Hérault/Panorama : “Les paysages sont devenus un enjeu politique majeur !”

"Dans toute la vallée, c'était la nouvelle promenade dominicale familiale, on allait voir avancer l'eau (Emmanuelle Pagano). Lac du Salagou. Photo : Georges Souche.

Il n’y a pas que les vignes ou le tourisme ! Au travers de la peinture, de la géologie, du littoral et même du point de vue des jardins, des paysages sonores ou du vent, façonneur évergétiste, etc., la dernière livraison de la revue Études Héraultaises propose une redécouverte de ce département, l’un des plus variés de l’Hexagone. Déambulons ensemble !

C’est une friandise à déguster avec une lenteur gourmande. Des variations sur le thème du paysage. Affranchie des habituelles contraintes du genre, la revue Études Héraultaises poursuit un seul but : l’intérêt général porté par une érudition jamais prétentieuse toujours plurielle, accessible et discutée. Produite à quelques centaines d’exemplaires à peine, cette revue a cependant souvent un fort retentissement. Elle est écrite par de grands esprits dans des domaines variés (1). La revue vient de consacrer un dossier “Paysages”, toujours façonnés par la main de l’homme, remarquable. Avec, pour chaque partie assumée par un spécialiste, de la peinture à la géographie, un résumé en occitan et en anglais ! De la belle ouvrage.

Des peintures parfois flamboyantes

Le port de Mèze et l’étang de Thau, peinture sur toile.

“Je suis né dans un de ces lieux où j’aurais aimé de naître”, formulait le célèbre poète sétois Paul Valéry. Le dossier d’Études Héraultaises commence, lui, par une autre mise en bouche éclairante. Pour illustrer la conception esthétique et culturaliste des paysages, on a fait appel à Guy Laurans, sociologue. La peinture a longtemps été l’illustration principale rendant compte de la diversité des paysages. Là, l’auteur pose une analyse fine et particulièrement réussie des paysages-images face à une “esthétisation du monde”. L’artiste peintre Jean-Pierre Courdier traite de cette “émotion induite par le spectacle de la nature qui déclenche le désir d’en fixer la pérennité sur la toile”. A commencer par l’inénarrable Corot. De superbes peintures, parfois incroyablement flamboyantes, de Mèze, Montferrier-sur-Lez, Valquières, Bouzigues, Octon, Saint-Pons-de-Mauchiens illustrent son propos…

“Les paysages, c’est totalement d’actualité !”

Christian Guiraud, docteur de sociologie à la retraite, coordinateur de la revue, dit : “Les paysages sont devenus un enjeu politique majeur ! On le voit avec l’utilisation des paysages dans la recherche des énergies nouvelles, comme les éoliennes ; on le voit aussi dans le cadre du développement touristique. C’est totalement d’actualité. Il y a beaucoup de confusion à ce sujet. C’est un objet d’intérêt qui touche chaque individu ; l’émotion qu’il en retire est liée à sa propre personnalité, sa propre sensibilité ; à sa manière de voir et on peut dire de manière plus large c’est lié à sa culture. L’aspect esthétique et culturel est fondamental. C’est un cadre que l’on se construit soi-même en observant.”

“Révélateur d’un équilibre à construire…”

La Grande-Motte, vue du ciel. Photo : OT Grande-Motte.

L’incontournable géographe Jean-Paul Volle, qui a longtemps travaillé aux côtés de feu Georges Frêche, définit, lui, “le paysage dans sa complexité” ; comme une “construction du regard” et “décor” d’une réalité géographique ; “révélateur d’un équilibre à construire…” Avec ce grand penseur de la géographie, on réfléchit, au-delà des clichés, aux “unités” de paysages ; ces paysages élitistes devenus “pour tous” ; l’inversion paysagère des garrigues et des villages…

Paysages sonores, cheval de Troie des sensations…

“Hérité, créé, de nature ou urbain, le paysage ne peut que s’imposer dans les discours et les procédures d’aménagement du territoire comme enjeu démocratique, offrant également, par une vision prospective, sa capacité à inventer un future à vivre.” conclut-il de longues pages érudites, Jean-Paul Volle. Vous aurez vite l’oeil rivé sur la partie analysant “la colonisation contemporaine du lido montpelliérain”, depuis l’avènement des bains de mer au mitan du 19e siècle.

