Occitanie : Pendant le scandale, les Ehpad s’ouvrent sur la vie locale

Des résidents de l'Ehpad de Nissan-lès-Ensérune. DR

Cafés citoyens, repas solidaires, jardins partagés… En Occitanie, dix tiers-lieux, retenus à la suite d’un appel à projets et financés par l’Etat et l’ARS, mettent du baume au coeur des personnes âgées en s’ouvrant sur l’extérieur.

Jardins partagés, cafés associatifs ouverts sur le quartier, espaces culturels communs accessibles à la population… Dans l’Hexagone, vingt-cinq tiers-lieux (sur 363 projets déposés) sont financés à hauteur de trois millions d’euros, grâce au plan d’aide à l’investissement prévu par le Ségur de la Santé. Qui vise notamment à transformer les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Une bonne nouvelle submergée par le scandale des maisons de retraite.

Échanges, vivre-ensemble…

Mais c’est souvent bien davantage que seulement 25 tiers-lieux : rien qu’en Occitanie, deux espaces communs ont ainsi été financés de cette manière auxquels il faut toutefois ajouter huit autres tiers-lieux, financés, eux, par l’Agence régionale de santé (ARS). Aucun du groupe Orpea. Sur ces 25 lieux, 13 ont fait ou feront l’objet d’aménagements extérieurs, six ont bénéficié de la création de cafés solidaires et de nombreuses initiatives originales et collaboratives proposant des activités basées sur le lien, l’échange et le faire-ensemble.

Nîmes, Frontignan, Clermont-L’Hérault…

L’Ehpad de Nissan-lès-Ensérune. DR.

Dans le contexte actuel, ces tiers-lieux à Nîmes, Frontignan, Rivière-sur-Tarn, Clermont-l’Hérault, Castelsarrasin, Montredon-Labessonnie (lire ci-dessous) sont l’une des évolutions préfigurant peut-être ce que pourrait être l’Ehpad de demain : davantage ouvert sur le monde et au coeur de vraies interactions sociales. Une prise de conscience est peut-être enfin en marche pour ce que l’on appelait autrefois maisons de retraite et qui en a bien besoin.

“Ouvrir davantage ces établissements sur la vie sociale…”

Pour nombre de personnes âgées, leurs conditions de vie est un scandale dans le groupe Orpea, comme la démontré l’enquête du journaliste Victor Castanet dans Les Fossoyeurs. La ministre déléguée à l’Autonomie, Brigitte Bourguignon, a d’ailleurs décidé de “frapper fort”, dit-elle, contre le système Orpea, numéro 1 mondial des Ehpad, contre cette situation fondée sur le recours systématique aux vacataires, au rationnement des produits de soins, voire à la maltraitance chronique des résidents. Cette même ministre s’est déclarée, juste avant le scandale, “convaincue qu’il est indispensable de développer des tiers-lieux dans les Ehpad, car ils participent pleinement à ouvrir davantage ces établissements sur la vie sociale de leur territoire et à renforcer les solidarités entre générations”.

C’est un endroit à aménager, une salle commune pour accueillir des associations pour y organiser des activités et recréer du lien social…”

Cendrine Blazy, responsable de l’unité politique du vieillissement à l’ARS
Des résidents de l’Ehpad de Nissan-lès-Ensérune. DR

Responsable de l’unité politique du vieillissement à l’ARS d’Occitanie, Cendrine Blazy ne dit pas autre chose : “Dans le cadre du Ségur de la Santé – comprenant des revalorisations nationales des professionnels de santé, du sanitaire, du médico-social – il y a eu une enveloppe pour les Ehpad en Occitanie de 100 M€ jusqu’en 2024, dont 28,4 M€ en 2021 pour aider à reconstruire ou en rénover certains.”

Et peut-être davantage : “Nous espérons avoir des crédits supplémentaires ensuite pour poursuivre jusqu’en 2026. Au-delà de ces financements,, il y a aussi une enveloppe de 12,1 M€ pour 2022 en Occitanie pour de petits travaux pour améliorer les conditions de travail et les conditions de vie des résidants (climatisation, acheter des système pour lever les résidants…) Et, enfin, il y a eu cet appel à projets pour permettre à des Ehpad de créer un tiers-lieu. C’est un endroit à aménager ; une salle commune pour accueillir des associations pour y organiser des activités et maintenir voire recréer du lien social.”

