Rives & Eaux : “Tout le monde a compris que l’on va manquer d’eau si on ne fait rien”

relevés topographiques 2025. Ph. DR

“Il y a une vraie prise de conscience globale”, déclare Willy Luis, DG de Rives & Eaux du Sud Ouest qui gère en Occitanie et Aquitaine un peu moins d’une centaine d’ouvrages et de retenues d’eau permettant d’alimenter près de 3 500 km de rivières.

Le directeur général de Rives & Eaux du Sud-Ouest, L’un des deux bras armés de la région avec BRL, de sa politique de l’eau, explique, dans une interview à Dis-Leur !, qu’il y a “une vraie prise de conscience globale”. Les conclusions d’une grosse étude, attendues d’ici la fin de l’année, vont, dit-il, “nous donner des indications sur la réalité des déséquilibres entre la disponibilité de la ressource et les besoins des usages. Et donc nous indiquer les solutions d’adaptation très concrètes qu’il faudra mettre en oeuvre, notamment les investissements qu’il faudra envisager si l’on ne veut pas se retrouver dans des situations de manque d’eau”.

Même en Ariège, l’un des “châteaux d’eau” des Pyrénées, on élabore des plans d’économies d’eau, c’est dire si la situation est grave… Qu’en pensez-vous ?

Willy Luis : Oui, nous sommes en plein dans le sujet. C’est ce qui nous préoccupe.

Dîtes-nous en davantage sur la situation dans la zone d’intervention de Rives & Eaux ?

Willy Luis, DG de Rives & Eaux du Sud Ouest.

Willy Luis : Notre zone géographique d’intervention est très liée aux Pyrénées. Nous sommes très présents sur la partie centrale et occidentale de la chaîne. L’impact de la neige est considérable. C’est le facteur numéro 1 de la disponibilité en eau au printemps, en été et à la fin de l’automne. Au moment de l’étiage, notamment. C’est très net. Et les prévisions de tous les travaux d’experts de l’Agence Adour-Garonne pour estimer l’impact du changement climatique, sont assez alarmistes. Ce qui nous est annoncé, par rapport à aujourd’hui, à l’horizon 2050, est de l’ordre de 35 % à 65 % de neige en moins. On peut imaginer l’impact de la disponibilité de la ressource au moment où la neige va fondre.

Quel serait l’impact in fine ?

Willy Luis : Nous observons depuis 30 ans, une diminution de 1 % du débit en moyenne par an sur les rivières de montagne que nous gérons. Ce qui fait à peu près – 30 % en 30 ans. Et la tendance jusqu’en 2050 est de continuer à perdre à peu près 1 % par an. C’est considérable.

Surtout dans des endroits où l’on considérait que la ressource était inépuisable ?

Willy Luis : Tout à fait. Les territoires qui se pensaient totalement à l’abri réalisent aujourd’hui que ce n’est pas le cas. Même en montagne, les rivières seront de moins en moins alimentées à l’avenir. L’eau qui ne descend pas de la montagne n’arrive pas en plaine ; c’est de l’eau pour recharger les lacs ; pour rendre possibles tous les usages, l’agriculture en particulier ; l’eau potable.

Ce que nous constatons depuis quelques mois, c’est qu’il y a une vraie prise de conscience dans tous les territoires. Avant 2022 et la sécheresse historique présente sur tous les territoires, des zones comme le pourtour méditerranéen étaient en déficit hydrique. Pour les autres, la question ne se posait pas. 2022 a fait prendre conscience que tous les territoires sont vulnérables alors qu’ils se pensaient à l’abri. Et que si on ne fait rien, si on ne travaille pas à des solutions d’adaptation pour les décennies à venir, on manquera d’eau, y compris sur nos territoires.

Il y a un an, vous avez pris un nouveau nom ; vous avez posé la première pierre d’une stratégie bien identifiée. Depuis, que s’est-il passé ?

Chantier de sécurisation du canal de Monlaur (32) – siphon des Balances. Ph. DR

Willy Luis : Depuis un an, on avance. Sur le long terme, nous avons engagé le système directeur du système Neste. C’est la très grosse étude qui sera achevée à la fin de l’année et qui va nous donner des indications sur la réalité des déséquilibres, entre la disponibilité de la ressource et les besoins des usages. Et donc nous indiquer les solutions d’adaptation très concrètes qu’il faudra mettre en oeuvre et notamment les investissements qu’il faudra envisager si l’on ne veut pas se retrouver dans des situations de manque d’eau.

Quelles grosses réalisations, barrages, retenues… ?

