“Des territoires aux grandes écoles” : Un réseau pour que les jeunes ruraux trouvent leur voie

Que l’on habite dans un village ou une petite ville, il est légitime d’avoir l’ambition d’intégrer une filière d’excellence et que l’on s’autorise à la choisir. C’est le leitmotiv d’une association nationale qui a aidé à travers ses 44 associations locales 20 000 jeunes étudiants cette année et qui se développe en Occitanie.

Pas de quartier pour les élites qui se reproduisent entre elles !  “Les élèves parisiens ont trois fois plus de chance d’intégrer une grande école que les provinciaux”, selon le président de la fédération d’associations locales Des territoires aux grandes écoles, créée en 2013 dans le Pays Basque. Celle-ci participe ainsi d’un “cercle vertueux”, selon Cyprien Canivenc, son président, qui fêtera ses 30 ans en 2022.

Né à Albi (Tarn), ce jeune ancien élève de l’ENA, qui a aussi passé deux ans à Lacaune, a un cheval de bataille : “Libérer les jeunes ruraux et ceux des petites villes pour qu’ils se présentent aux concours des grandes écoles” ; en “supprimant trois freins principaux pour y arriver”.

“40% des bacheliers ruraux renoncent aux études supérieures par peur…”

En août, Joël Giraud, secrétaire d’Etat chargé de la Ruralité, avait twitté pour aider les “décrocheurs” : “40% des bacheliers ruraux renoncent aux études supérieures par peur. Ils se disent sûrement qu’ils n’ont pas les codes. Alors qu’en moyenne, les bacheliers en zone rurale ont de meilleurs résultats. C’est un immense gâchis. Je dis à ces jeunes : ne renoncez pas !”

Manque d’info, enseignement supérieur complexe…

La fédération, qui compte 1 500 adhérents, a ainsi sensibilisé ou accompagné dans l’année scolaire 2020-2021 plus de 20 000 jeunes. Cyprien Canivenc précise : “Quand on voit la passion qui anime nos adhérents, tous issus de territoires ruraux, nous en sommes fiers. Quand j’étais au lycée, moi-même j’ai manqué d’information ; le système d’enseignement supérieur est complexe ; j’avais l’impression que certains parcours étaient inaccessibles ; que je n’y arriverais jamais parce que je manquais de repères ou de références. Et donc mon parcours a été une succession de décisions, de hasards et de rencontres. C’est le cas de l’ensemble de nos membres. L’objectif c’est justement de s’assurer que l’ensemble des jeunes aient la possibilité de faire des choix éclairés.”

“Notre objectif n’est pas que tout le monde fasse Polytechnique mais que tous les jeunes puissent réaliser le parcours auquel ils peuvent aspirer…”

Cyprien Canivenc, Des Territoires aux Grandes écoles
Cyprien Canivenc. DR.

Et la comparaison fonctionne à plein entre ces jeunes tuteurs – qui font médecine, une école d’ingénieur, sciences po…- de la même classe d’âge que les lycéens qu’ils aident. Une sorte de “biocarriérisme” ? “Notre objectif n’est pas que tout le monde fasse Polytechnique mais que tous les jeunes puissent réaliser le parcours auquel ils peuvent aspirer ; auquel il se sentent autorisé à aspirer.” Il dit : “On est convaincus de certaines fragilités de nos territoires mais aussi que ce sont de beaux territoires et que la jeunesse a plein de talents…” C’est aussi une chance pour les grandes écoles !

Lever l’autocensure des jeunes

Il ajoute : “Nos missions sont doubles : l’égalité des chances et le dynamise économique local. Ce sont les piliers de nos associations locales. Pour améliorer l’égalité des chances nos adhérents, diplômés entre bac + 1 et bac +4, interviennent dans leurs anciens lycées pour lever l’autocensure des jeunes, leur fournir des informations et les accompagner sous la forme d’un mentorat de six mois à un an pour leur montrer que tout est possible…” Car, ajoute-t-il, “il y a un vrai manque d’information des jeunes ruraux et beaucoup d’autocensure et certains rencontrent des difficultés financières”.

“Chaque asso, autonome, gère ses partenariats locaux”

La fédération a créé en 2018, via une fondation abritée à la Fondation de France, un dispositif de bourses qui bénéficie, cette année à 32 lauréats réparties dans six associations locales : l’Allier, l’Alsace, Le Béarn et le Pays Basque, la Mayenne et le Tarn. Le budget de la fédération Des territoires aux grandes écoles, dont l’un des fondateurs est issu du Pays Basque, Bixente Etcheçaharreta, n’est pas fastueux (1) mais n’a pas de prix. “Chaque association locale est autonome et gère des partenariats locaux avec des mécènes individuels ou des entreprises. Au niveau national, on a un partenaire financier : la Fédération nationale du crédit agricole. Pour les bourses, nous avons Hermès et BNP Paribas.”

