Mégafeux : Une délégation de 107 pompiers en soutien des “cousins” canadiens

Une expérience humaine et professionnelle unique pour la délégation française, la seule venue de l’étranger et pilotée par le SDIS de l’Hérault, a été envoyée sur quelques-uns des 180 incendies qui ravagent les forêts canadiennes. Il faut s’adapter à la stratégie, les techniques… Carole Delga, de son côté, réclame davantage de moyens en Occitanie.

Les mégafeux renforcent la solidarité. Surtout entre les “cousins” français et les pompiers du Canada. Au Québec, 107 pompiers français, menés loin de leur base par le SDIS de l’Hérault, sont arrivés pour prêter main forte à leurs collègues d’outre-atlantique. Et ils en ont bien besoin.

Ce sont des incendies historiques qui ravagent, à l’ouest des forêts de l’Alberta ou de la Colombie britannique ; à l’est, le Québec s’attend à combattre l’impossible… tout -l’été : les chiffres donnent le tournis : près de 750 000 hectares de forêts ont déjà été touchés, selon les autorités canadiennes.

“107 pompiers français venus de toute la France”

La délégation française à l’aéroport de Marignane. DR

La délégation française – la seule venue de l’étranger, au Canada, pour intervenir aux côtés des Canadiens – est arrivée vendredi dernier à la base de Roberval, de la province du même nom. “Nous sommes 107 pompiers français venus de toute la France pour une mission de trois semaines, dont 60 pompiers professionnels et volontaires venant du Sud de l’Hexagone, du Var, de l’Ardèche, l’Aude, les Bouches-du-Rhône, le Gard et l’Hérault, bien sûr. Il y en a du Sud-Ouest notamment de la Dordogne, de l’Ain, de la Charente, des Charentes-Maritimes, de la Savoie. Et aussi 40 militaires de la Sécurité civile”, confie le lieutenant-colonel Jérôme Bonnafoux du SDIS de l’Hérault qui conduit cette délégation avec le contrôleur général Eric florès, directeur du SDIS 34. Il y a aussi “un collègue du Gard spécialiste des feux tactiques”.

“Ils ciblent des feux en fonction des priorités ; s’ils menacent une communauté, une installation stratégique”

Au Québec, ce sont des pompiers spécialisés appartenant à la Société de protection de la forêt contre les feux (Sopfeu) qui interviennent sur ces incendies. “Les distances, ici, sont très grandes. Nous avons été répartis en fonction des “complexes”, des zones où il peut y avoir plusieurs feux. Les 107 pompiers français ont été répartis en trois sections dont une équipe de pompiers français est sur le complexe du barrage hydroélectrique de Gouin notamment une équipe de la Sécurité civile a été envoyée un peu plus au Nord, à Chibougamo”, détaille Jérôme Bonnafoux.

Il a fallu un temps d’adaptation. La philosophie d’attaque des feux n’est pas la même au Québec. “Ils ciblent des feux à attaquer en fonction des priorités ; s’ils menacent une communauté humaine ou une installation stratégique.” Ce sont des feux parfois différents, générant des flammes géantes ou qui “infusent” de l’intérieur de la forêt. “Ils n’ont pas de camions de pompiers comme en France. Ils abattent des arbres ; font le tour du feu avec des tuyaux. Ils ont des Canadairs mais ils ne les font pas forcément décoller.”

L’avion a coûté 380 000 € l’aller et autant le retour

Une fois acclimatés professionnellement, les pompiers français vont être dotés de matériels : des hélicos et des Canadairs, entre autres. Tous les feux – 180 ! Et ils sont essentiellement provoqués par la foudre – sont numérotés, géolocalisés et suivis par satellite.  “Ils ont une analyse extrêmement fine de la météo. Les feux où nous allons intervenir ont détruit, chacun, 7 000 hectares…” 

Le président de la République, Emmanuel Macron, a fait savoir que les coûts de cette aide ne seraient pas présentés au Québec, comme le précise Jérôme Bonnafoux : “Rien que le transport, l’avion que la France a loué, coûte à la France 380 000 € à l’aller et autant au retour. La mission est énorme, avec le coût du frêt.”

