Pierre Sergent fut un résistant durant les années sombres que connut notre pays entre 1940 et 1945 du fait de l’Allemagne nazie et des collaborateurs dont plusieurs contribuèrent en 1972 à la fondation du Front national, il déserta de l’armée française en avril 1961 afin de participer activement à la tentative de putsch menée à Alger par les généraux Challe, Salan, Jouhaud et Zeller ainsi qu’à la commission d’actes terroristes qui le conduisirent à être condamné à mort avant de bénéficier d’une amnistie en 1968 qui mit fin à sept années de clandestinité et d’exil”, rappelle Dominique Dopo.
Pas dictée par un “intérêt public local”
Cette délibération n’est pas, selon lui, dictée “par un intérêt public local identifié, détaille-t-il cet après-midi au téléphone. Toute l’argumentation ne repose pas sur le fait que c’est l’ancien élu local Pierre Sergent que l’on veut honorer mais bien l’ancien dirigeant de l’OAS”. Autre argument, “on ne peut pas en République nommer les espaces comme bon nous semble. L’espace public n’est pas là pour réhabiliter l’action terroriste. Car c’est bien la nature des propos tenus en conseil municipal”, par plusieurs élus, notamment l’ancien maire M. Pujol. “En parlant notamment de Pierre Sergent comme un homme d’honneur en parlant de cette période, précisément, et qu’il portait les valeurs de la France. C’est extrêmement choquant. C’est pourquoi nous demandons au préfet de déférer cette délibération devant le juge administratif.”
Le président de SOS Racisme demande explicitement au préfet de refuser la délibération qui donne le nom de Pierre Sergent à une esplanade : “Conformément aux dispositions du code général des collectivités territoriales (et notamment les dispositions contenues dans les articles L2131-2 et L2131-6 du CGCT), il vous appartient désormais d’exercer votre contrôle de légalité sur cette délibération à compter de sa transmission par le maire et, si vous estimiez ladite délibération illégale, de demander au juge administratif qu’il en prononce l’annulation.”
On parle quand même d’une personne qui a commandité ou couvert des assassinats dont celui du maire d’Evian… C’est quand même extrêmement grave”
Dominique Sopo
Dominique Sopo dit aussi avoir saisi le ministre de l’Intérieur. “On est dans quelque chose d’extrêmement grave. Quand on lit les phrases que j’ai citées dans le courrier au préfet, si ce conseil municipal n’avait pas été filmé, les gens auraient dit que ce n’était pas possible…” Par ailleurs,”nous nous interrogeons de savoir si les propos justement tenus publiquement par ces élus ne les rend pas coupables d’apologie du terrorisme. Un élu dit même qu’il faut s’inspirer de l’exemplarité de la vie de Pierre Sergent “toute vouée à la défense des valeurs immortelles de la France” : on parle quand même d’une personne qui a commandité ou couvert des assassinats dont celui du maire d’Evian… C’est quand même extrêmement grave.”
C’est un ancien résistant. En solidarité avec ses copains juifs de l’époque, sous l’Occupation, il portait l’étoile jaune… Je ne peux pas l’effacer au prétexte qu’il était pour l’Algérie française…”
“C’est une place qui n’avait pas de nom, rétorque le maire de Perpignan, Louis Aliot. C’est effectivement un nom fort comme quand on baptise des rues Hélie Benoît de Saint-Marc {qui prit part au putsch des généraux en avril 1961, condamné à 10 ans de prison puis réhabilité, Ndlr, comme à… Béziers} sauf que Sergent est de chez nous. Qui fut député FN, conseiller municipal et conseiller régional. Il faut regarder le parcours de l’homme : c’est un ancien résistant. En solidarité avec ses copains juifs de l’époque, sous l’Occupation, il portait l’étoile jaune… Je ne peux pas l’effacer au prétexte qu’il était pour l’Algérie française…” Comprend-il la réaction de Dominique Sopo ? “Il faut qu’il s’occupe de ses affaires et qu’il arrête de s’occuper des affaires des autres.”
“Ici, 60 ans après, il y a une vraie demande de baptiser un lieu public Pierre Sergent. ça fait 20 ans que ça dure”
Ce nom-là, donné à une place perpignanaise est-ce une façon d’absoudre Pierre Sergent de ses crimes ? “À ce moment-là il faut débaptiser toutes les rues Staline, Lénine, etc. Il y a eu une amnistie quand même. C’est même François Mitterrand qui l’a amnistié. Ici, 60 ans après, il y a une vraie demande de baptiser un lieu public Pierre Sergent. ça fait 20 ans que ça dure. Tous les maires qui se sont succédé s’étaient prononcés pour. Certains sont venus spécialement, comme M. Pujol, qui ne siégeait plus.” Il ajoute : “De plus, il y a une forte communauté de rapatriés, très sensible à ça. Et puis, tout le monde l’oublie : Jean-Paul Alduy, jadis maire CDS de Perpignan, qui a mis la stèle pour De Guèdre, Jean-Bastien-Thiry {des chefs de l’OAS}, etc., au cimetière du Vernet. Nous sommes, que voulez-vous, une ville qui entretient avec cette mémoire-là des liens particuliers.”
“Si demain nous donnions le nom d’une rue Jonquières d’Oriolas, ils nous feraient la même histoire, les gens de gauche. Et pourtant c’est un champion olympique de Perpignan”
Il le promet : “Il n’y aura pas d’autres lieux publics baptisés de noms de personnalités d’extrême droite. Pierre Sergent, c’était une promesse de campagne. Et même une promesse de l’ancien maire. Quand vous baptisez une rue, il y a toujours des gens qui s’en émeuvent… Mais ils oublierons de dire que nous avons nommé une place de la laïcité. Et parfois certaines rues ont des noms de personnages de gauche ! Si demain nous donnions le nom d’une rue Jonquières d’Oriolas, ce qui serait mérité, ils nous feraient la même histoire, les gens de gauche. Ils nous diraient c’est quelqu’un d’extrême droite. Et pourtant c’est un champion olympique de Perpignan.”
Olivier SCHLAMA