Le café solidaire devenu le coeur du village

Le montant total des subventions des projets de tiers-lieux en Occitanie représente 850 219 € dont 214 917 € (25 %) financé par la CNSA et 635 302 € (75 %) par l’ARS Occitanie. Le but c’est que ces Ehpad s’ouvrent sur la vie locale. Cela peut aussi prendre la forme de jardins partagés. “Nous avons, par exemple, un très beau projet dans le Tarn, à Cadalen : l’association 1 000 cafés qui va essayer via un café solidaire de recréer du lien dans un village qui a perdu tous ses commerces, précise Cendrine Blazy. Dans ce cas-là, ce café solidaire sera dans l’Ehpad qui deviendra le coeur du village. Les habitants ont été associés à la démarche. L’objectif est de redonner vie au village. Ce café solidaire sera également un relais pour des colis ; on y jouera aux échecs…” 

À Frontignan, tout part de l’envie d’un… baby foot

Les résidents de l’Ehpad Anatole-France de Frontignan en pleine co-construction du projet. DR.

Directeur-adjoint de l’Ehpad Anatole-France, Lionel Wilzius explique la genèse du projet de café solidaire à Frontignan, le seul de l’Hérault à avoir été retenu. “Ce café solidaire a été co-construit avec le CCAS, le service jeunesse de la ville (Espace Kifo) des associations (Vivre à la maison de retraite, Les Solidaire inter-générationnels et les Petits Frères des pauvres.” À l’origine, tout part de la volonté d’installer un… baby-foot dans un lieu convivial ! Au final, c’est un lieu de rencontres à même de “dynamiser le quartier” ! (Lire les détails ci-dessous).

“Une nouvelle place du village !”

A Nissan-lès-Ensérune (Hérault), Delphine Desson-Perrotin explique avoir eu l’idée de créer un espace partagé, “non seulement avec les résidents mais aussi avec la population du village. Avec le CCAS, des écoles et des associations, nous allons créer une nouvelle place du village chez nous”. Du côté de l’ARS, on complète : “C’est un projet très intéressant et singulier, qui correspond parfaitement à l’esprit tiers-lieu, grâce à la multiplicité des initiatives inter-générationnelles déjà présentes.” 

Un tiers-lieu axé sur le numérique

Le futur tiers-lieu associe des aménagements accessibles de manière quotidienne (tablettes, jeux vidéo, babyfoot, bar…) à des événements ponctuels : ateliers, exposition etc. “La participation du réseau local d’insertion, par exemple, témoigne de la volonté manifeste du porteur de faire de ce tiers-lieu un espace utile au-delà des limites de l’Ehpad, avec un ancrage territorial fort (…) Le fait d’axer grandement le tiers lieu sur le numérique (réalité virtuelle par exemple), font de ce tiers lieu un espace singulier et attractif.” On retient surtout le rôle primordial de l’échange, propre au concept de tiers-lieu, mise en avant dans ce projet. Des formations seront aussi proposées aux résidents de l’Ehpad afin qu’ils puissent eux-mêmes initier les enfants au numérique.

Des repas solidaires à Nîmes

L’économie sociale et solidaire est très représentée dans les ehpad et le médico-social. Photo : DR.

Dans l’Hérault, de la même manière, il y a un projet solidaire à l’hôpital Clermont-L’Hérault qui sera, lui, ouvert sept jours sur sept. “Ce sera un lieu de rencontres inter-générationnelles, ajoute Anna Boisgillot, cadre à l’ARS. Les porteurs de projets, des associations, veulent y créer un parcours santé et un jardin d’activités autour de l’Ehpad. Il y a aussi un tiers-lieu intéressant à Nîmes. Il part du principe que l’Ehpad a des repas en trop chaque jour ; certains sautent des repas ; parfois, ils déjeunent en ville avec leur famille. Eh bien, pour éviter ce gaspillage, ils ont eu l’idée de créer, avec l’association des commerçants de Nîmes, des repas solidaires peu chers à 5 €. Il ont prévu une salle commune et même une terrasse ; chaises et assiettes ont même été customisées par des artistes avec lesquelles on peut repartir moyennant une petite somme”.

Au total, deux projets de tiers-lieu ont donc été subventionnés en Occitanie par le CNSA, la Caisse nationale de solidarité et de l’autonomie. Et huit de plus ont été subventionnés, eux, par l’ARS Occitanie (ci-dessous). “Au total, nous avons dix projets en Occitanie sur les 27 projets qui avaient été déposés. Certains n’ont en effet pas été retenus pour diverses raisons : ils ne rentraient pas dans les règles en demandant plus que 80 % de subventions, par exemple ; ou le projet ne correspondait pas à un tiers-lieu, etc.”

