Chambre régionale des comptes : Ces très chers personnels de la ville de Montpellier

L'hôtel de ville de Montpellier. Photo : Olivier SCHLAMA

Les magistrats de la CRC ont épluché la gestion des ressources humaines de 7e ville de France, de 2015 à 2021, qui épongent 77 % de ses ressources fiscales. Ce rapport, “très long à sortir”, met en lumière une hausse des recrutements (965 sur la période) et un absentéisme moyen de 44 jours par an et par personne. Par ailleurs, 297 agents étaient sans affectation au moment de l’audit ; 250 personnes sont restées sans travailler pendant deux ans et 220 agents étaient directement rattachés au cabinet du maire…

Les magistrats de la chambre régionale des comptes d’Occitanie ont ausculté la gestion des ressources humaines de la ville de Montpellier (295 542 habitants en 2019, soit + 8,62 % par rapport à 2013 et 20,7 % de chômage) à partir de l’exercice 2015 jusqu’en 2021. Associée à la métropole et au CCAS, la ville, 7e ville de France, est, après le centre hospitalier de Montpellier, le deuxième employeur local. Ce genre d’audit a été fait à Marseille, 2e ville de France avec à peu près la même analyse des magistrats.

3 710 agents à Montpellier pour une dépense de 180 M€

MASSE SALARIALE Avec 3 710 agents en 2020, la masse salariale de la ville atteint une dépense de plus de 172 M€ en moyenne par an et mobilise ainsi plus de 77 % de ses ressources fiscales propres, de ce que paient les Montpelliérains en impôts. Ces charges s’élèvent même à 180 M€ en 2021 avec une hausse de 12 M€ sur les seules années 2020 et 2021. Et ce n’est pas dû à la hausse mécanique du point d’indice. C’est lié principalement à des recrutements. À comparer au budget de la ville de Montpellier : 310 M€ de recettes et 260 M€ de charges, dont donc 180 M€ de charges de personnels, le restant étant l’achat des fluides, l’entretien, les réparations, les véhicules, etc.

“Insuffisances de gestion”

Montpellier. Ph. O.SC.

Sachant que l’on est dans une situation de mutualisation partielle pour une partie des agents. Le nombre d’agents travaillant à la fois à la ville et la métropole s’élevait, en 2021, à 7 000 agents. Couvrant le mandat Philippe Saurel et deux années du mandat de l’actuel maire, Michaël Delafosse. Ce rapport, concernant la 7e ville de France, a été “très long” à sortir, de l’aveu de l’un des magistrats qui évoque une gestion “défectueuse“, et des “insuffisances de gestion”. 

44 jours d’absence par agent et par an en moyenne

ABSENTÉISME. Les nombre d’agents, pendant la période, a augmenté régulièrement, passant de 3 510 à 3 710. Alors que la ville affiche un nombre en baisse, considérant qu’il y a eu des missions transférées à la métropole. Mais la chambre arrive, elle, à + 200 agents nets, à missions constantes. Ce n’est pas tout : la ville a surcompensé les départs à la retraite de ses agents : quand quelqu’un partait à la retraite, on a recruté plus d’une personne pour la remplacer. La ville explique qu’il fallait pourvoir des besoins qui ne l’étaient pas précédemment. Or, y a-t-il eu de nouveaux services liés à la hausse de la population ? “Non“, répond la chambre régionale des comptes (CRC).

Cette hausse des charges de personnels, la CRC l’explique par une présence au travail “altérée” par différents facteurs. Le niveau d’absentéisme est “très élevé” : 44 jours tout type d’absentéisme confondu par agent et par an. L’un des plus élevés de France. “Il est très élevé parce qu’il associe à la fois des arrêts maladie de courte durée classiques et des arrêts maladie de longue durée.”

250 agents sont restés deux ans sans travailler

Philippe Saurel. Ph. Olivier SCHLAMA

Évidemment, en 2020, pendant la crise du covid, l’absentéisme était partout et pour cause. Les agents ont bénéficié tout logiquement de ce que l’on appelle “l’autorisation spéciale d’absence”. En 2021, changement de doctrine des pouvoirs publics : les agents ont été invités peu à peu à regagner leur poste de travail. À Montpellier, 250 agents sont toutefois restés plus de deux ans sans revenir au travail, qui ont depuis repris en bonne partie. Sans même télétravailler.

Après l’autorisation spéciale d’absente, certains agents se sont déclarés comme “vulnérables“, mettant en avant une fragilité particulière : on les a autorisés à rester chez eux plus longtemps ; cela a duré toute l’année 2020. En 2021, des circulaires demandent de réinterroger la vulnérabilité de ces agents-là et voir si on peut aménager leurs postes de travail. La collectivité l’a peu fait. Mais elle a d’ores et déjà réagi : il ne reste plus qu’une trentaine de personnes concernées.

