Océanographe à l’institut d’océanologie, à Marseille, Delphine Thibault est l’une des spécialistes mondiales des méduses. Elle nous explique pourquoi ce n’est pas une année à méduses, à quoi servent ces animaux et comment, loin des idées reçues, traiter une brûlure !
Ce sont des animaux mal aimés, complexes, malgré le fait qu’ils sont composés de 96 % d’eau, ne possédant ni cerveau, ni poumon ni coeur mais avec un système nerveux simple et, pour certains, des yeux très développés. Ils sont présents dans toutes les mers du globe.
Espèce qui a survécu à toutes les extinctions de masse
La majorité des espèces de méduses sont issues de la famille du zooplancton, hormis les plus grosses des méduses. On aurait pu croire au miracle et se dire que l’on ne reverrait pas de sitôt leurs satanées piqûres dues à leurs cnidocytes (cellules urticantes) dont le venin s’est élaboré puissamment parfois, au long des centaines de milliers d’années de… non-évolution. Eh bien non : c’est l’une des espèces qui a survécu à toutes les avanies, à toutes les extinctions de masse que la Terre a connues et elle a colonisé pour longtemps nos océans et nos côtes…
Pourquoi ne voit-on pas de méduses actuellement, notamment sur la côte languedocienne ?
Delphine Thibault : C’est vrai, c’est une année assez pauvre du point de vue de l’observation, sur toute la région méditerranéenne. Pourquoi ? Sur Paca, pour les pélagia {petites, mauves, et urticantes, Ndlr}, elles se trouvent actuellement dans le courant liguro-provençal, le courant Nord, qui passe entre Corse et Paca, au niveau des îles de Port Cros et Porquerolles. Elles sont souvent dans ce courant-là et, en fonction des conditions de météo, cela va les ramener plus vers la côte et donc on en verra d’avantage. Ou les garder au large.
Quand le vent du Sud, du Sud-est se lève, les conditions sont propices à ce que les méduses réapparaissent”
Mistral et tramontane ont-ils un effet sur ces animaux qui se laissent transporter par les courants ?
D.T. : Tout à fait. C’est toute la dynamique du vent du Nord. Quand il souffle, ça pousse les eaux de surface au large et là, pas d’arrivées de méduses. Mais quand le mistral tombe, il y a un effet de “ressort”, ramenant les eaux du large vers la côte. Si les méduses se trouvent dans ce courant Nord, au large, cela va avoir tendance à les amener sur nos côtes. Quand le vent du Sud, du Sud-est se lève, les conditions sont propices à ce que les méduses réapparaissent, s’il y en a au large à ce moment-là.
Une méduse ne se déplace donc pas…?
D.T. : Planctoniques, elles évoluent principalement dans la veine des courants. Elles n’ont pas la capacité à aller à contre-courant ou là où elles veulent mais elles ne sont pas immobiles. Avec les méduses mauves de Méditerranée, par exemple, chaque jour, elles vont à 400 mètres ou 600 mètres de fond. Elles nagent, donc. Et tous les jours. Elles s’y régénèrent, dépensant aussi moins d’énergie au fond de la Méditerranée qui propose une température constante de 13 degrés ou 14 degrés. Elles s’y nourrissent de plancton dans la journée. Plutôt que de rester dans des eaux trop chaudes.
L’été y a-t-il davantage de méduses… ? Parce qu’il fait chaud comme on le pense ?
D.T. : C’est un animal qui a tendance à se reproduire, comme un grand nombre d’animaux, plutôt au printemps. Donc on a davantage de méduses l’été. Mais puisqu’on est davantage sur les plages l’été, on en observe forcément plus que l’hiver où l’on n’y va pas.
Peut-on dire qu’il y a davantage de méduses qu’il y a un demi-siècle ?
D.T. : On ne peut pas le dire. Dans certaines région du monde, oui, c’est une évidence comme au large de la Namibie. Pour pélagia, qui est au fond de l’eau toute la journée, c’est très difficile de quantifier précisément le nombre d’individus. Ce qui arrive sur les côtes n’est qu’une portion de ce qui existe. C’est un peu biaisé : c’est ce qui est transporté par les courants en tout-ou-partie.
Le réchauffement climatique joue-t-il un rôle dans la reproduction des méduses ?
