Réchauffement climatique, sur-tourisme, accès à l’eau potable… Les choses vont empirer d’ici 2050 si on ne fait rien,“mais on a des marges de manoeuvres”, selon Denis Lacroix, secrétaire général du Plan Bleu, mandaté par les Nations Unies. Positif, il dit : “Nous ne sommes pas condamnés à des constats. Avoir une Méditerranée plus saine ce n’est pas hors de notre portée. C’est pour cela que nous appelons à la responsabilité à tous les niveaux…”
Réchauffement climatique dont elle est un hot spot mondial, tropicalisation, difficultés aiguës d’accès à l’eau potable, événements extrêmes, concentration de populations sur les rives, tourisme de masse… Les nombreuses avanies prennent en tenaille le bassin méditerranéen. Et la situation de cette mer et sa région, berceau de l’une des plus grandes civilisations, va de Charybde en Scylla.
Plus d’une centaine de chercheurs du Plan Bleu (1), organisme mandaté par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement, alertent sur un avenir peu optimiste et livrent six scénarios prospectifs d’ici 2050. Un seul est moins alarmant. Ce rapport, qui a nécessité quatre ans de travail, signifie, noir sur blanc, ce qu’il faut faire pour ne pas atteindre les irrémédiables points de bascule, conduisant nos gouvernements à ne gérer que des catastrophes. Et, encore, quand il y arrivent : espérons que les terribles inondations de Valence, en Espagne, n’inaugurent pas l’incapacité chronique de nos pays à réagir. Justement, ce rapport, publié le 16 janvier, vise à sensibiliser acteurs et décideurs aux questions de préservation de l’environnement.
“Ce qui était prévu il y a 20 ans pour 2 100 se produira donc avec un demi-siècle d’avance, en 2050…”

C’est le 3e exercice de prospective du Plan Bleu après ceux de 1989 et 2005 et qui les dépasse dans leur pessimisme. Il fait état de six grandes “tendances structurantes”. Le climat en premier en prévoyant une hausse des températures de + 2,3° C en 2050 avec des sécheresses, des inondations, des canicules terrestres et marines et une hausse du niveau de la mer de 40 cm. Conclusion : “Ce qui était prévu il y a 20 ans pour 2 100 se produira donc avec un demi-siècle d’avance, en 2050…”
Il y a aussi la question de la démographie. “La croissance globale de 20 % à 30 % pour passer de 520 millions à 630 voire 690 millions d’habitants, avec une hausse d’environ 50 % à l’Est et au Sud et stagnation ou déclin au Nord.” Le rapport passe en revue d’autres sources de tension : “Les taux d’urbanisation dépassant partout 70 % (82 % en moyenne) ; une occupation du territoire avec une concentration des populations et activités dans les métropoles et sur le littoral où vivront plus de 50 % des populations totales en 2050 contre 30 % à 40 % en 2020.”
“Un stress hydrique important qui affectera au moins 290 millions d’habitants”
Autres désastres annoncés : “La tropicalisation et la transformation structurelle de l’écosystème marin avec le remplacement de la biodiversité par des espèces allogènes, perturbations de l’écologie du plancton, prolifération des méduses, destruction de coraux et herbiers de posidonies…” Enfin, l’accès à l’eau sera de plus en plus problématique avec un “stress hydrique important qui affectera au moins 290 millions d’habitants contre 180 millions en 2020”.
“Attentisme et politique des petits pas ne sont pas des solutions stables et tenables à long terme”

