Chronique : Montpellier a-t-elle ruiné le Languedoc-Roussillon pour devenir “la Surdouée” ?

Place de la Comédie. Lancement de la marque Septimanie, l'un des rares flops. Photo : Dominique QUET.

Samuel Touron, du site Aqu’Istoria, livre, dans sa chronique mensuelle, son analyse historique, si loin et si proche, de Montpellier, l’ex-capitale régionale affublée de slogans les plus louangeurs, notamment sous l’ère de l’imperator Georges Frêche. Mais à quel prix ?

À partir des années 1980 la ville de Montpellier devient “la Surdouée”, “le berceau du futur”, une jeune métropole ambitieuse, mondialisée, vitrine d’une région Languedoc-Roussillon qui se rêve en Floride Française. Aujourd’hui, le pari paraît réussi, Montpellier est devenue une métropole nationale, la 7e, presque européenne, bientôt mondiale, parfaitement insérée dans la mondialisation. Pourtant, au sein de l’ex-région Languedoc-Roussillon, Montpellier fait figure de cache-misère, un éden démographique, économique et social, au coeur de l’une des régions les plus pauvres de France.

Jusqu’aux années 1960, la ville de Montpellier est autant peuplée que Nîmes et son prestige paraît moindre en comparaison de villes pourtant moins peuplées comme Sète, Béziers, Narbonne ou Perpignan. Pourtant, avec l’arrivée des pieds-noirs et la politique ambitieuse et moderne d’abord des maires François Delmas puis de Georges Frêche (PS), Montpellier va connaître un développement d’abord démographique puis économique et culturel incomparable en France et presque unique en Europe. En parallèle, la restructuration du pôle universitaire et l’installation d’IBM donne à Montpellier un véritable tremplin économique permettant à la ville de définitivement distancer ses concurrents régionaux.

Le rôle de capitale régionale de Montpellier à l’heure des prémices de la mondialisation et de la métropolisation est un facteur décisif sinon déterminant

Samuel Touron

La suite est plus connue, Montpellier affirme son rôle de capitale régionale et distance définitivement ses concurrents, devenant au tournant des années 1980 : “Montpellier la Surdouée”. Pourtant, un paradoxe demeure, comment Montpellier a t-elle pu s’élever et s’affirmer en tant que la métropole la plus prometteuse du territoire français dans la région la plus pauvre de France, après la Corse ?

En réalité, Montpellier tire sa force de sa position de capitale régionale lui conférant une plus grande visibilité que les cités voisines permettant en grande partie l’essor de la capitale héraultaise. L’inventeur de la formule “Montpellier, la Surdouée”, Georges Frêche, maire de Montpellier de 1977 à 2004, puis président de la région de 2004 à sa mort en 2011 a, par ailleurs, su faire affirmer ses vues pour Montpellier à l’échelle de la région puis, in fine, mettre la région au service de Montpellier. Homme politique de brio, il avait parfaitement compris qu’aucune ville régionale ne s’opposerait à Montpellier et qu’un peu de démagogie suffirait à faire disparaître toute velléité d’opposition à sa politique tant sa vision et la macrocéphalie montpelliéraine qui en résulte entraîna une asymétrie dans les débats. Plus clairement, rien ne peut être entrepris sans Georges Frêche et donc sans Montpellier, Georges Frêche c’est Montpellier et Montpellier c’est la région.

En réalité, Montpellier tire sa force de sa position de capitale régionale lui conférant une plus grande visibilité que les cités voisines permettant en grande partie l’essor de la capitale héraultaise. En effet, on ne peut imputer la réussite de Montpellier à la seule arrivée des pieds- noirs et à quelques investissements ambitieux, son rôle de capitale régionale à l’heure des prémices de la mondialisation et de la métropolisation est un facteur décisif sinon déterminant. La ville de Montpellier rafle depuis les années 1990 tous les prix : ville la plus culturelle, la plus sportive, la plus dynamique, la plus sociale, la plus innovante, récompensée partout dans le monde pour sa vision novatrice de la gestion et du développement municipal. Pourtant, la réussite de Montpellier ne s’est pas faite sans perdants.

Que ce soit le secteur textile en Lozère ou à Nîmes, le bassin houiller à Alès ou encore la viticulture à Béziers, Narbonne, Carcassonne et Perpignan, la région entre dans une relative morosité économique à l’heure où Montpellier connaît un développement économique incomparable en France.

