Eau : Pour que la gestion coule de source, l’exemple limpide de Rives et Eaux du Sud-Ouest

Le cas de barrage de Puydarrieux (Hautes-Pyrénées). Ph. DR

Dans un contexte de réchauffement climatique, l’un des leviers de la gestion de l’eau dans la région, la CACG, devenue Rives et Eaux du Sud-Ouest, va investir 200 M€ d’ici 2030 pour faire face à divers défis. Décryptage avec Willy Luis, DG de l’entreprise. Pour Carole Delga, cet outil “consolide le réseau hydraulique régional”.

La Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne (CACG) a voulu marquer le coup pour concrétiser un tournant dans son histoire. Et pour un opérateur de gestion de l’eau, le lac de barrage de Puydarrieux, dans les Hautes-Pyrénées (1), était tout indiqué pour y inviter plusieurs centaines de personnes et y débattre autour d’une table ronde – dont Carole Delga présidente de la Région Occitanie et Alain Rousset, président de la région Aquitaine – sur le “partage durable de l’eau”, y compris dans une partie de la région qui n’a pas forcément la culture du manque d’eau. Et pour cause, elle en reçoit, environ 1 000 mm par an, tombés du ciel quand s’accumulent à peine 240 mm, dans les P.-O., sur la même période… Et gérer l’eau ne coule pas de source, comme nous vous l’expliquions dans cet article ICI.

3500 km de rivières, 500 millions de mètres cubes d’eau

Depuis 65 ans, l’opérateur – créé par l’État – et ses 245 salariés gèrent un peu moins d’une centaine d’ouvrages et de retenues d’eau permettant notamment d’alimenter près de 3 500 km de rivières dans le Sud-Ouest de la France, soit 500 millions de mètres cubes d’eau au total. Cet opérateur, l’un des deux bras armés de la nouvelle politique de l’eau de la Région Occitanie, avec BRL, s’impliquera à l’avenir vers la mise en oeuvre de “réponses concrètes aux enjeux de la transition écologique dans les domaines de l’eau, de la transition agricole et de la transition énergétique, en France et à l’international”. La soeur jumelle du groupe BRL (Compagnie du Bas-Rhône Languedoc) qui déroule ses actions, elle, dans l’ex-Languedoc-Roussillon, avait déjà procédé, en 2023, à une augmentation de capital (2).

200 M€ d’investissement prévus d’ici 2030

Willy Luis, DG de l’ex-CACG devenue Rives et Hauts du Sud-Ouest. Ph. DR.

Des ambitions stratégiques nécessaires pour une gestion durable de l’eau face au réchauffement climatique : le CACG, dont Dis-Leur vous a déjà parlé ICI, a réalisé, en 2023, 38 M€ de chiffre d’affaires dont 4,7 M€ à l’international. Ce sont aussi 9,2 M€ d’investissements réalisés en 2023 et 200 M€ prévus d’ici 2030. Sachant que, depuis l’an dernier, la Région Occitanie s’est doté d’un ambitieux “plan eau”.

La présidente, Carole Delga, avait développé l’an dernier les grands axes d’actions mobilisant 160 M€ d’ici 2030. Promouvoir la sobriété ; réutiliser les eaux usées ; créer un vrai réseau hydraulique régional ; accompagner les agriculteurs ; renaturer cours d’eau et cours d’école… Elle demandait à ce que “le couple Région-départements soit mis en avant sur cette question”, avait dit la présidente de la Région, se disant défavorable à une usine de dessalement d’eau de mer et à amener, via Aquadomitia, l’eau du Rhône dans les P.-O. avant d’être depuis peu favorable à une étude de faisabilité sur cette question. Carole Delga avait ajouté : “Il n’y aura pas de mégabassine dans notre région”. En revanche, des projets-pilote de réutilisation d’eau usée, oui !

La CACG devient Rives et Eaux du Sud-Ouest

Willy Luis, directeur général de la CACG depuis 2021, confie que cet organisme vient de changer de nom ce matin pour donner “un nouvel élan à l’entreprise” aujourd’hui avec de nouveaux projets et de nouveaux moyens. Présidé par le vice-président de la Région Occitanie, Jean-Louis Cazaubon, la CSCG s’appelle désormais Rives et Eaux du Sud Ouest ; de quoi participer de cette nouvelle dynamique. “CACG était adaptée à ses missions de l’époque, des aménagements hydrauliques, et adaptée à son territoire, la Gascogne, notamment, dans une période, les Trente Glorieuses, où la France cherchait à se reconstruire. Où l’on accompagnait les territoires ruraux pour limiter l’exode rural et où l’on donnait davantage de moyens d’action aux agriculteurs.” Soixante-cinq ans plus tard, tout a évolué. Le périmètre d’intervention, plus large, comme les défis à relever.