Une fois le constat, massif, posé, l’alerte est générale : “Sauf bifurcations majeures, la Méditerranée sera d’ici 2050 dans une situation bien plus alarmante qu’aujourd’hui avec notamment une transformation majeure de tout l’écosystème marin”, s’alarment les experts. Qui ajoutent des conséquences importantes : “La vulnérabilité et la dépendance de la région à des facteurs externes non maîtrisés suffisamment (exemple, le climat).”
Et de faire remarquer que “l’attentisme et politique des petits pas ne sont pas des solutions stables et tenables à long terme : face aux ruptures annoncées, des solutions de rupture seront nécessaires”. Et de juger que “des risques de crises graves et d’effondrements locaux ne sont pas à exclure. La priorité est de s’y préparer dès aujourd’hui (politiques d’adaptation et de résilience, et prévention des irréversibilités majeures pour la mer). La région méditerranéenne pourra de moins en moins compter uniquement sur ses propres forces pour surmonter ces défis – d’où l’importance d’une implication active de la région dans les politiques internationales mondiales”. Bref, il y a urgence.
La consommation alimentaire des Égyptiens en produits aquatiques est passée de 10 kilos par habitant et par an à 20 kilos. C’est une très bonne nouvelle. Cela concerne 100 millions de personnes. Ce n’est pas rien…”
Denis Lacroix, secrétaire général du Plan Bleu
Pour autant, certains voient le verre à moitié plein davantage que le verre à moitié vide : “Même si les blocages sont majeurs, il existe de nombreuses marges de manœuvre qui sont des leviers pour les transitions futures…” C’est l’état d’esprit de Denis Lacroix. Secrétaire général du Plan Bleu qui enseigne à l’Institut Agro de Montpellier, après avoir entre autres travaillé à Agropolis International, cet ingénieur agronome jadis à l’Ifremer dit : “Ce constat, on est obligé de le faire. C’est comme quand on va chez le médecin : on préfèrerait entendre de bonnes nouvelles… Mais le médecin dit : “Vous préférez entendre la vérité pour bien vous soigner ou que je vous raconte des salades…? On préfère tous la vérité. Nous sommes dans la position du médecin.”
Mais, d’expertise en expertise, rien ne semble sensiblement changer dans la prise en compte de cet écosystème. Il est plus nuancé : “De belles choses ont été faites, souligne Denis Lacroix Exemple : face à la montée du niveau de la mer et le déficit d’arrivée d’eau douce des grands fleuves qui se déversent en Méditerranée, en Égypte, sans grands moyens, ils ont été capables de transformer en bassins d’aquaculture des rizières salinisées par la montée de la mer et la salinisation des nappes phréatiques sur la zone côtière basse du Delta du Nil. Résultat, en 25 ans, la production aquacole égyptienne est passée de 100 000 tonnes à 1,6 million de tonnes. La consommation alimentaire des Égyptiens en produits aquatiques est donc passée de 10 kilos par habitant et par an à 20 kilos, rejoignant la moyenne mondiale. C’est une très bonne nouvelle. Cela concerne 100 millions de personnes. Ce n’est pas rien. C’est une très bonne nouvelle à terre.”
Reconstitution des stocks de thon rouge
Il prend un exemple en mer : “Il y a 20 ans, les stocks de thon rouge en Méditerranée étaient menacés. Les scientifiques ont fait un gros travail pour proposer des quotas sévères et que cette pêche soit surveillée avec des moyens sérieux et efficaces. Résultat, en 20 ans, on est passé d’une ressource surexploitée à un stock à l’équilibre. Là aussi c’est une très bonne nouvelle et ce que l’on a réussi pour le thon on peut le faire pour d’autres espèces.”

Quid de la tropicalisation ? Du tourisme ? Que peut-on faire sur les grands enjeux ? Sur la concentration des populations où le taux d’urbanisation va passer de 72 % à 82 % en 2050 ? Sur le fait que 44 % des villes de plus de 10 000 habitants n’ont pas de réseaux d’épuration et rejettent leurs excréments dans la nature…?! Où le tourisme de masse voit déferler quelque 360 millions de personnes dans les zones les plus fragiles de Méditerranée… ? Etc.
“Avoir une Méditerranée plus saine ce n’est pas hors de notre portée”
Denis Lacroix développe : “Construire des réseaux dépuration, c’est le pouvoir de l’Homme, des entreprises et des décideurs ! Avoir une Méditerranée plus saine ce n’est pas hors de notre portée.” Le scientifique se bat contre le fait que “dans une situation de catastrophisme, que se passe-t-il ? Les gens baissent les bras ! Ils disent c’est fichu ; je vais profiter de la Grande Bleue tant qu’elle n’est pas trop polluée, en évitant de boire la tasse et d’avaler des plastiques. Bien sûr, il y des situations désastreuses mais on a des moyens pour réagir.”
“Continuer à polluer la Mer Noire, l’Adriatique la Mer Égée et ça dépend de l’Homme qui a une responsabilité directe”

La tropicalisation ? “C’est un phénomène où l’on ne peut rien mais cela ne s’accompagne pas forcément d’un effondrement de la biodiversité, souligne l’expert. La Mer Rouge, elle se porte bien, merci, répond le scientifique. En mer Égée, on va avoir des assemblages d’espèces qui vont ressembler à celles de la Mer Rouge ; on va, certes, regretter certaines espèces comme les éponges qui vont disparaître. Mais des espèces de corail rouge vont peut-être arriver. Du coup, les 17 000 espèces en Méditerranée il y en aura peut-être un peu moins ou un peu plus ; ou différentes. Mais on ne perdra pas la biodiversité. En revanche, continuer à polluer la Mer Noire, l’Adriatique la Mer Egée et ça dépend de l’Homme qui a une responsabilité directe”, juge Denis Lacroix.
“Une ville appartient d’abord à ses habitants pas à des lobbies du tourisme”
Le tourisme de masse à propos duquel la presse fait ses vocalises. Ce secteur apporte de l’argent qui pourrait justement permettre de faire des travaux, notamment pour éviter que les eaux usées aillent directement dans le milieu mais c’est aussi un problème… “Oui, c’est totalement vrai, réagit Denis Lacroix. Regardez Santorin, magnifique petite île des Cyclades, en Grèce : cinq bateaux de 5 000 personnes y déferlent chaque jour…! Ce malheureux petit village est complètement anéanti par le sur-tourisme. C’est choquant. Comment faire ? Il y a beaucoup d’endroits où c’est un vrai problème. Réguler pour ne pas dépasser un certain seuil pour ne pas dégrader le milieu naturel et la qualité de vie des habitants. Je ne parle pas de Venise où l’on a installé une taxe, on a régulé les flux… Regardez Barcelone ! Les Barcelonais ne peuvent plus vivre dans leur ville parce qu’il y a trop de pression ; ils manifestent et ils ont raison ! Une ville appartient d’abord à ses habitants pas à des lobbies du tourisme.”
Responsabiliser le touriste et lui faire payer des taxes