Vous découvrirez comme une petite musique intérieure la partie sur les paysages sonores, le cheval de Troie du développement des autres sensations, et qui n’est que maladroitement appréhendé habituellement par les nuisances. A lire, tout aussi passionnant : grâce deux chercheurs néerlandais, on en sait davantage sur les paysages de la région d’Agde ainsi que les traditions et coutumes au 16e et 17e siècle, juste en étudiant les matières végétales contenues dans le liant de blocs maçonnés…!

Le Salagou, Photo : CAUE 34

Finalement, c’est quoi aujourd’hui le département de l’Hérault ? “C’est une entité administrative et une entité politique : un conseil général le dirige et l’organise et ce, depuis la Révolution française, explicite Christian Guiraud. Il a des limites, mais administratives, qui ne sont pas toujours celles que nous retenons dans l’observation des aspects esthétiques ou culturels.”

“Mégalithes du Larzac, patrimoine, méconnu, à préserver”

Il cite, à l’appui, dans ce dossier, “les mégalithes du Larzac. Pourquoi ce choix ? C’est à la limite nord de l’Hérault. L’article, écrit par un docteur en préhistoire, est remarquable. Il s’agissait aussi  de préserver un patrimoine qui est parfois méconnu. Et, en même temps, il en explique l’essence-même, en présentant comment il existe une géographie des mégalithes. Ce paysage reconstruit à travers la perception de ces mégalithes est tout à fait différent des autres paysages. C’était une manière d’illustrer tout le dossier en contrepoint de tout ce qui avait été fait par ailleurs.”

De l’importance des volcans agathois

Dolmen de Tiergues (avant-causse saint-affricain. Ph DR.

On peut lire dans cette revue de passionnants angles d’approche de la notion de paysage. Autre exemple : les peu connus volcans agathois, formés il y a plus d’un million d’années, qui ont durablement influencé le relief et le paysage alentour. De quoi comprendre la formation et l’évolution de la vallée côtière de l’Hérault. Et apprendre que les implantations humaines y sont parmi les plus anciennes dr’Europe de l’Ouest, sans doute favorisées par ces sols fertilisés par les matériaux volcaniques… On y trouve aussi une analyse fort intéressante sur les mégalithes du Larzac. Jadis monuments funéraires, entre autres, s’inscrivant “dans le palimpseste paysager contemporain”, souligne Rémi Azémar, du laboratoire Traces de l’université de Toulouse. Passionnant.

“Le jardin, c’est la plus petite parcelle du monde et puis c’est la totalité du monde”

N’oublions pas le sujet original sur “les paysages de jardin” : “Ces petits paysages personnels constituent, en une dialectique réjouissante, un paysage social toujours réinventé”, formule Vincent Larbey, sociologue. “On observe que l’envie de marquer le territoire, la volonté d’exprimer des savoir-faire, l’ingéniosité, la capacité de résistance, la force d’inertie, modifient les prescriptions des concepteurs et des gestionnaires.” Comme l’affirmait Michel Foucault, “le jardin, c’est la plus petite parcelle du monde et puis c’est la totalité du monde”

Pour les géographes, le département de l’Hérault est l’un des plus diversifiés et remarquables de France”

Christian Guiraud
Le cirque de Navacelles. Photo : CAUE 34.

Le Salagou, le Massif du Caroux, Navacelles, le Pic Saint-Loup, le Canal du Midi… L’Hérault, ce bronze-cul de l’Europe comme certains le dénigraient, ne serait donc pas reconnu à sa juste valeur. “C’est vrai : il y a des trésors “naturels”, liés, comme toujours, à l’intervention de la main de l’homme. Pour les géographes, le département de l’Hérault est l’un des plus diversifiés et remarquables de France si bien qu’aujourd’hui, du point de vue de sa géologie, il est extrêmement intéressant à mettre en valeur.” D’ailleurs, l’association Demain la Terre et le conseil départemental entament une démarche pour obtenir le label Unesco pour la partie Nord concernée par les ruffes rouges, notamment au Salagou.C’est une mise en valeur des particularités de ce département qui, du littoral jusqu’aux Cévennes, offrent des paysages extrêmement diversifiés suivant six grandes zones”.