Une expérience unique

Cette mission de 21 jours, c’est aussi une expérience unique emmagasinée pour les pompiers français. “C’est déjà échanger sur les techniques. Nous, nous parlons de feux tactiques (des contre-feux) ; eux parlent d’allumages : ils ceinturent complètement le feu avec des tuyaux et envoient de l’eau ; l’avantage au Canada, c’est qu’il y a des points d’eau partout. C’est pour cela qu’ils n’ont pas besoin de camions.”

“La sécurité de leurs personnels passe avant tout et ils ont très très peu d’accidents”

La délégation française à l’aéroport de Marignane. DR

Jérôme Bonnafoux va plus loin : “On va aussi leur montrer que, par expérience, on peut arrêter un feu plus rapidement.” Il a fallu aussi faire preuve d’adaptation : “On n’a pas les mêmes raccords ; il a fallu en fabriquer. Ils nous ont expliqué leur structure de commandement, aussi et, surtout, alors que nous travaillons parfois 24 heures sur 24 heures en France, pour eux, ce n’est pas le cas. Ils ne travaillent pas la nuit. La température, même actuellement, peut descendre très bas et comme c’est un endroit inaccessible, si la météo change, il peut être impossible de récupérer les pompiers qui ont été déposés le matin en hélicos. La sécurité de leurs personnels passe avant tout et ils ont très très peu d’accidents.”

Avec le réchauffement climatique, une espèce de papillon les mangent de l’intérieur et ces grands arbres, avec un grand potentiel calorifique, finissent par sécher…

Ces feux sont liés au dérèglement climatique. “Il a beaucoup plu il y a quelques mois ; cela a entrainé des pousses de végétation dans les forêts très épaisses, impénétrables. Ce sont beaucoup de grands pins. Avec le réchauffement climatique, une espèce de papillon les mangent de l’intérieur et ces grands arbres, avec un grand potentiel calorifique, finissent par sécher…” La sècheresse météorologique, elle, qui a suivi et la foudre qui est venue frapper ces forêts ont trouvé du carburant pour alimenter les incendies qui sont devenus rapidement des mégafeux dont la fumée étouffe même New York !

“Ils traitent un feu de 65 000 hectares avec seulement 100 pompiers. Nous, on fait un feu de 1 000 hectares avec 1 000 pompiers : un pompier par hectare”

En 2022, les pompiers de Gironde avaient allumer des contre-feux. Photo SDIS Gironde.

Les surfaces en question sont en rapport avec l’immensité du pays. Leur façon de travailler est différente : les pompiers dont déposés en hélico, par exemple ; la forêt est très épaisse. Et quand il n’y a pas d’enjeu ; qu’il n’y a personne qui habite la zone incendiée, ils n’éteignent pas et laissent brûler, comme c’est le cas récemment d’un incendie de 70 000 hectares. Après, ils interviennent quand il y a un enjeu, cela peut être une “communauté”, comme ils disent : un village ; des Inuits… Ce n’est qu’une fois le feu attaqué, qu’ils envoient les avions.

Ainsi, ils traitent un feu de 65 000 hectares avec seulement 100 pompiers. Nous, on fait un feu de 1 000 hectares avec 1 000 pompiers : un pompier par hectare. Jérôme Bonnafoux ajoute : “Nous allons appliquer leur stratégie et éteindre les feux qu’ils nous auront donnés.” Et de conclure : c’est une super mission et nous avons été accueillis comme des héros : le drapeau français flotte partout à Roberval ; les gens s’arrêtent… on est les cousins français…!”

