Au coeur de l’Ariège (1/3) : Au banquet Lacube, on sert burgers, chants et militantisme intelligent

"Burger party", le banquet de la famille Lacube, à Verdun, en Ariège. Photos : Olivier SCHLAMA.

REPORTAGE. Avec vidéo. Chaque vendredi d’été, 500 convives se pressent à la Burger Party de la famille Lacube, à Verdun, en Ariège. De très bons produits locaux à déguster et, en filigrane, une façon de contrer l’agribashing, le dénigrement du monde agricole.

Même le lieu, champêtre et moderne, annonce un militantisme subliminal anti agribashing (1) : une fois la magnifique église romane laissée dans son alambiqué village de Verdun entouré de montagnes, on est reçus simplement – bancs et tables de bois – dans une grange du 21e siècle, haute de plusieurs mètres où, ici, “on n’est pas trop végan”, ironise Philippe Lacube, l’hôte des lieux. On s’imaginait un folklore de plus pour Parisiens. Ce n’est pas vrai. La moitié des 500 convives de ce banquet hebdomadaire qui fait le plein – il faut réserver – sont Ariégeois devant lesquels il peut susurrer : “Sauver un paysan, mangez un végan…” Pédago…

Le touriste s’y presse, pied dans la paille, comme un ours sur un pot de miel

“Burger party”, le banquet de la famille Lacube, à Verdun, en Ariège. Photos : Olivier SCHLAMA.

La viande sur pattes, le boeuf, n’y séjourne, lui, que quatre mois de l’année. Le reste du temps, ces 2 000 m2 restent… vides. Enfin, presque. En cette soirée d’été, on ne la verra, cette magnifique viande douce et persillée, que dans l’assiette : cela s’appelle la Burger Party.

Et, chaque vendredi, en juillet et août, le touriste s’y presse, pied dans la paille, comme un ours sur un pot de miel, 20 € par adulte, 12 € (venir avec couverts et assiettes) par enfant, s’y régaler d’un joli produit du terroir, élevé, tué et cuit sur place. Croustade de pomme maison et café compris. Parcouru d’une ambiance tonitruante faite de chants occitans, là aussi une ode au régionalisme qui le chante sans le dire.

“La seule richesse des gens là-haut : la liberté”

Sur son tee-shirt, le message – un hymne ! – est tout aussi clair : “La seule richesse des gens là-haut : la liberté”. Il avoue : “On s’est dit un jour : c’est dommage de ne rien faire de ce bâtiment flambant neuf”, confie encore Philippe Lacube, ci-devant chef d’une tribu incontournable en Ariège : éleveur, restaurateur, patron de la chambre d’agriculture du département, béret vissé entre les deux oreilles, il possède entre-autres, dans le Gaec conçu avec ses fils, quelque 85 vaches locales de race Gascon qui paissent sur la plateau de Beille, au pied vif et à la corne affûtée, qu’il ne fait pas bon titiller, y compris avec un selfie surtout quand elle protègent leur petit veau (“Un grave accident s’est produit la semaine dernière…”). Elle attaquera “sans sommation”. Méfi.

Philippe Lacube et sa petite troupe : sincérité et sens du partage

“Burger party”, le banquet de la famille Lacube, à Verdun (ici, Philippe), en Ariège. Photos : Olivier SCHLAMA.

Sono, saucisse locale en apéro accompagnées d’un bon litron de rouge en cubi – renouvelé avant le dernier verre, comme l’eau – On aurait pu croire à un piège à touristes. Ce n’est pas vrai. Philippe Lacube et sa petite troupe se lancent ingénument dans un répertoire multiple avec sincérité et le sens du partage.

Sans oublier les chants, l’âme pyrénéenne – ne pas oublier Se Canto qui est aussi devenu au fil du temps en filigrane un chant de rébellion ! “On a créé cet événement en 2018”, rappelle Philippe Lacube, chaussé non pas de bottes d’éleveur en caoutchouc mais de chaussures de running ! Car l’homme, déjà très électrique, est un amoureux transi dema” montagne. Encore davantage depuis que “mes docteurs m’avaient prévenu, en 2016, alors que j’avais 54 ans, que mon taux de cholestérol et tout le reste allaient un jour m’emporter…”

Une communion, une façon de se sentir exister, d’être en “symbiose” avec ses montagnes

Régime draconien : “Je pesais 105 kg et j’ai perdu 35 kilos en six mois !” Aidé par le trail en montagne (“Au début, j’observais ces types, ces trailers, qui couraient, couraient sur la montagne… J’ai alors essayé”). “Au début, c’était pour perdre la graisse et peu à peu c’est devenu un plaisir, y compris la nuit…”

Dans un décor qu’il préfère sur les hauteurs minérales. Il lui arrive d’engloutir, non pas les burgers qu’il propose, mais des “dénivelés que je n’imaginais jamais faire, un 4 000 mètres dans la journée, par exemple, comme il y a quelques jours. Et je ne suis pas un type exceptionnel”. Une communion, une façon de se sentir exister, d’être en “symbiose” avec ses montagnes qui lui a permis, même s’il avait déjà du souffle, de se retirer – un peu – du jeu et de permettre à ses enfants de prendre la suite dans la plus pure tradition, comme Jason qui prend, par ailleurs, la lumière comme jamais.