 

En effet, les années 1980 et 1990 qui consacrent Montpellier sont aussi celles du ralentissement économique et social des autres villes régionales. Avec l’entrée puis l’essor de la mondialisation, les secteurs agricoles et industriels pourtant influents dans la région s’effondrent au profit du secteur tertiaire sur lequel se base le tissu économique Montpelliérain. Que ce soit le secteur textile en Lozère ou à Nîmes, le bassin houiller à Alès ou encore la viticulture à Béziers, Narbonne, Carcassonne et Perpignan, la région entre dans une relative morosité économique à l’heure ou Montpellier connaît un développement économique incomparable en France.

Si la région entame sa reconversion économique dès le début des années 1990 se tournant alors définitivement vers le secteur tertiaire et notamment le tourisme, le mal est fait, l’avance prise par Montpellier est irrattrapable. En témoigne notamment l’échec cuisant de Nîmes Métropole à faire de l’ombre à Montpellier Méditerranée Métropole alors que la cité des Antonins se voit refuser ce statut par la loi MAPTAM en 2014. De son côté, la ville de Perpignan, ne s’est même pas risquée à affronter Montpellier et préfère se tourner vers Barcelone dont les récentes visées indépendantistes sont suivies avec une attention constante et intéressée car synonyme d’émancipation de la macrocéphalie Montpelliéraine. Cependant, si les villes de Nîmes et Perpignan tentent encore de lutter contre la macrocéphalie Montpelliéraine ou du moins de s’en émanciper, d’autres villes dont au premier lieu Béziers, mais aussi dans une mesure moindre Narbonne, semblent assommées par la capitale régionale.

Montpellier, Métropole-Citadelle

Ainsi, Montpellier, dès les années 1980 devient l’illustration parfaite de la “métropole- citadelle” que décrit Christophe Guilluy dans Le Crépuscule de la France d’En-Haut, ouverte au monde mais ruinant sa région en polarisant la bourgeoisie régionale et les retombées économiques qui en résultent. Montpellier en devenant un pôle universitaire majeur a attiré les étudiants du Languedoc-Roussillon et en proposant des emplois dans un secteur tertiaire en pleine explosion a su charmer les jeunes cadres dynamiques et la bourgeoisie régionale, pour qui, investir à Montpellier est synonyme de placement sûr et d’avenir.

Pour devenir “la surdouée” Montpellier a surtout su priver les villes régionales de ses talents et de ses investisseurs potentiels. Elle a su offrir son centre-ville à une population qui bénéficie de la mondialisation et ouvrir ses banlieues à une main d’oeuvre majoritairement immigrée officiellement sous prétexte d’ouverture et de tolérance mais officieusement pour bénéficier d’une main d’oeuvre peu coûteuse au sein de la métropole. Cette politique a aussi relégué les classes moyennes et populaires aux périphéries et en marge de la métropole les écartant d’une mondialisation qui ne leur profite pas.

L’ascension de Montpellier, certes spectaculaire, a néanmoins paupérisé le Languedoc- Roussillon en désorganisant son tissu économique, social et géographique qui d’une tradition pluricéphale est devenu l’illustration parfaite d’une région macrocéphale

L’ascension de Montpellier, certes spectaculaire, a néanmoins paupérisé le Languedoc- Roussillon en désorganisant son tissu économique, social et géographique qui d’une tradition pluricéphale est devenu l’illustration parfaite d’une région macrocéphale. Résultat, les villes du Languedoc-Roussillon sont les plus pauvres de France. La situation est notamment jugée catastrophique à Béziers et à Perpignan avec respectivement des taux de pauvreté de 33 % et de 31%. De plus, une pauvreté chronique s’installe dans ces villes ainsi à Béziers à peine 19 % d’une classe d’âge obtient le baccalauréat, le plus faible taux de France pour une ville moyenne. Concernant Montpellier, il faut faire parler les chiffres, si la surdouée affiche un taux de pauvreté de 29 %, une autre donnée est à prendre en compte, celle de la fluctuation des revenus, ainsi entre 2008 et 2011, les 10 % les plus aisés ont augmenté leurs revenus de 5,3 % alors que les 10% les plus pauvres ont vu leurs revenus se réduire de 6,4 %. Si ce phénomène est régional, il est exacerbé à Montpellier, symbole d’un système mondialisé profondément inégalitaire.

Certains s’étonneront alors de l’explosion du vote Front national dans ce qui était le Midi Rouge, terre populaire, trahie et abandonnée par la gauche, victime d’une mondialisation détruisant nos structures régionales et notre capital culturel au profit d’une minorité protégée derrière les murailles de nos métropoles.

Samuel TOURON