On observe une baisse du débit naturel de nos rivières en été de 1 % en moyenne chaque année…”

Willy Luis, DG de l’ex-CACG

Willy Luis dresse un constat : “Ce que nous constatons depuis plusieurs décennies, et cela s’est énormément accéléré ces trois ou quatre dernières années, c’est un impact assez fort du changement climatique et notamment de l’élévation des températures sur la ressource en eau. En période d’étiage, en été, on a moins d’eau disponible que par le passé et on est amenés à vivre cette situation de manière régulière dans le futur. Cela devrait se renforcer dans le futur. Pour donner un exemple, on observe depuis trente ans, une baisse du débit naturel de nos rivières en été de 1 % en moyenne chaque année. La raison principale : le manteau neigeux qui faiblit. Nous avons moins de neige l’hiver. Or, la neige constitue un stockage naturel et gratuit de l’eau. Quand elle fond, ça alimente rivières et lacs et cela permet à tous les préleveurs de prélever de l’eau. Quand il y a moins de neige ou quand celle-ci fond beaucoup plus vite, en juillet, août et septembre, on ne dispose plus d’autant de cette ressource naturelle.”

Le cas de barrage de Puydarrieux (Hautes-Pyrénées). Ph. DR

“Satisfaire la totalité des usages”

Y a-t-il des points de tensions sur le partage de l’eau dans cette partie de l’Occitanie ? “En réalité, cette eau n’est pas uniquement destinée à l’agriculture – et c’est ce qui justifie le nouveau projet de l’entreprise et son changement de nom, répond Willy Luis, le DG de l’entreprise. Notre mission c’est d’essayer de faire en sorte que l’on parvienne à sécuriser la ressource pour satisfaire la totalité des usages : l’eau aux robinets dans les foyers ; l’eau pour l’industrie ; l’eau pour le milieu naturel et la biodiversité dans les rivières. C’est aussi de l’eau pour les agriculteurs.”

“Dans le système de la Neste, 70 % de l’eau que nous gérons va au milieu naturel”

À qui va principalement l’eau gérée par Rives et Eaux du Sud-Ouest ? “Cela dépend du système hydraulique. Si l’on prend le principal système que nous gérons, celui de la Neste, très complexe, qui alimente toute la Gascogne, c’est 70 % de l’eau que nous gérons qui va au milieu naturel (à maintenir le niveau d’eau dans les rivières) ; environ 20 % pour l’agriculture et 10 % pour l’eau potable et l’industrie, révèle-t-il. Au-delà des proportions, notre raison d’être c’est que l’eau ne doit pas servir à un seul usage. Mais doit essayer de satisfaire la totalité des usages de manière équitable. On n’est pas une entreprise d’irrigation agricole ; on n’est pas non plus une entreprise dédiée au milieu naturel ; ni uniquement destinée à l’eau potable.”

Y a-t-il des projets d’ouvrages… ? “Nous travaillons autour de trois axes. Celui de la sobriété, pour essayer de limiter la consommation, d’accompagner les usages pour qu’ils soient au maximum vertueux ; nous menons des travaux de recherche et développement depuis longtemps dans une ferme – que nous possédons et que l’on exploite – orientée vers de l’agroécologie. On y imagine des modèles agricoles qui soient moins gourmands en eau.”

Sur le système Neste on a lancé un schéma directeur pour planifier les gros investissements hydrauliques pour les 20 ou 30 prochaines années”

Willy Luis, DG de l’ex-CACG devenue Rives et Hauts du Sud-Ouest. Ph. DR.

Willy Luis complète : “Nous n’allons pas annoncer un futur grand ouvrage parce qu’il n’est pas décidé. En revanche, nous investissons déjà dans la rénovation, la modernisation et l’optimisation du fonctionnement des ouvrages existants. On refait des écréteurs de crues, on relève certains barrages… Nous investissons 120 M€ sur l’hydraulique. On consacre aussi pas mal d’argent à l’efficience énergétique, car nous sommes gros consommateurs d’électricité, pour alimenter de grosses pompes qui, pour certaines, sont assez vieilles et que l’on remplace par des plus performantes. Et sur le système Neste on a lancé un schéma directeur pour planifier les gros investissements hydrauliques pour les 20 ou 30 prochaines années. Ces investissements seront dévoilés à la fin de cette étude, d’ici un an. Dès lors, il y aura un certain nombre de projets, peut-être de grands projets, qui seront décidés.”

60 M€ à 70 M€ pour les énergies renouvelables

Il ajoute : “Par le passé, l’entreprise avait tendance à s’éparpiller {ce qui avait été relevé par la Chambre régionale des comptes, Ndlr). Nous avons engagé un recentrage de nos activités autour de l’eau. Dans les activités que nous développons, nous sommes aussi engagés dans le développement des énergies renouvelables, en rapport avec l’eau et à partir du patrimoine hydraulique que nous gérons. Nous venons de conclure sur deux projets d’installation de centrales hydro-électriques. Pour notre propre compte – ce qui est nouveau – nous investissons d’ailleurs des sommes importantes, entre 60 M€ et 70 M€ sont ainsi fléchés dans les prochaines années pour développer les énergies renouvelables. Nous accompagnons aussi des projets extérieurs en répondant à des appels d’offres également, ce qui est aussi source de financements.