297 agents en absence de longue durée

La CRC a ajouté, dans son analyse, les absences de longue durée parce que l’on a beaucoup d’agents sans affectation (8 % des effectifs) : 297 qui représentent, à eux seuls, 10 M€ de rémunération par an ! Ils ne viennent tout simplement pas travailler ! Il y a une multitude de situations. Certains agents ont été en arrêt maladie, reconduit ensuite en longue maladie. Sauf qu’elles doivent se traiter : au bout d’un certain temps, soit la personne revient au travail soit elle est placée en invalidité. Mais, normalement, on ne continue pas à être payé sans que la situation fasse l’objet d’un suivi.

Michaël Delafosse – Maire de Montpellier et Président de Montpellier Méditerranée Métropole. DR

Parfois, la personne est sortie d’un service pour “incompatibilité d’humeur” ; un chef de service qui n’est plus en capacité de le gérer, par exemple. Ça arrive partout mais là, aucune proposition de nouvelle affectation. Sur ces 297 agents sans affectation, la collectivité répond que 105 sont en position de maladie. La CRC ne le conteste pas mais il reste à effectuer le traitement social de ces agents. Et pour 192 d’entre eux, la ville de Montpellier a répondu à la CRC qu’ils sont “en cours d’affectation”. Certains de ces agents sont dans cette situation depuis… sept ans !

Un absentéisme qui génère un recrutement important

Beaucoup de points d’analyse de la CRC trouvent leur origine dans les modalités de traitement des ressources humaines avant les propres mandats de Saurel et Delafosse. Cela a existé avant et “entretenu” par les deux maires qui se sont succédé. Pour quelle raison ? La chambre ne se prononce pas. Les magistrats poursuivent : cet absentéisme engendre des heures supplémentaires (parfois, leur nombre est très important) ; il n’y a pas de système de pointage dans la majorité des services.

RECRUTEMENTS. Cet absentéisme important génère des recrutements importants. Notamment des non-titulaires sur des emplois non permanents. Les processus de recrutement sont jugés par la chambre ne respectant ni les règles que la collectivités s’est fixés ni celles du droit de la fonction publique. “La procédure ne garantit pas à tous l’égal accès à tous à ces emplois publics.”

La ville est passé de 3 510 à 3 710 agents sur la période étudiée mais c’est un chiffre net. Il faut compte 1 500 recrutement entre 2015 et 2021. Les recrutements d’emplois permanents s’élèvent à 965 agents sur la période. Auxquels il faut y ajouter les non-permanents (remplacements) : 628 en 2917 ; 689 en 2019 et 314 en 2020.

On recense des emplois de direction, des cadres supérieurs, récemment pourvus sans respecter l’égal accès à tous à ces emplois publics”

Le recours aux non-titulaires est privilégié. La ville de Montpellier a peu recours aux mutations d’agents titulaires d’autres collectivités, ayant une expérience et un parcours professionnels étoffé. Elle préfère les contractuels qu’elle titularise ensuite (y compris pour des emplois de catégorie A), le plus souvent des gens du bassin de vie, selon “des règles de recrutement non régulières” ; des agents qui pour certains sont en longue maladie… “On recense des emplois de direction, des cadres supérieurs, récemment pourvus sans respecter l’égal accès à tous à ces emplois publics.”

Huit chauffeurs et quatre maîtres d’hôtel

Montpellier, Antigone. Photo : Olivier SCHLAMA

Sur les rémunérations, la chambre relève des primes pour parties “irrégulières” (sans forcément de base légale) ; les heures sup’ ne sont pas toutes contrôlées ; certains bénéficient de “forfaits” d’heures sup’ ; il y a une prime d’intéressement collectif pas vraiment justifiée… Il y a aussi des primes pour les chauffeurs – huit – dédiés au cabinet du maire, qui servent aux gens qui travaillent dans l’entourage du maire, du maire et des élus et qui bénéficiaient depuis 2016 d’une prise mensuelle de 300 € sans qu’il y ait eu une délibération en conseil municipal. La ville de Montpellier a aussi quatre maîtres d’hôtel à plein temps.

220 agents rattachés directement au cabinet du maire

CABINET DU MAIRE. Il fonctionne comme… “un service administratif” à lui tout seul : “L’organisation est porteuse de risques”, indique notre source. Les collaborateurs de cabinet jouissent d’un statut particulier et leur fonction prend fin quand le maire cesse ses fonctions. Il y a dix collaborateurs, le nombre maximum légal. Sous la présidence de Saurel, ce cabinet était mutualisé ville-métropole. Là il y a eu défusion avec deux cabinets, avec deux directeurs de cabinet, avec des collaborateurs attachés à chacun.

Ce qui est remarquable, c’est qu’au cabinet de la ville de Montpellier sont rattachés un grand nombre d’agents administratifs : 220 agents ! Ils travaillent sous l’autorité directe du directeur de cabinet. Il est de tradition dans toutes les municipalités d’avoir un petit groupe de secrétaires ou d’agents, d’administratifs et de chargé de la presse, une dizaine au total. Là, ce sont 220 agents dépendant directement du dir’cab travaillant pour des missions comme le protocole, les relations internationales, la communication. Ce qui pose question sur “la régularité des délégations de signature”.