Willy Luis : Cela peut concerner des ouvrages qui existent aujourd’hui ; c’est déjà une stratégie que nous avons débutée il y a trois ans. Sur le système Neste, nous investissons chaque année 9 M€, pour optimiser : soit éviter les fuites dans les réseaux et les canaux ; soit sur des barrages pour optimiser son volume. Les gros travaux, ce sont aussi de nouveaux ouvrages. On sait déjà que, même en ayant fait le maximum pour optimiser nos ouvrages, cela ne suffira pas. Il y aura besoin de construire de nouvelles infrastructures, notamment de stockage de l’eau : de nouveaux lacs, de nouvelles retenues. On s’y prépare.

C’est le schéma directeur qui va nous en indiquer la volumétrie ; proposer des solutions techniques et des plans d’économies et de sobriété. Que ce soit pour nous, gestionnaires, en limitant les fuites par exemple, ou pour les usagers : il faut économiser l’eau. Ce document abordera sans doute des solutions basées sur la nature. Comment travailler la recharge de nappes, par exemple. Ce sera un mix de trois catégories de solutions : économiser, mettre en oeuvre des solutions fondées sur la nature (recherche de nappes ou réactivation de zones humides) et optimiser les infrastructures actuelles. Et la création envisagée de structures nouvelles.

Il y a une autre solution personnelle à Rives & Eaux : un gros travail avec tous les territoires sur la gestion opérationnelle de l’eau. La gestion opérationnelle, ce sont des sujets de concertation, de tarification, de contractualisation… On va devoir les travailler encore mieux. Et j’espère que l’on nous demandera de les travailler sur d’autres territoires. Nous avons, de notre côté, mis en oeuvre la tarification progressive pour tous nos agriculteurs. Tous ceux qui ont une autorisation de prélever dans les rivières que nous gérons voient le tarif du mètre cube augmenter en fonction de la quantité prélevée. Les premiers mètres cubes ne sont pas très chers et ils le deviennent ensuite de plus en plus. De quoi les engager à avoir des systèmes plus économes.

C’est ce que l’on appelle le partage de l’eau ? Sachant qu’il faut, notamment, la sécuriser pour l’agriculture ?

Lac du Gabas (64). Ph. DR

Willy Luis : Ce sont les premiers usagers et les premiers concernés si on manque d’eau. Il faut en même temps les engager dans des plans d’économies, les amener à réfléchir sur le choix de leurs cultures de leur assolement et aussi et surtout sur les techniques d’irrigation. Je ne suis pas pessimiste, à une condition : au préalable, ils ont besoin qu’on les rassure dans notre capacité à sécuriser la ressource. Ils nous disent : “On veut bien faire des économies, changer beaucoup de choses mais il va falloir qu’on investisse beaucoup. Et on ne veut pas le faire si on n’est pas sûr que sur le très long terme il y en aura”.

L’une des craintes, c’est l’agri-bashing…?

Willy Luis : Ils ont compris. La conscience, ils l’ont. Ils l’ont beaucoup plus que la plupart des citoyens.

Le fait qu’il ait beaucoup plu cette année ne rend-il pas le message plus difficile à faire passer auprès des plus réticents ?

Willy Luis : C’est une difficulté. Entre le message que nous voulons faire passer et le message perçu par certains, il y a un décalage énorme. Pourquoi ? Parce que, quand nous disons il va manquer d’eau, cela ne signifie pas qu’il va moins pleuvoir, qu’il va tomber moins d’eau du ciel. Cela veut dire que, certes, le volume de précipitations va diminuer un petit peu, dans le Piémont, mais pas énormément.

En revanche, les épisodes de pluie seront beaucoup plus denses, notamment l’hiver et l’automne. Et les épisodes de sécheresse, eux, seront beaucoup plus fréquents et plus longs avec de la canicule. Ce sera très marqué. Avec plus d’écoulement, moins de retenues. Toutes les capacités actuelles de stockage dans notre zone d’intervention représentent à peine 25 % de l’eau consommée. Si on n’augmente pas les volumes de stockage, il peut pleuvoir autant qu’on veut, on ne peut pas les retenir et si on a quatre ou six mois de sécheresse, on manquera d’eau.

Matignon a lancé le cycle de conférences de l’eau avec des déclinaisons régionales. Vous y participez ?

Willy Luis : Oui, elle a eu lieu chez nous il y a deux semaines, à Bordeaux.

Qu’en avez-vous retenu ?

Willy Luis : C’était organisé par le Comité de bassin et l’Agence de l’eau, sous la présidence à la fois du préfet de région et Alain Rousset, président de la région Aquitaine. Quelque 500 à 600 personnes étaient présentes, des consommateurs, associations, agriculteurs, collectivités, etc. Le but est de fabriquer à l’échelle locale un point de vue et des propositions sur trois thématiques : la qualité de l’eau, quantité et la gouvernance de l’eau.