Les atouts du Coeur d’Hérault

Schistes, granites, grès, sols calcaires… Des paysages atypiques, des reliefs contrastés oscillant, sur 600 millions d’années, entre monts, causses et cirques géologiques (Mourèze, Navacelles, Labeil…), avec de sols aux variétés là aussi uniques et qui abritent, par ailleurs, des vins riches. On peut aussi citer ses grottes réputées (Clamouse, Demoiselles) ; l’une des plus anciennes mines de cuivre de France à Cabrières… Ce Coeur d’Hérault a donc des atouts pour intégrer les fameux Géoparcs mondiaux.

“Une diversité rare dans l’Hérault”

Le Pic-Saint-Loup, l’Hortus. Photo : CAUE34

N’empêche. Quand on pense Hérault, on pense immédiatement vigne et tourisme, comme l’écrit le romancier Gaston Baissette dans la revue Etudes Héraultaises. Alors qu’il y a “encore une fois une diversité rare avec la Méditerranée, des rivières, des étangs, de la garrigue, de la plaine… Et toute une économie qui est liée à cette diversité. Les vignobles héraultais sont remarquables, il est vrai. Mais il y a sur la zone littorale toute une économie avec la pêche, l’ostréiculture, l’oléiculture qui font vivre les gens”, complète Christian Guiraud.

Cézanne occulte une autre vision de la Provence… Alors que l’Hérault apparaît à travers un certain nombre de sites remarquables. Plus parlant que la peinture”

Pour autant, on distingue clairement un paysage provençal ou un paysage toscan. Pas forcément un paysage Héraultais. “Quand on parle de la Provence, on le doit immédiatement au peintre Paul Cézanne. C’est le porteur de cette image. Dans l’Hérault, il n’y en a pas de cette réputation. C’est l’explication. Mais Cézanne occulte une autre vision de la Provence… Alors que l’Hérault apparaît à travers un certain nombre de sites remarquables. Plus parlant que la peinture.”

“Le vent participe de l’organisation du paysage”

Éolienne de l’esplanade de Clapiers Photo : Christian Guiraud.

Et qu’est-ce qu’un paysage languedocien ? “Si je dois citer un fil rouge, je pense immédiatement au Canal du Midi qui nous relie de Toulouse au Rhône.” Et puis, il y a aussi le… vent. Si présent.  Est-ce que faire appel à l’art ne va pas réconcilier tout le monde ? Le vent faisait tourner à partir du XVIe siècle les moulins, une économie locale.

Et aujourd’hui ? Christian Guiraud répond : “Une artiste qui a mis au point des parfums à partir de la garrigue. Eh bien elle s’est penchée sur ce problème de l’intégration paysagère des éoliennes. Car ces mâts verticaux écrasent l’horizon, empêchant d’avoir une vision en perspective du paysage. Certains disent : “Je n’ai plus d’émotion ; je ne vois plus que les éoliennes…” Par ailleurs, “le vent a modelé les paysages avec les haies pour protéger les cultures ; il a toujours été un objet économique : c’est un élément essentiel du tourisme avec la voile ; il y a treize ports de plaisance dans l’Hérault ! C’est un facteur économique fondamental. Il est au centre des nouvelles énergies, avec donc les éoliennes. Le vent participe de l’organisation du paysage.”

Olivier SCHLAMA

La revue. Ph. O.SC.
👉 LES AUTEURS : (1) Christian Guiraud (docteur de sociologie à la retraite, coordinateur de la revue), Jean-Paul Volle (professeur émérite de géographie urbaine, à la retraite), Guy Laurans (docteur en sociologie à la retraite) ; Jean-Pierre Courdier (artiste peintre, à la retraite) ; Jean-François Dumont (chercheur à l’IRD retraité) ; Jean-Philippe Degeai (Labo archéologie des sociétés méditerranéennes, à l’université Paul-Valéry de Montpellier) ; Rémi Azémar (Labo Traces, université de Toulouse) ; Laurent Paya (ingénieur paysagiste CNRS) ; Vincent Larbey (docteur en sociologie) ; Marie-José Guigou (historienne, à la retraite) ; Mans Schepers & Henny Groenendijk (centre d’études paysagères, Groningen et Institut d’archéologie de la même ville).
👉 Tiré dans un premier temps à 200 exemplaires, on peut l’acheter dans les librairies Clerc et Sauramps, à Montpellier ; à Pézenas aussi. Sur commande également. 25 €.

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