Belette, geai, corbeau, renard… : Pourquoi la liste noire des espèces dites nuisibles fait polémique

Renard roux. Ph. Fabrice Cahez /LPO

Mise à jour 4 août 2023. “Laissons vivre ces espèces présumées nuisibles !” : c’est ainsi que la LPO – qui dépose un recours juridique (1) – formule, aux côtés d’autres associations de défense, son opposition farouche au projet d’arrêté ministériel de continuer à désigner neuf espèces d’oiseaux et de mammifères comme portant atteinte aux “activités humaines” dont sept millions d’individus ont été tués en trois ans. Or, cette liste ne se base sur aucune étude scientifique. Pire, ces animaux sont utiles ! Le 4 août, l’Etat a publié la liste définitive dont le putois ne fait définitivement plus partie.

Ulcéré, ce commentaire sur les prétendus animaux, oiseaux ou mammifères, nuisibles résume l’état d’esprit des très nombreux opposants à un projet d’arrêté ministériel qui noircissent l’espace dédié sur le site internet du ministère du Développement durable, au bord du claquage : “Non à la perpétuation du massacre ; Toutes ces espèces que vous nommez nuisibles ont un rôle essentiel à jouer dans la chaîne que l’on appelle biodiversité dont l’homme est le dernier maillon (…) La seule espèce susceptible d’occasionner des dégâts sur Terre est sapiens. Il le prouve tous les jours avec ses guerres et autres atrocités dont il a le monopole. Merci de ne pas donner satisfaction aux chasseurs afin qu’ils puissent continuer d’assouvir leurs bas instincts pervers sanguinaires.” 

Le 4 août, l’Etat a publié la liste définitive dont le putois ne fait définitivement plus partie. Mais en y maintenant les autres sur sa liste noire, au grand dépit des associations de défense, dont la LPO qui dit vouloir engager un recours juridique sur cette décision.

Neuf espèces indigènes présentes en France

Pie bavarde. Ph. Bernard Deceuninck/LPO

C’est l’exemple parlant d’une mobilisation massive de l’un des presque 8 000 commentaires (!) de consultation publique du ministère de la Transition écologique afin de s’opposer au projet d’arrêté ministériel publié le 15 juin proposant la liste des“espèces susceptibles d’occasionner des dégâts” aux activités humaines (ESOD), qui devrait comprendre après le 6 juillet et pour trois ans : la belette, la fouine, la martre, le renard roux, le corbeau freux, la corneille noire, la pie bavarde, l’étourneau sansonnet et le geai des chênes, (l’un des premiers planteurs d’arbres en France !).

Or, un récent sondage IFOP indique que près de deux tiers des Français désapprouvent le massacre inutile de ces animaux sauvages. Cette décision sera applicable dès le mois de juillet prochain. Seul le putois, espèce fragile, n’y figure plus, suite à une décision du Conseil d’Etat de 2021.

Les chasseurs lâchent 20 millions d’animaux chaque année comme gibier de repeuplement qui de fait ne sont pas farouches. Leurs prédateurs, renards et d’autres, peuvent s’en emparer facilement. C’est pour cela que les chasseurs considèrent que toutes ces espèces sont nuisibles”

Allain Bougrain-Dubourg, président de la LPO
Allain Bougrain-Dubourg, président de la LPO. Photo : Michel Pourny.

Pour Allain Bougrain-Dubourg, président de la LPO, une telle opposition des défenseurs des animaux est compréhensible. C’est, avant tout, une question de méthode. “Les agriculteurs peuvent se plaindre de certains prélèvements sur leurs cultures. On peut l’entendre. Il y a aussi les chasseurs qui lâchent quelque 20 millions d’animaux chaque année, élevés dans des conditions plus que douteuses, du reste pour servir de gibier de repeuplement. Ils sont élevés en proximité avec l’homme et ne sont pas farouches et quand on les relâche dans la nature, les prédateurs, renards et d’autres peuvent s’en emparer assez facilement. C’est pour cela que les chasseurs considèrent que toutes ces espèces sont nuisibles.”

“Pas d’étude scientifique sur le sujet !”

Une belette. Ph. Jacques Robiolle/LPO

Le président de la LPO poursuit : “La loi impose que l’on fasse la démonstration des dégâts. Or, ce n’est jamais fait. Et chaque fois que nous allons devant les tribunaux, nous avons gain de cause : on n’arrive pas à démontrer la prétendue nuisance des animaux que l’on abat. Il n’y a pratiquement pas d’études scientifiques sur ce sujet. Quand il y a des raisons légitimes, nous ne nous y opposons pas. Là où on est scandalisés, c’est qu’il a fallu, par exemple, aller devant le Conseil d’État pour préserver le putois, une espèce fragile. La bellette ? Il n’y a qu’un département, curieusement celui du président national des chasseurs. Partout ailleurs, il n’y a aucun problème avec cet animal. À un moment où la biodiversité est très lourdement affectée par le réchauffement climatique, la sécheresse, les pesticides, l’artificialisation des sols… Eh bien, en rajouter n’est pas acceptable.”