À l’arrivée, Rives et Eaux du Sud-Ouest envisage “un volume de production qui avoisinera à terme les 70 GWh/an, soit l’équivalent de consommation de 15 000 foyers français. Dans cette perspective, elle a procédé fin 2023 à une prise de participation dans la société d’hydroélectricité Cerbère, avec l’Agence Régionale Energie Climat (Arec). Enfin, l’entreprise, engagée dans une stratégie de limitation de ses impacts environnementaux et de maîtrise de son empreinte carbone, investira 35 M€ en vue de l’atteinte d’une réduction de 14 % des consommations d’énergies liées à ses activités”.

Mieux stocker l’eau

“Le deuxième axe concerne les retenues. Il y a un manque de neige mais on ne constate pas une baisse de pluviométrie, il pleut toujours autant ; ça veut dire qu’il y a toujours autant d’eau qui part à l’océan ou à la mer. On travaille donc à des solutions techniques pour mieux stocker l’eau, ce qui nécessite des investissements très importants – 200 M€ d’ici 2030 – pour gagner quelques millions de mètres cubes de stockage partout où on le peut. Nous accompagnons aussi certains territoires qui ont des projets de stockage. Dernier axe, celui de la gestion. C’est bien d’avoir des ouvrages mais ils ne seront réellement efficients que s’il est géré au quotidien. Il faut faire un gros travail de concertation et de contractualisation avec les usagers. De gestion technique, comme ouvrir et fermer les vannes au bon moment pour alimenter les rivières avec le volume d’eau nécessaire mais pas davantage parce que toutes les gouttes comptes. C’est un métier méconnu qui est très technique. C’est l’essentiel du savoir-faire de l’entreprise. Et ce savoir-faire, déployé sur d’autres territoires, pourrait amener un bon bout de la réponse.”

BRL, “une source d’inspiration

Quelles sont les relations avec BRL, basé à Nîmes, que certains voyait se marier, jadis, avec la désormais ex-CACG ? “On se ressemble beaucoup. Nous avons les mêmes actionnaires. Les mêmes missions, les mêmes statuts, Société d’aménagement régional au départ. C’est notre équivalent dans l’ex-Languedoc-Roussillon. On est confrères, consoeurs, cousines. On s’entend très très bien. Se rapprocher oui, échanger oui, c’est ce que l’on fait, mais de mariage aucunement. Nous ne sommes pas concurrents. Nous nous aidons. Je me suis inspiré d’un certain nombre de choses que BRL avait engagées en termes d’outils, de construction de projetÇa a été une source d’inspiration.”

Vers un transfert des concessions

« Sa nouvelle identité, a commenté Carole Delga, marque une nouvelle étape dans notre stratégie pour consolider le réseau hydraulique régional. Son nouveau nom, Rives et eaux du Sud-Ouest, traduit à lui seul l’étendue des territoires concernés par la pérennisation de ce formidable outil. Dans cette continuité, la prochaine étape majeure se traduira par le transfert des concessions gérées par des Rives et eaux du Sud-Ouest de l’État aux deux Régions concernées. Elle devrait intervenir d’ici la fin de l’année”.

Olivier SCHLAMA

(1) Situé à 15 km de Lannemezan, ce lac artificiel de 220 hectares est emblématique des savoir-faire de l’entreprise, qui l’a créé en 1987. Le site incarne aujourd’hui pleinement l’approche multi-usages de l’eau dans le sud-ouest. Intégré au système Neste, il permet d’alimenter la Baïsole puis la Baïse, et ainsi de contribuer aussi bien au soutien d’étiage qu’à l’irrigation des parcelles agricoles jusque dans le Néracais, mais également à l’adduction d’eau potable, ou encore à la navigation. Classé Natura 2000, le Lac de Puydarrieux est aussi une réserve de biodiversité, située sur la route des migrations d’oiseaux. Enfin, au nord, une petite centrale hydroélectrique permet également la production d’énergie renouvelable.
(2) La CACG a procédé en en 2023 à une augmentation de capital massive de 24 M€. Le collège public de ses actionnaires compte la Région Occitanie et la Région Nouvelle-Aquitaine, ainsi que 12 départements : la Haute-Garonne, le Gers, les Hautes-Pyrénées, le Tarn-et-Garonne, le Lot, le Tarn, les Landes, le Lot-et-Garonne, l’Aveyron, les Pyrénées-Atlantiques, l’Ariège et la Dordogne. Le collège privé est constitué par trois institutions privées : la Banque des Territoires, la Caisse d’Epargne Midi-Pyrénées et le Crédit Agricole.

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