J’ai vraiment le sentiment désormais que sur tous les territoires du bassin Adour-Garonne les gens qui s’expriment – responsables politiques, responsables d’administrations d’Etat, d’associations, d’usagers – ont compris. Ils ont compris que, dans quelques années, on va manquer d’eau et qu’il faut trouver des solutions. Tout le monde est sur la même longueur d’onde. C’est la grande nouveauté. Il y a quelques mois encore, il n’y avait pas un tel consensus.

Êtes-vous optimiste ?

Travaux de modernisation du barrage de Mielan (32) – remplacement de la vanne de vidange et conduite de restitution. Ph. DR

Willy Luis : Oui. C’est mieux si on est nombreux à avoir conscience de cela. Cela facilitera des prises de décisions politiques. A l’échelle de notre bassin, c’est 1,2 milliards de mètres cubes d’eau qui vont manquer en 2050. I l faut les trouver quelque part. Il faut des décisions politiques. Et cette prise de conscience va aider.

En revanche, on sait que l’on est sur des sujets nécessitant des infrastructures qui feront l’objet d’oppositions.

Vous faites référence à l’A 69 ?

Willy Luis : Par exemple. Mais restons sur le positif : la prise de conscience est largement partagée. C’est encourageant.

Et, à titre personnel, est-ce gratifiant d’arriver à mettre les choses en marche, à relever ce défi ?

Willy Luis : Je suis dans l’entreprise depuis bientôt quatre ans. Ce n’était pas tout à fait mon monde. J’étais DG de collectivités ; je n’étais pas spécialiste de l’eau même si je suis ingénieur. J’adore ce que je fais aujourd’hui pour deux raisons : on travaille sur un sujet qui est vital pour l’avenir des territoires. Les décisions qui seront ou non prises, les projets qui seront ou non réalisés vont avoir un impact considérable sur la vie des territoires pour des décennies voire des siècles.

D’ici la fin de l’année, Carole Delga, présidente de la Région, et Sébastien Vincini, président de la Haute-Garonne, feront-ils des annonces ?

Willy Luis : Ils sont à la tête des principales collectivités – avec la région Aquitaine – qui sont les principaux actionnaires de Rives & Eaux. Les résultats seront partagés avec eux et il y aura des décisions. Cela me motive aussi parce que l’on est au centre de la vie, de la biodiversité et ce qui me motive également, c’est qu’il y a une nécessité à faire. A fabriquer et mettre en oeuvre des solutions. Quand on a une âme d’entrepreneur on aime être dans ce type d’action.

La problématique aussi c’est qu’il peut pleuvoir très fort à un endroit et pas du tout à un autre, voisin. C’est une problématique est à la fois locale, nationale et même internationale…?

Willy Luis : Complètement. Un certain nombre de grands fleuves qui parcourent la France prennent leur source à l’étranger. C’est le cas de la Garonne (en Espagne) ; du Rhône ; du Rhin. C’est un sujet qui dépasse les frontières, quel que soit le niveau auquel on raisonne ; du bassin, du sous-bassin, du pays, etc.

Propos recueillis par Olivier SCHLAMA

  • Depuis 65 ans, l’opérateur – créé par l’État – et ses 245 salariés gèrent un peu moins d’une centaine d’ouvrages et de retenues d’eau permettant notamment d’alimenter près de 3 500 km de rivières dans le Sud-Ouest de la France, soit 500 millions de mètres cubes d’eau au total. Cet opérateur, l’un des deux bras armés de la nouvelle politique de l’eau de la Région Occitanie, avec BRL, s’impliquera à l’avenir vers la mise en oeuvre de “réponses concrètes aux enjeux de la transition écologique dans les domaines de l’eau, de la transition agricole et de la transition énergétique, en France et à l’international”. La soeur jumelle du groupe BRL (Compagnie du Bas-Rhône Languedoc) qui déroule ses actions, elle, dans l’ex-Languedoc-Roussillon, avait déjà procédé, en 2023, à une augmentation de capital de 24 M€.
  • Le groupe Rives & Eaux a réalisé, en 2024, 34,1 M€ de chiffre d’affaires. Un investissement total de 200 M€ est prévu d’ici 2030. Le groupe emploie 267 salariés.
  • La présidente, Carole Delga, avait développé l’an dernier les grands axes d’actions mobilisant 160 M€ d’ici 2030. Promouvoir la sobriété ; réutiliser les eaux usées ; créer un vrai réseau hydraulique régional ; accompagner les agriculteurs ; renaturer cours d’eau et cours d’école… Elle demandait à ce que “le couple Région-départements soit mis en avant sur cette question”, avait dit la présidente de la Région, se disant défavorable à une usine de dessalement d’eau de mer et à amener, via Aquadomitia, l’eau du Rhône dans les P.-O. avant d’être depuis peu favorable à une étude de faisabilité sur cette question. Carole Delga avait ajouté : “Il n’y aura pas de mégabassine dans notre région”. En revanche, des projets-pilote de réutilisation d’eau usée, oui !