Olivier SCHLAMA

(1) Le Ségur de la Santé, c’est 220 M€ en Occitanie. Au niveau national, le Ségur prévoit un ambitieux plan d’aide à l’investissement dans le secteur médico-social doté de 2,1 milliards d’euros au plan national sur la période 2021-2025 : 1,5 milliard d’euros pour les opérations immobilières et mobilières ainsi que 600 millions d’euros pour les projets numériques.
En Occitanie, 220 millions d’euros sont donc déjà mobilisés pour soutenir les établissements médico-sociaux, en associant les fonds nationaux du Ségur de la Santé et le Fonds d’intervention régional de l’ARS. Au total, 178 EHPAD de notre région seront soutenus et accompagnés dans leurs projets structurants sur 5 ans.

Dix projets subventionnés en Occitanie

Le Lien/Ehpad de la Fontaine à Nîmes (Gard)

Le projet part du constat que le service restauration de l’Ehpad produit trop de denrées non consommées. L’idée est d’utiliser ces denrées pour proposer un buffet ouvert à l’ensemble du quartier moyennant un tarif « solidaire ». Des repas sont ainsi mis en place au sein de 2 salles aménagées de l’Ehpad qui se situe en centre-ville. Le matériel utilisé (tables, chaises, vaisselle, etc.) est personnalisé par des artisans et artistes de la ville et peut être acheté in fine. Le projet repose sur une multitude de partenariats dont le comité de quartier, l’association des commerçants de Nîmes, la chambre de commerce, une cantine solidaire, l’artothèque. Coût du projet : 143 007 €, subvention : 90 538 €.

Café solidaire/Ehpad Anatole-France, à Frontignan (Hérault)

Ce café solidaire a la particularité d’être en constante mutation. Chaque jour, c’est un partenaire différent qui s’occupe de l’animation du bar, ce qui suscite des rencontres variées : l’association Vivre à la maison de retraite, mais aussi une association culturelle et ludique d’adolescents, L’espace Kifo pour vivre jeune ! ou encore le club Les Solidaires Intergénérations. Quand le tiers-lieu n’est pas investi en tant que café (c’est-à-dire les matins), il est un espace où lesdits partenaires peuvent exercer des activités (concerts, vernissages, ateliers peinture…), avec des équipements à disposition. Ces changements quotidiens sont d’autant plus intéressants que les résidents ont la possibilité de participer à l’animation des activités. Coût : 174 822 € dont une subvention CNSA : 124 379 €. Ouverture du café solidaire : juin-juillet 2022.

Huit projets de tiers-lieux de plus, financés par l’ARS Occitanie

La Maison du partage/Ehpad Beau-Soleil, Rivière-sur-Tarn (Aveyron)

Ce projet consiste en la réhabilitation et l’aménagement d’une maison avec jardin pour en faire un lieu de rencontres autour d’activités culturelles et sportives. Il permettra l’accueil simultané en intérieur de 15 à 20 personnes. L’objectif est de créer un lieu de partage au centre du village, rendu possible grâce aux nombreux partenaires impliqués et l’approche très collaborative du projet. Un projet de réhabilitation de l’Ehpad est également en cours, une subvention ayant été accordée en 2021 pour soutenir ce projet (suppression des chambres doubles notamment).
Coût : 113 300 € dont une subvention ARS : 90 640 € Ouverture du tiers-lieu : janvier 2023.

Paquita/Ehpad du Pôle gérontologique Nîmois, à Nîmes

Ce projet porté par la Croix-Rouge associe de nombreux partenaires très impliqués (petits débrouillards, comités de quartiers, maisons de quartiers, etc.), des résidents et des habitants du quartier. Diverses activités seront mises en œuvre : un café, des ateliers coutures, des cours de yoga ou encore un temps de permanence associative. L’originalité du projet vient du fait qu’il a été construit avec le quartier et qu’un dispositif de « vélos taxis » sera mis en place pour permettre aux personnes isolées de participer aux activités du tiers-lieux. Coût : 78 368 € dont une subvention ARS : 62 694 €. Démarrage des activités : mars 2022.

L’Oppidum/Ehpad Louis-Fonoll, à Nissan-les-Ensérunes (Hérault)

Ce projet porté par la Croix-Rouge propose une multiplicité d’initiatives intergénérationnelles. Le tiers-lieu associe des aménagements accessibles de manière quotidienne (tablettes, jeux vidéo, babyfoot, bar…) à des événements ponctuels : ateliers, exposition etc. Le tout est soutenu par de nombreux partenaires : autres établissements de santé, école, centre de loisir, associations, pompiers… La participation du réseau local d’insertion, par exemple, témoigne de la volonté de faire de ce tiers-lieu un espace utile au-delà des limites de l’Ehpad, avec un fort ancrage territorial. Ce projet est aussi axé grandement sur le numérique (réalité virtuelle par exemple), pour en faire un espace d’échange. A titre indicatif, des formations sont proposées aux résidents de l’Ehpad afin qu’ils puissent eux-mêmes initier les enfants au numérique. Coût projet : 173 541 € dont subvention ARS : 138 833 €. Démarrage des activités : avril 2022.