On ne dénonce pas, on ne s’oppose pas ; on fait dans le pastoral ancestral et on le montre au plus grand nombre

“Burger party”, le banquet de la famille Lacube, à Verdun (ici, Jason), en Ariège. Photos : Olivier SCHLAMA.

L’empathie, l’explication du métier d’éleveur est le meilleur viatique contre les idées qu’il dit reçues et envers ceux qui accusent ces métiers des pires avanies. Certes, l’association végane L 214 fait un travail prophylactique contre ces abattoirs de la honte dans l’Hexagone. Mais, ici, chez les Lacube, on ne dénonce pas, on ne s’oppose pas ; on fait dans la tradition. Dans le pastoral ancestral et on le montre au plus grand nombre. De la belle ouvrage qui fait aussi la part belle aux circuits courts dont tout le monde se réclame. Eux le font depuis toujours.

Sans nos bêtes, vous, touristes, là et là, vous ne pourriez pas aller gambader dans la montagne, y pique-niquer…!”

À la boutique des Cabannes, “on vend toute notre production d’une race locale ici”, confiera ensuite Jason, 32 ans. “Durant quatre mois d’estive, reprend, didactique, Philippe Lacube, on trouve sur le plateau de Beille – immortalisé aussi par le Tour de France – 350 vaches dont 80 qui nous appartiennent ; nous y bénéficions du droit d’usage ; on y trouve aussi 1 500 brebis et 40 chevaux Merens. Sans nos bêtes, vous, touristes, là et là, vous ne pourriez pas aller gambader dans la montagne, y pique-niquer…! Nos bêtes entretiennent les espaces. Sinon, vous auriez genevriers et rhododendrons à foison.” ImpénétrablesComment redorer le blason.

L’ours n’est plus natif des Pyrénées…

“Burger party”, le banquet de la famille Lacube, à Verdun, en Ariège. Photos : Olivier SCHLAMA.

Idem pour la présence de l’ours, si controversé, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. Ce couple venu des Yvelines avec ses filles ont été étonnés d’apprendre, sur les traces d’une “transhumance”, quelques jours avant, organisée par les Lacube, que l’ours n’est plus originaire des Pyrénées mais qu’il y est régulièrement introduit.

Cela a eu l’air de faire chanceler quelque conviction en la matière, sur le fait notamment de l’intérêt de maintenir cet animal dans le massif… On est dans le militantisme intelligent donc, y compris parmi les chants repris en choeur, autre exemple, avec Mon Dieu que je Suis à Mon Aise de Nadau. Philippe Lacube dit : “Quand on a demandé un jour à Antoine Dupont {la superstar du rugby, Ndlr} pourquoi aime-t-il cette chanson, si douce. Il a répondu : “C’est la seule capable de faire reculer un pack de 800 kg…”

La prise de conscience d’un monde moins intensif, plus respectueux, fait son chemin

“Burger party”, le banquet de la famille Lacube, à Verdun, en Ariège, où participait une famille des Yvelines. Photos : Olivier SCHLAMA.

En une soirée, on est peut-être passé, pour certains, de l’agribashing à l’agriloving… La famille venue des Yvelines a trouvé la soirée authentique” et “conviviale, ont dit Mathieu, 43 ans et Cécile 42 ans. Le couple a une formation de… chimiste. Ça ne s’invente pas. Le premier, dans la pétrochimie, réfléchit (il fait tourner son doigt à la hauteur de sa tempe) à peut-être changer de métier mais “il faut bien travailler pour manger…”, dit-il, se sentant presque un poil coupable.

Sa compagne travaille, elle, pour une marque de soins pour bébé. La prise de conscience d’un monde moins intensif, plus respectueux, fait son chemin chez eux. Cécile avoue que sa famille mange “sain” ; elle va au boulot à vélo, malgré les intempéries parisiennes et le froid l’hiver. Lui bosse à domicile et se déplace de temps en temps à l’Institut français du pétrole. Ici, ils ont passé une “excellente soirée”. 

Olivier SCHLAMA

(1) C’est la critique, le dénigrement systématiques du mode de production intensif qui a véritablement commencé en 2016 et a trouvé un écho politique en 2018 lors des discussions sur la loi agriculture et alimentation. Pesticides, etc.

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