En 2022, en France, 19 711 feux ont brûlé 72 000 hectares

En France aussi on ne veut pas vivre, toute proportion gardée, des feux tout aussi importants et incontrôlables comme ils le furent en 2022 où 19 711 incendies avaient brûlé 72 000 hectares de forêts, cultures et espaces naturels, dont 10 000 hectares de végétation. Trois feux hors normes étaient survenus en Gironde et avaient brûlé 25 000 hectares. Désormais, une grande partie de l’Hexagone et de la Corse est potentiellement concernée par les feux de forêts et de végétation qui touchent de plus en plus de régions et nécessitent d’agir collectivement pour s’en prévenir. Ainsi, en 2022 le Morbihan, le Jura, l’Isère, la Loire-Atlantique ou encore la Sarthe n’ont pas été épargnés.

De son côté, Météo-France diffuse depuis une semaine le nouveau dispositif baptisé Météo des forêts destiné à informer et sensibiliser les Français au danger de feux sur l’Hexagone et la Corse (1).

Olivier SCHLAMA

  • (1) La Météo des Forêts est établie  à partir des prévisions de plusieurs paramètres météorologiques qui influencent fortement le départ et la propagation des feux : pluie, humidité de l’air, température, force du vent et état de sécheresse de la végétation.
    La Météo des forêts sera disponible chaque jour en fin d’après-midi sur le site meteofrance.com et l’application mobile de Météo-France pour les deux prochains jours, sous la forme de deux cartes (l’une pour le lendemain, et l’autre pour le surlendemain). Le niveau de danger de feux sera précisé par département avec une échelle à 4 niveaux (symbolisés par un code couleur) : faible (vert), modéré (jaune), élevé (orange) et très élevé (rouge).

Carole Delga demande à Macron plus de moyens pour les collectivités

Carole Delga, présidente de la Région Occitanie, demande davantage de moyens pour les collectivités et l’ouverture dans le Sud-Ouest d’une seconde plate-forme dédiée à la Défense des Forêts Contre les Incendies (DFCI).

L’Occitanie, dit-elle, est lourdement impactée par les effets du changement climatique. Nous le constatons depuis plusieurs mois dans les Pyrénées-Orientales, placées en vigilance sécheresse accrue, mais la situation de crise s’étend à tous nos départements, pour lesquels les risques sont réels. Face à la sécheresse pluriannuelle qui touche la France et aux sinistres massifs que nous avons connus l’été dernier, la politique de lutte contre les incendies doit être revue et adaptée à chaque territoire.

“Les moyens supplémentaires, humains ou matériels, annoncés par le président de la République à l’automne dernier sont utiles et nécessaires pour que l’ensemble des acteurs mobilisés sur le terrain puisse intervenir dans de bonnes conditions mais il faut aller plus loin et s’adapter à ces nouveaux enjeux !”

L’Etat doit renforcer les moyens aux collectivités locales

Carole Delga, présidente de la Région Occitanie, Pyrénées-Méditerranée.

Et de réclamer : “L’Etat doit renforcer les moyens accordés aux collectivités locales pour permettre des investissements massifs pour prévenir et lutter contre les incendies. C’est grâce à cela que les pistes d’accès pour les pompiers pourront être améliorées, que les points d’eau et système de surveillance pourront être renforcés. En Occitanie, nous travaillons de concert avec les départements et les mairies pour financer des investissements et mettre en oeuvre des actions collectives. La Région mobilisera 6,5 M€ jusqu’en 2027 pour financer des investissements ; pour acquérir des  moyens de lutte supplémentaires : plus de camions de pompiers, d’hélicoptères, de bombardiers et surtout la structuration d’une filière de production de ce matériel en France.”

“La base de Sécurité civile de Nîmes est un modèle et doit devenir la base de référence européenne”

La présidente de la région Occitanie cite aussi “la base de Sécurité civile de Nîmes-Garons (qui) est un modèle et doit devenir la base de référence européenne (…) Le Sud de la France doit pouvoir bénéficier de l’ouverture d’une seconde plate-forme dédiée à la défense des forêts contre les incendies. Le Sud-Ouest de la France et en particulier la zone Atlantique, doit pouvoir bénéficier de l’ouverture de cette seconde plate-forme pour assurer la protection des départements des Hautes-Pyrénées, du Gers et du Lot…”

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