D.T. : C’est là qu’il devient compliqué de généraliser. Certaines espèces sont très cosmopolites et qui sont capables de supporter une très grande gamme de valeurs de températures. Pourquoi ? Ce sont des organismes relativement simples qui ont eu le temps de s’adapter au cours des millénaires. Pélagia – que l’on retrouve aussi bien en Atlantique Sud qu’en Atlantique Nord ou en Méditerranée – est une méduse atypique. Normalement, la méduse classique produit des polypes qui ressemblent à du corail qui va se fixer sur un support et qui vont donner de futures méduses. Le cycle est beaucoup plus court. Contrairement au Languedoc où il y a davantage de rhizostoma, de grosses méduses qui, elles, se fixent avec des polypes sur des rochers, coquilles de moules, d’huîtres… (1)
Est-ce à dire que les centaines d’éoliennes en mer prévues vont permettre une pullulation des méduses…?
D.T. (Rires) : C’est ce que j’ai mis en avant dans certaines discussions que nous avons eues… Pour Pélagia, cela ne va rien changer. Mais ces nouveaux supports vont offrir une surface complémentaire à ces organismes, on pourra éventuellement, oui, avoir une augmentation du nombre de polypes et donc de méduses.
Combien compte-t-on d’espèces de méduses ?
D.T. : Cela dépend de ce que l’on entend par méduses. Si ce sont grosses bien visibles ou les microscopiques. Tout compris, on compte une bonne cinquantaine d’espèces, et plusieurs milliers au niveau mondial.
Le célèbre océanographe Philippe Cury de l’IRD avait publié jadis un essai retentissant titré : Mange tes méduses ! Les méduses sont-elles toujours en expansion…?
D.T. : C’est très complexe. Sous le terme méduses, il peut y avoir plein d’animaux qui peuvent y ressembler et qui n’en sont pas. On a tendance à amalgamer des animaux gélatineux, comme la méduse, mais qui peuvent être très différents.
Il y a même certains organismes gélatineux qui sont en fait très proches des vertébrés. Et même de l’être humain. Et d’autres qui sont les premiers organismes pluri-cellulaires que l’on trouve sur notre planète. Les cnidaires (coraux, méduses, gorgones, anémones…) et cténaires (des organismes planctoniques pélagiques ou bentiques qui ont une vague ressemblance avec les méduses) qui constituent une grande part de la biomasse planctonique des océans, Ndlr) sont parmi les tout premiers organismes apparus sur Terre et qui ont survécu aux extinctions massives.
Ce n’est pas parce qu’il y aurait moins de prédateurs de méduses qu’elles connaissent une expansion. Le problème c’est qu’il y a moins de compétiteurs qui mangent la même chose qu’elles”
La surpêche agit-elle sur les populations de méduses ?
D.T. : Cela a été prouvé, en effet. Ce n’est pas parce qu’il y aurait moins de prédateurs de méduses que les méduses connaissent une expansion. Le problème c’est qu’il y a moins de compétiteurs qui mangent la même chose qu’elles. Les méduses sont très opportunistes. Elles grandissent beaucoup plus vite qu’un poisson ; elles sont capables de se reproduire quelques mois à peine après leur naissance. Elles vont prendre la place laissée libre par l’anchois, la sardine ou le sprat. Des populations de poissons qui mangent la même chose que les méduses.
Une méduse vit combien de temps ?
D.T. : C’est une bonne question, hyper-importante à laquelle personne ne sait répondre ! Quand on s’intéresse à une espèce, on va s’intéresser à la dynamique de sa population et donc à sa mortalité, l’un des facteurs importants. Le problème, c’est que l’on n’a aucun moyen de dater l’âge d’une méduse comme on peut le faire pour les poissons. On est capable d’en garder en labo. Pour Pelagia, mes collègues de Villefranche-sur-Mer, ont gardé en vie des méduses en captivité pendant dix-huit mois.
Mais sans reproduire ce site de migration journalière : il faudrait 300 mètres ou 400 mètres, la hauteur de la Tour Eiffel ! On est donc très loin de reproduire les conditions naturelles de vie de la méduse. La taille peut, certes, représenter l’âge mais reflète aussi si elle est en bonne santé ; si elle bien mangé. Sinon, elle va s’autodigérer et rétrécir sa taille. Certaines peuvent ne pas manger pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois. On peut donc avoir deux méduses côte-à-côte, de même taille, mais qui n’ont pas le même âge. Pour autant, on pense que la durée de vie serait de quelques mois à quelques années maximum.