Un renard peut manger 6 000 rongeurs par an !

Il prend un exemple parlant : “Si dans un département, il y a un élevage de volailles et que l’on a pu démontrer que les renards ont fait des dépradations, on peut entendre qu’il y a ait des captures aux alentours de cet élevage. Mais pourquoi détruire tous les renards de ce département alors que ce sont des auxiliaires d’agriculture puisque chacun d’entre eux peut manger jusqu’à 6 000 rongeurs par an ! On demande simplement d’appliquer la loi avec lucidité et non pas d’ajouter de la violence à la maltraitance.”

“L’espèce est nuisible si elle occasionne au moins 10 000 € de dégâts estimés ou s’il y a eu au moins 500 “prélèvements”

Cédric Marteau, directeur pour la protection de la nature à la LPO. DR.

Directeur pour la protection de la nature, à la LPO, Cédric Marteau explique comment le ministère choisit de décider si une espèce est nuisible ou non. “Il y a une commission dans chaque préfecture, le Comité départemental de la chasse et de la faune sauvage. Le préfet lance ensuite les procédures de destruction des espèces qualifiées de “nuisibles”. Il en fait un bilan tous les trois ans envoyé au ministère. Ce dernier regarde. Et décide de ce qu’il faut faire pour les trois années suivantes.” 

Au moins l’une des deux conditions doivent être réunies pour déclarer qu’une espèce est nuisible : si une espèce occasionne au moins 10 000 € de dégâts estimés ou s’il y a eu au moins 500 “prélèvements” – 500 poules déclarées tuées par des renards, par exemple – dans un département. Cela en passe par la commission nationale de la chasse et de la faune sauvage et soumet le décret au public. Nous en sommes à cette étape. Et le site internet du ministère est souvent inaccessible, pour cause de trafic trop important : à l’heure de publier ces lignes, on approchait des 8 000 commentaires…!

Ce projet d’arrêté ne se base que sur des dégâts déclaratifs : il n’y a ni contrôle ni vérification ! “

Etourneau sansonnet. Ph. Jean-Luc Pinaud/LPO

Ces sept millions d’animaux tués en trois ans ne sont pas consommés et leurs cadavres sont souvent abandonnés sur place. “À la LPO, notre position est claire : à l’heure de l’érosion de la biodiversité, peut-on se permettre de proposer ce type d’arrêté avec autant de destruction d’animaux ?” La réponse est dans la question.

Ce n’est pas tout. “Cet arrêté ne se base que sur des dégâts déclaratifs : il n’y a ni contrôle ni vérification ! Monsieur Dupont dit que cette nuit ses poules ont disparu. Il dit : “C’est le renard”. Ce n’est pas indemnisé, même si on calcule un coût par animal disparu. Mais aucune preuve n’est demandée sur l’espèce à l’origine de ces disparition. Alors que cela peut être un chien errant ! Ou un vol pur et simple. Ensuite, il n’y a aucune étude scientifique montrant qu’en détruisant ces espèces dites nuisibles il y aurait moins de dégâts.” Supprimer ces animaux relance en fait des dynamiques chez d’autres animaux et dans le monde du vivant.

Ces animaux sont très utiles depuis des millénaires : le renard, qui existe depuis la dernière glaciation, a eu un rôle de régulation d’espèces encore plus néfastes, comme les rats porteurs de maladies…”

Cédric Marteau, directeur protection de la nature, LPO
Renard roux Ph. Fabrice Cahez/LPO

L’écosystème dans lequel s’inscrivent ces animaux est complexe. “Ces animaux ont un rôle, ils sont très utiles depuis des millénaires : le renard, qui existe depuis la dernière glaciation, a eu un rôle de régulation d’espèces encore plus néfastes, comme les rats porteurs de maladies. Ils se nourrissent, aujourd’hui, principalement de charognes (et absorber les bactéries qui vont avec sans les propager) ; ils limitent la propagation de maladies ; les populations de petits rongeurs, surmulots, par exemple, et de nombreux agriculteurs en sont très heureux : un renard peut manger 6 000 à 8 000 surmulots par an ! Plus on fragilisera ces écosystèmes, plus ceux-ci laisseront apparaître virus et bactéries. Les prédateurs faut les voir comme des garants naturels de notre protection”, décrypte Cédric Marteau.

Sept millions d’animaux abattus en trois ans

Renard roux Ph. Fabrice Cahez/LPO

Le spécialiste enchaîne : “Si l’on prend le cas du geai des chênes par département, dont on estime qu’il est à l’origine de quelques milliers de dégâts à peine, le raisonnement peut être délirant. On va détruire le geai pour l’équivalent de 6 centimes de dégât par oiseau ! Et, ainsi, au total, il y a eu sept millions d’animaux abattus dans le cadre du précédent arrêté ministériel. On les tue en les tirant ou en les piégeant. Ce sont les chasseurs qui le demandent, grâce à leur agrément, à le faire.”