Bourses à 6 000 € par étudiant sélectionné

Les territoires innovent et recèlent des talents qui ne demandent qu’à émerger. “L’association du Tarn, par exemple, organise un concours d’éloquence ; celle de l’Hérault, très dynamique, monte régulièrement à Paris avec de futurs étudiants pour démythifier la capitale. Notre modèle est avant tout basé sur la solidarité locale. C’est notre ADN. On a des  financeurs locaux et des financeurs nationaux. Pour les bourses, ce sont des jeunes présélectionnés par les équipes éducatives de nos lycées partenaires, puis un jury local de profs d’université, et de nos adhérents et des donateurs. Ils sont sélectionnés sur leur niveau financier et également ceux à fort potentiel mais qui pourraient être freinés par des frais financiers. C’est une bourse de 6 000 € par étudiant. Cela représente plus de 250 000 € cette année.”

Pas tous d’un même moule

Cette action est bienveillante. Elle consiste à débloquer leur audace pour les laisser avoir libre cours à leurs propres aspirations. Y compris psychologique et financier. Adhérents des Territoires vers les Grandes écoles, de nombreux diplômés qui, en majorité, ont conscience de ce complexe séculaire envers “Paris”, en font ensuite profiter les jeunes de leur région natale. Cela permet aussi que tous les étudiants se soient pas tous d’un même moule.

Tarn-et-Garonne : “En projet un réseau entre adhérents et entreprises et un dispositif de bourses”

Cette fédération est partenaire de l’Education nationale et participe à plusieurs dispositifs publics nationaux dont le VTE (le volontariat territorial en entreprise) qui favorise l’égalité des chances est en pleine expansion, passant en cette rentrée de 34 à 44 associations locales chacune “totalement autonome” (2), dont celles de l’Ariège et du Tarn-et-Garonne qui vient d’être créée, présidée par Guillaume Vigouroux, à la Sorbonne en Master II et passé par Sciences po Toulouse (lire ci-après). Lui-même vice-président de l’association locale du Tarn, Cyprien Canivenc porte déjà deux projets sur le long terme : “La mise en place d’un réseau entre adhérents et entreprises et justement un dispositif de bourses en plus d’interventions dans les lycées.”

“J’étais content de partir faire mes études à Toulouse mais après j’ai trouvé injuste que quand on vient de certains endroits ce n’est pas possible. Il y a tellement de freins supplémentaires…”

Guillaume Vigouroux
Guillaume Vigouroux. DR.

Le jeune homme reconnaît qu’il a eu de la “chance” : dans sa famille c’était naturel de faire des études supérieures mais que 17 % des lycées généraux de France apportent la moitié des effectifs des grandes écoles”. L’idée c’est d’aider les étudiant à choisir un parcours selon leur projet professionnel qui n’intègre pas forcément une très grande école. Qu’ils s’identifient aux réussites de ceux qui les ont précédés et qu’ils n’aient pas peur d’un échec s’il devait y en avoir un. Pour cela on bosse avec eux sur les orientations.” Il explique le déclic qui l’a mené à créer ce réseau fait par et pour les jeunes ruraux : “J’étais content de partir faire mes études à Toulouse mais après j’ai trouvé injuste que quand on vient de certains endroits ce n’est pas possible. Il y a tellement de freins supplémentaires…”

Olivier SCHLAMA

  • (1) Le budget de l’association fédérale est de 130 000 €. Auquel s’ajoutent les bourses pour un montant de 250 000 € au total. « Elles sont financées par une fondation que nous venons de créer et abritée par la Fondation de France. Notre engagement étant bénévole, il est très économe en moyens. Nous avons estimé l’equivalent financier de cet engagement collectif, dans l’ensemble de la fédération, à 5,5 M€« .
  • (2) La liste des 11 nouvelles associations qui se lancent en septembre 2021, portant le nombre d’associations fédérées à 44 : • De l’Ariège aux Grandes Ecoles • Du Calvados aux Grandes Ecoles • De la Creuse aux Grandes Ecoles • Du Finistère aux Grandes Ecoles • Des Hautes Alpes aux Grandes Ecoles • De la Marne aux Grandes Ecoles • De la Martinique aux Grandes Ecoles • De l’Oise aux Grandes Ecoles • Du Pas de Calais aux Grandes Ecoles • De la Somme aux Grandes Ecoles • Du Tarn-et-Garonne aux Grandes Ecoles.

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