La méduse est un animal mal aimé mais quel rôle joue-t-elle ?
D.T. : En partie, elle régule la chaine alimentaire : ce n’est pas bon d’avoir trop de zooplancton qu’elle va manger et sert aussi d’alimentation à grand nombre d’espèces marines. Les tortues, notamment. Certaines ne s’alimentent presqu’exclusivement de méduses. La Caouanne – dont Dis-Leur vous a parlé ICI – Le nombre d’espèces de poissons qui vont manger des méduses sont très importantes comme des oiseaux, jusqu’aux manchots. A certaines périodes de l’année, les gonades mâtures bien riches en gamettes, les appareils reproducteurs de la méduse, c’est une grosse quantité de carbone mise à disposition des animaux marins.
Sortir de l’eau, ne pas frotter, rincer au vinaigre…”
Que faut-il vraiment faire quand on se fait piquer par une méduse ? Mousse à raser, urine… ?
D.T. : Je me bats depuis des années sur ce sujet et sur les idées reçues et je vais bientôt jeter l’éponge ! (rires). Des travaux ont été réalisés par l’une de mes collègues spécialistes, à Hawaï, qui travaille principalement sur les méduses mortelles, en Australie, (il n’y en a pas en Europe). Chez nous, et plus largement, il y a trois choses à faire : la première est de sortir de l’eau. Ça paraît anodin mais c’est essentiel, surtout pour une personne sensible ou âgée, sinon il peut survenir un sur-accident. Il est arrivé qu’une personne décède après avoir fait une crise cardiaque ou qu’elle se soit noyée. Ce n’est pas lié à la toxine mais juste à la panique.
Pelagia a huit tentacules mais des espèces comme la crinière de lion, en Europe du Nord, en a plus d’un millier. Les cellules urticantes sont placées sur ces tentacules ou, parfois, sur la cloche voire être libérées dans l’eau directement ! Quand on se fait piquer, on a sur la peau des milliers de cellules urticantes.
L’idée est de ne pas aggraver la situation. Il ne faut pas faire quelque chose qui va encore plus déclencher des cellules urticantes : ne pas frotter ; ne pas appliquer d’emplâtre de sable qui peut là aussi déclencher des réactions rien qu’avec le poids ; il ne faut pas rincer à l’eau douce parce que la différence de salinité va là aussi libérer le venin des cellules. Et s’il reste un morceau de tentacule – ce qui est très rare – on peut l’enlever délicatement avec une pince à épiler en faisant très attention.
Surtout ne pas appliquer de glace
Le vinaigre sur la peau est l’une des solutions les plus efficaces qui va bloquer les cellules urticantes sur une majorité de méduses. Cela a été prouvée sur les méduses mortelles en Australie. C’est à disposition sur la plage en Thaïlande et aux Philippines. Autre solution, et pas seulement chez les méduses mais aussi de nombreux organismes : la toxine est thermo-sensible, sensible à la chaleur. Donc, il faut rincer l’endroit de la peau à une eau à 40 degrés pendant 40 minutes. On peut se servir du robinet d’eau chaude, s’il y a un bar proche.
C’est aussi pour cela que certains propagent l’idée de la cigarette allumée mais ça ne marche pas et on risque la brûlure. L’urine est à 37 degrés, donc presque 40 degrés et on a l’impression que la chaleur fait du bien. Ce n’est pas faux mais d’abord il est impossible d’uriner pendant 40 minutes et, certes, l’urine est stérile mais on peut quand même provoquer une infection sur la plaie. Et il ne faut surtout pas mettre de froid, avec un sac de glaçons, qui garde la toxine active. Et dans ce cas, quand vous reprenez la voiture avec une douleur qui redevient intense, ce n’est pas évident…
Propos recueillis par Olivier SCHLAMA
(1) D.T. : “La reproduction est sexuée chez les deux espèces, les méduses sont toutes sexuées, soit mâles, soit femelles. Mais aucunes différences morphologiques entre les mâles et les femelles. Les gamètes (ovules et spermatozoïdes) sont relarguées dans le milieu naturel il y a alors fécondation et développement d’une planula, une larve. Chez Pelagia, la planula va redonner directement une nouvelle méduse. Chez la majorité des méduses comme Rhizostoma, la plancha va se fixer sur un substrat dur et se développer en polype, qui par reproduction asexuée, va se multiplier puis par différents processus donner naissance aux futures méduses.”
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