Café solidaire/ Ehpad du centre hospitalier de Clermont-L’Hérault

Ce café solidaire ouvert 7j/7 dispose d’un parcours santé/jardin d’activité dans le parc environnant. La mixité du public est recherchée, notamment dans le parcours santé pouvant intéresser résidents de l’Ehpad et des personnes extérieures. Il en va de même pour l’espace scénique, dédié aussi bien aux artistes qu’aux conférenciers, dans une commune où peu d’infrastructures comme celles-ci sont présentes. C’est encore là dans l’esprit tiers-lieu, dans la mesure où le projet comble un besoin extérieur. Ce qui rend ce projet original, c’est que le tout est pensé dans un écosystème global, et que l’initiative avait déjà été amorcée avec la mise en place d’un café solidaire qu’il s’agit de pérenniser et d’amplifier. Le projet promet de nombreux échanges intergénérationnels. Il est porté par des partenaires associatifs impliqués dans sa gouvernance. Coût du projet : 73 758 € Subvention ARS : 59 832,55 €. Démarrage des activités : janvier 2022.

Café citoyen/ Ehpad Saint-François Cadalen (Tarn).

Ambitieux et novateur, ce projet de tiers-lieu a pour objectif de redonner vie à un village isolé, en faisant de l’Ehpad le cœur de vie du village. Il prévoit le développement de nombreuses activités : un point d’accès numérique, des séances de cinéma, une programmation d’activités par des associations locales, un café des aidants, des actions culturelles, des activités de bien-être et des ateliers de prévention. Portée en partenariat avec l’association 1 000 Cafés, la réflexion sur le projet implique l’ensemble du village. Coût du projet : 187 000 €. Subvention ARS : 150 000 €. Démarrage des activités : janvier 2022.

Partage entr’âges/ Résidence Sainte-Agnès, Ehpad Sans Frontières/ Montredon-Labessonnie (Tarn)

Ce projet consiste en l’aménagement et la sécurisation d’une véranda de 80 m2 faisant déjà office de tiers-lieu. Le projet est pensé comme un lieu de vie intergénérationnel avec des activités variées sous cette véranda et dans le parc qui l’entoure. Le financement du projet permettra à l’Ehpad d’aller plus loin dans les activités proposées et dans la diversité des partenaires impliqués. Ce projet se développe avec et autour des résidents et professionnels de l’Ehpad, dans le cadre d’une démarche commune du village. Coût projet du : 63 993,91 €. Subvention ARS : 36 744,92 €. Démarrage des activités : mars 2022.

Le L.O.F.T – Lieu Ouvert et Festif pour Tous/ Ehpad Résidence du Parc, Saint-Aman-Soult (Tarn)

Ce projet consiste en l’aménagement d’une salle de 153 m2 au sein de la nouvelle extension autofinancée par l’Ehpad (sono, éclairage, micro, écran dynamique, tables, chaises etc.) qui ouvrira en mars 2022. Cette salle abritera des spectacles culturels, des ateliers numériques pour enfants et sera loué aux associations pour leurs activités quotidiennes. La gouvernance du projet associe de nombreux partenaires et souhaite mobiliser davantage encore les résidents et leurs familles pour améliorer l’environnement de ces personnes âgées. Financièrement pérenne (revenus liés aux associations et au public), le projet envisage aussi la création d’un jardin partagé d’ici 5 ans.Coût projet : 40 278,76 €. Subvention ARS : 32 223 € Mise en service de l’espace : mars 2022.

La place de la causerie/Ehpad de l’hôpital de Castelsarrasin-Moissac (Tarn-et-Garonne)

Ce projet consiste en la construction d’une halle couverte aménagée d’équipements mobiles (sonorisation, scène, chaises…), l’aménagement d’un espace ouvert non-clos (avec des tables de pique- nique et une aire de jeux), l’installation de panneaux signalétiques et la réalisation d’une étude de faisabilité pour envisager l’installation future de panneaux solaires et d’une borne de recharge autonome. Les nombreuses idées d’animation de ce tiers-lieu visent à dynamiser l’environnement de l’Ehpad, recréer du lien entre les résidents et la population locale, stimuler le partage de connaissances et l’ouvrir sur l’extérieur tout en adoptant une démarche respectueuse de l’environnement. De nombreux partenaires sont impliqués dans le projet, dont certains coopèrent déjà depuis quelques temps avec l’Ehpad.
Coût projet : 80 419 €. Subvention ARS : 64 335 € Travaux : jusqu’à juillet 2022

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