Sécuriser les élevages, techniques d’effarouchement…

Etourneau sansonnet. Ph. Antoine Dusart/LPO

Quelles solutions acceptables propose-t-il aux éleveurs et agriculteurs ? “Il faut sécuriser les élevages professionnels ou particuliers, enfermer les poules comme on protège ses matériels de jardin : on ne laisse pas dehors sa tondeuse à gazon.” Certaines associations de défense proposent aussi, outre de rentrer les poules dans un lieu hermétiquement clos, de s’emparer de techniques d’effarouchement dans les vergers et autres terrains livrés à l’agriculture, entre autres. Voire de planter les graines un peu plus profond dans la terre. Autant de petits gestes qui permettraient une meilleure cohabitation.

“Les Suisses n’ont pas de liste noire”

“Il faut être responsable et comprendre qu’en cassant les dynamiques, il y aura un risque de propagation de maladies. Les Suisses n’ont pas de liste noire d’espèces dites nuisibles”, rapporte encore Cédric Marteau. Ça ne veut pas dire que dans ce pays ces espèces-là ne sont pas chassables. Ni que les renards n’ont plus le droit d’être tirés mais ils sont régulés durant une seule période, celle de la chasse. En France, elles sont chassables et “on pourra les détruire par tous moyens et tous temps“, dit le projet d’arrêté, “y compris pendant leur reproduction. Ce n’est pas concevable surtout dans un moment où notre planète se fragilise et se transforme.

Présumés coupables…

Belette Ph. Fabrice Cahez/LPO

Pire, selon la LPO, l’argument justifiant l’inscription sur cette liste noire est parfois uniquement “d’ordre politique”. Ainsi, la belette n’est classée ESOD que dans un seul département français : le Pas-de-Calais, fief de Willy Schraen, tout puissant président de la Fédération nationale des chasseurs… Environ 15 000 belettes y ont été éliminées entre 2018 et 2022 pour un total de 388 € de dégâts déclarés dans les élevages de volailles, soit 2,5 centimes d’euro par victime ! “Il n’y a pas de logique sur la connaissance de cette espèce !”, s’emporterait presque Cédric Marteau. “Il faut laisser vivre ces espèces présumées nuisibles”, formule-t-il.
Contactée, la Fédération nationale des chasseurs n’a pas répondu à nos sollicitations.

Olivier SCHLAMA

(1) “En dépit d’une opposition massive lors de la consultation publique, le ministère de la transition écologique a publié dans sa version initiale l’arrêté fixant la liste des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (ESOD) dans chaque département. La LPO dépose un recours juridique”, indique la LPO.

“Lors de la consultation publique, plus de 49 000 citoyens se sont prononcés, dont près de 71% contre le projet d’arrêté, soit 5 points de pourcentage de plus qu’en 2019. Malgré cette forte mobilisation, le ministère n’a pas souhaité modifier l’arrêté.”

Geai des chênes, martre des pins…

Le geai des chênes est ainsi connu comme l’un des principaux planteurs d’arbres de France grâce à sa propension à disséminer les glands dans nos forêts. Alors que ces dernières sont menacées par le réchauffement climatique, près de 14 000 geais ont pourtant été tués entre 2018 et 2022 dans les cinq départements où l’espèce est classée ESOD, en dépit de déclarations de dégâts inexistantes ou incohérentes. “On a plus d’intérêt à avoir du geai des chênes dans un moment de sécheresse, de transformation de nos forêts pour tenter naturellement de prélever des essences comme le chêne vert ou le chêne pédonculé pour planter du pin…”, conclut Cédric Marteau.

Geai des chênes. Ph. Gilles Pierrard/LPO

La martre des pins reste, elle aussi classée ESOD mais dans 26 départements pour prévenir des potentiels dommages sur les activités agricoles alors que ces derniers ont été le plus souvent insignifiants sur la période 2018-2022. Dans quatre départements pyrénéens (11, 31, 65, 66), l’argument de la protection du grand tétras est également utilisé par les chasseurs soucieux de pouvoir reprendre la chasse de cette espèce vulnérable, interdite pour cinq ans depuis l’an dernier. “Aucun élément ne permet pourtant de démontrer un quelconque impact de la martre sur les populations de tétras, dont le déclin est essentiellement lié à la dégradation de leur habitat et au dérangement humain. Et quand bien même, il serait inacceptable d’ainsi criminaliser la prédation naturelle d’une espèce sauvage sur une autre”, affirme la LPO.

Martre des pins. Ph. Fabrice Cahez/LPO

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