Ces agents titulaires pour certains ont été trop marqués politiquement de sorte que le nouveau maire n’a pas souhaité les garder”

“Leurs missions nous apparaissent porteuses de confusion entre le périmètre administratif et le périmètre politique, surligne une source. Que font ces agents exactement ? Quel est leur positionnement ? Cette situation porteuse de risque s’est justement montrée risquée au moment de l’alternance en 2020 : ces agents titulaires pour certains ont été trop marqués politiquement de sorte que le nouveau maire n’a pas souhaité les garder.”

Résultat, ces gens trop marqués politiquement ne sont plus en odeur de sainteté quand change le pouvoir. Le maire cherche alors à les faire partir. Sauf que ce sont pour beaucoup des titulaires. Cette façon de procéder est-elle répréhensible ? “Il y a eu récemment un jugement au tribunal correctionnel de Paris sur ce même sujet”, indique la même source. Pas sûr, en effet, que l’on puisse rémunérer avec de l’argent public des agents dont la mission n’est pas totalement administrative au-delà des dix collaborateurs de cabinet.

“Un système qui se reproduit année après année”

Le problème, c’est que certains dans ce pool de 220 personnes ont, depuis, quitté leur emploi ou sont restées sans affectation pendant de longues périodes et sont venues alimenter les 297 agents sans affectation. On a donc recruté pour remplacer ces gens à qui on a demandé de ne plus venir travailler, considérant qu’ils n’étaient pas du bord du maire en place. Ceux qui les ont remplacés seront peut-être tout aussi victime de cette façon de faire à la prochaine alternance. “Un système qui se reproduit année après année.” Sans parler du temps de travail (lire ci-dessous).

La Chambre régionale des comptes a formulé 21 recommandations à la ville de Montpellier pour se mettre en conformité. Certaines ont été mises en oeuvre.

Contacté pour savoir si la CRC l’avait saisi, Fabrice Bélargent, procureur de la République de Montpellier, nous a répondu : “En l’état, le rapport de la chambre régionale des comptes ne m’a pas encore été transmis.”

Olivier SCHLAMA

Temps de travail, régime favorable

C’est un héritage du passé. Extrait : “Le dernier rapport de la chambre du 25 novembre 2013 soulignait qu’avec 1 568 heures, le temps de travail appliqué dans la commune de Montpellier s’écartait du régime de droit commun. Pour une durée de travail de 35 heures hebdomadaires, ce régime aboutissait à l’octroi de six semaines de congés payés contre cinq dans le régime général, soit 30 jours de congés annuels. La chambre avait préconisé de « renégocier la durée de temps de travail annuel” tout en mentionnant l’impact favorable de cette mesure sur les charges de personnel. La collectivité avait rappelé son droit à maintenir ce régime dérogatoire résultant d’un accord conclu avant 2001.”

Quatre jours de congés exceptionnels en plus

Le rapport de la CRC poursuit : “Sans qu’il soit possible dater la mise en œuvre de ce nouveau régime, la collectivité a accordé quatre jours de congés exceptionnels supplémentaires correspondant à des jours de fermeture des services municipaux, portant ainsi le régime de temps de travail à 1 537 heures au cours de la période sous revue. Ces congés exceptionnels fixés dans le calendrier en début d’année sont octroyés sans aucune base légale.

“De nombreuses oppositions…”

Le précédent ordonnateur n’a pas remis en cause ce régime dérogatoire durant son mandat malgré le surcoût financier généré pour la collectivité et ses conséquences directes ou indirectes en termes d’organisation des services (poids des heures supplémentaires, secteur éducation en forte tension, cumul d’un temps de travail allégé et d’un absentéisme élevé).

Contraint par la loi de transformation de la fonction publique d’août 2019, le nouveau maire a porté le régime de temps de travail à 1 607 heures tout d’abord pour les personnels des écoles à compter du 1er septembre 2021, puis pour l’ensemble des agents à compter du 1er janvier 2022, date limite fixée par la loi. “La mise en œuvre obligatoire des 1 607 heures a rencontré de nombreuses oppositions, sans doute accentuées par les décisions de gestion antérieures ayant accru le différentiel entre le temps de travail légal et le régime appliqué aux agents de la collectivité.”

Surcoût du régime dérogatoire sur la période

Le temps de travail annualisé au sein de la collectivité s’élevant, jusqu’en 2021, à 1 537 heures, le déficit horaire représentait 70 heures par an et par agent, soit l’équivalent de 10 jours de congés sur une base de 35 heures hebdomadaires. Ce temps de travail allégé constituait indirectement un surcoût global pour la collectivité, compensé par la création d’emplois ou d’heures supplémentaires.

“Exprimé en ETP, cet allègement du temps de travail correspond au recrutement de 160 agents à temps plein . À titre de comparaison, ce volume est proche de celui du nombre de contractuels recrutés en 2020.Ce déficit de temps de travail génère une dépense supplémentaire au sein des charges de personnel évaluée à 7,5 M€ pour la ville, soit près de 20 % de sa capacité d’autofinancement nette dégagée en 2020 pour financer ses investissements futurs.”

La réponse de Michaël Delafosse

Cne Montpellier - Réponse 1 au ROD1

La réponse de Philippe Saurel

Cne Montpellier - Réponse 2 au ROD1

 

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