Parmi les solutions, Denis Lacroix préconise de “faire payer des taxes. Il y a a 30 il y avait une sur-fréquentation de l’archipel des Glénans, au large de Lorient ; il y avait 10 000 personnes par jour avec des navettes qui piétinaient partout ; laissaient les papiers gras de leur pique-nique partout, etc. La commune a décidé de réguler limitant à 5 000 personnes par jour sur l’île. Il faut s’inscrire, payer une taxe d’enlèvement des ordures ; on demande aux gens de partir avec leurs ordures qu’ils mettent dans un sac en papier… Ils ont aussi créer des sentiers balisés. Ainsi, ils ont pu restaurer et reconstituer leur milieu.”
“On a des marges de manoeuvre ; nous ne sommes pas condamnés à des constats”
Conclusion, Denis Lacroix préfère, optimiste, voir “le verre à moitié plein. On a des marges de manoeuvre ; nous ne sommes pas condamnés à des constats. C’est pour cela que nous appelons à la responsabilité à tous les niveaux. Ce qui le choque en tant que scientifique, c’est que l’on répète sur tous les tons que telle catastrophe va arriver pas forcément demain mais après-demain – les inondations de Valence, par exemple – et qu’il faut anticiper pour réduire les crises et les coûts”.
“La clef de la bonne décision, c’est la bonne information et son appropriation par les décideurs”

Et de lancer : “Les journalistes nous écoutent bien ; les politiques et les décideurs beaucoup moins… Or, cela nous permettrait de ne pas être en situation de surprise ; de savoir les bons gestes à accomplir, etc.” Et, au final, le coût de la catastrophe serait moindre y compris en vies humaines. Denis Lacroix prend un exemple vécu : “J’ai vécu un cyclone à la Martinique en 1979 où vivaient 300 000 personnes ; l’île d’à-côté, la Dominique, vivaient 120 000 habitants. Le cyclone est passé entre les deux et a répartit les dégâts. Résultat : zéro mort à la Martinique et 50 morts à la Dominique. Pourquoi ? À la Martinique, les gens étaient très bien informés, les municipalités préparées ; les secours prêts. Quand on a dit alerte rouge, plus personne ne sort. Personne n’est sorti. Alors qu’à la Dominique, c’était le vrai bazar. Les habitants ont cru que le cyclone était passé alors qu’ils étaient dans l’oeil du cyclone… La clef de la bonne décision, c’est la bonne information et son appropriation par les décideurs.”
“Cela fait du bien de se dire que l’on fait quelque chose d’utile. De plus en plus utile pour l’avenir”
Le prochain rapport est prévu en 2035. “Je reste relativement confiant, relativise Denis Lacroix, sachant qu’il y a un certain nombre de pays qui seront plutôt en avance sur ce qu’il y a à faire ; j’espère que la France en sera. Paradoxalement, ce n’est pas une question de richesse : l’Égypte, par exemple, a compris qu’il fallait avancer ; certaines îles-pays comme Chypre ou Malte. En Espagne, ce qui passé à Valence n’aurait pas dû se produire. Ils ont bétonné la côte de façon impensable… Je suis relativement confiant sur le moyen terme et davantage inquiet sur le court terme. Mais les politiques ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas. Souvent, quand je parle à des responsables, des ministres, à la fin ils me disent : “J’ai compris. Qu’est-ce que je peux faire. Finalement, ils sont en attente de solutions. Souvent les décideurs ne savent pas quoi décider, confie encore Denis Lacroix. Il faut aller jusqu’à l’élaboration d’une feuille de route : ce que l’on peut faire, dans quelles conditions, combien cela va-t-il coûter, les aides, etc.” Il ajoute : “Et cela fait du bien de se dire que l’on fait quelque chose d’utile. De plus en plus utile pour l’avenir. Au lieu de faire des digues, j’aménage…”
Olivier SCHLAMA
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(1) Le Plan Bleu pour l’environnement et le développement en Méditerranée est une structure française basée à Marseille. Il a reçu mandat des 22 parties contractantes à la Convention de Barcelone pour la protection de la mer Méditerranée pour produire des expertises sur l’environnement et le développement au bénéfice des pays méditerranéens. Il est désigné Centre d’activités régionales du Programmes des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE).
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