10 000 km en un an ! Les amples mouvements d’un petit oiseau marin nichant et migrant depuis Sète permet de mettre en lumière le sujet de la biodiversité au regard des projets d’éoliennes en mer, dont des fermes pilotes au large de Gruissan et Port-La-Nouvelle (Aude) sont prévues d’ici 2025.
Les oiseaux ne tiennent pas encore de carnet de bord. Mais on peut leur coller des émetteurs GPS pour les espionner. Même quand c’est un petit oiseau marin. L’un de ces oiseaux, sétois, une sterne caugek, espèce protégée, a ainsi parcouru 10 000 km pour revenir et se reproduire un an plus tard, exactement au même endroit, sur le lido de l’île singulière, où elle a trouvé des conditions de nidification satisfaisantes ! Et pour cause : l’endroit, protégé, est géré par le Conservatoire du littoral, et proche de leur garde manger…
Équipée d’une balise GPS à Sète, cette sterne caugek d’à peine 232 grammes a fait un voyage exceptionnel
Équipée d’une balise GPS en mai 2022 sur un îlot de Sète, cette sterne caugek d’à peine 232 grammes a fait un voyage exceptionnel. Et elle vient de retrouver, après ce périple à travers l’Italie, le Maroc, la Mauritanie…, son îlot de nidification d’origine !
Cette sterne n’a pas de petit nom. Elle a été baptisée “N°15” (le numéro de sa bague), parce qu’elle faisait partie d’un groupe de 16 congénères équipés, eux aussi, de balises GPS. Sur les 16 oiseaux équipés, on a encore des données seulement pour deux oiseaux, après le retour de la “N°15”, donc. L’exceptionnelle voyageuse est déjà repartie deux fois en Espagne depuis son retour à Sète ! On ne sait pas ce qui les motive à voyager, peut-être des stocks alimentaires. Ou des affinités avec des autres espèces d’oiseaux.
Fin d’émission, pour la plupart, en Afrique, au large de la Guinée-Bissau, Sénégal, Mauritanie, et du Sahara
Ce sont des oiseaux qui peuvent vivre une vingtaine d’années. Que l’on trouve un peu partout sur la planète. Ils sont capables de parcourir des distances énormes. Comme l’explique Olivier Scher, responsable de la conservation de la faune au Conservatoire d’espaces naturels d’Occitanie : “On a affaire à des oiseaux plongeurs ; qui se laissent tomber d’assez haut… Et le dispositif n’est pas prévu pour être permanent. Ce GPS est une espèce de petit sac à dos tenu par des bandes de Téflon, assez fines.” Entre soleil, eau salée, les chocs répétés, ces pertes de GPS sont logiques. Fin d’émission, pour la plupart, en Afrique, au large de la Guinée-Bissau, au Sénégal, Mauritanie, et même du Sahara où elles passent l’hiver…
Camargue, Pise, Naples, Parc national de Gargano…
Ainsi, cette sterne caugek “N°15” est-elle suivie depuis le 26 mai 2022 sur l’îlot sétois où elle nichait. Elle y restera jusqu’au 12 juin après l’échec de sa nichée avant d’aller visiter les autres colonies présentes en Camargue, ceci jusqu’au 24 juin. Elle a ensuite rejoint les côtes italiennes dès le 25 juin (d’abord la région de Pise puis celle de Naples) et y est restée jusqu’au 2 juillet. La sterne a alors décidé de traverser la botte italienne pour rejoindre la mer adriatique et les rivages du Parc national de Gargano. Elle y est restée jusqu’au 26 août avant de retrouver la côte napolitaine jusqu’à la fin du mois d’octobre.
Grand voyage vers le Sud…
Elle a repris la direction de la France le 30 octobre 2022 et y est restée jusqu’au 18 novembre, date à partir de laquelle elle a entamé son grand voyage vers le Sud : Gibraltar le 26 novembre, Agadir le 28 et le Parc national de Khenifiss (Maroc) jusqu’au 6 décembre. Elle a ensuite poursuivi sa route jusqu’à la frontière entre Sahara occidental et Mauritanie où elle a hiverné jusqu’au 25 avril 2023. Cette date marque le début de son retour vers L’Europe avec une traversée du détroit de Gibraltar le 1er mai. Elle retrouve enfin son îlot de reproduction, à Sète, le 5 mai, presque un an plus tard et 10 000 km dans les ailes !
Évaluer l’impact de l’éolien en mer
Cette belle histoire vient illustrer la présence de deux programmes de recherche. L’un est lié au développement de l’éolien en mer et plus précisément des fermes pilotes, Eol Med et EFGL, de la Région Occitanie, au large de Gruissan et Port-La-Nouvelle (Aude), comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. Il s’agit d’évaluer l’impact potentiel de l’éolien sur certaines espèces d’oiseaux dont les sternes Caugek, une espèce qui niche sur notre littoral, notamment à Sète, dont le lido jusqu’à Marseillan, accueille la majeure partie des effectifs du littoral méditerranéen français.
Quelque trois mille couples y nichent chaque année. “On ne sait pas grand-chose de cette espèce dans l’utilisation de l’espace dans le Golfe du Lion. Nous n’avions aucune connaissance de son activité et de recherche alimentaire en Méditerranée”, explique encore Olivier Scher. Il ne faudrait pas que ces sternes et d’autres oiseaux entrent en collision avec ces mastodontes qui les décimeraient.
“Un comportement marin”
Responsable conservation de la faune, au Conservatoire d’espaces naturels d’Occitanie, il ajoute : “Cet oiseau a un comportement marin, se nourrissant de poissons blancs. Notre objectif dans ce programme c’est d’étudier le comportement des sternes Caugek pendant leur période de reproduction, de mai à septembre.” La sterne caugek est un laridé, de la famille des mouettes et goélands, aux ailes effilées qui possède un bec fin et allongé, adapté à la pêche en pleine mer. C’est une espèce coloniale qui se reproduit en groupes parfois importants le long des façades maritimes françaises.
“Un suivi, une fois les éoliennes sur l’eau, en 2024 et 2025”
Olivier Scher souligne l’objet initial : “L’étude a porté avant l’installation des éoliennes pilotes en mer ; cela a donc été fait l’année dernière. On est donc dans la phase d’acquisitions de données et de connaissance. Et il y aura un suivi pendant encore deux ans, une fois les éoliennes sur l’eau, en 2024 et 2025 pour voir si on observe des modification ou des interactions négatives avec les plate-formes d’une poignées d’éoliennes qui n’auront rien à voir avec la taille des futurs champs de production industrielle. Le travail de recherche se fera avec un post-doctorant, en 2025 et 2026.”
Jusqu’à 80 km au large pour se nourrir !
Tout ce programme a été rendu possible grâce à la miniaturisation des GPS qui ne pèsent que cinq grammes. “Tout est bien sûr encadré par des autorisations du Muséum d’histoire naturelle (c’est porté par le Centre de recherches sur les populations d’oiseaux). Un suivi de haute technologie et précis : “On a pu s’apercevoir que ces oiseaux exploitaient assez largement le Golfe du Lion, capable de faire des déplacements pour se nourrir jusqu’au tombants au niveau du plateau continental, à 80 km au large ; ils vont aller se nourrir dans les étangs et les lagunes. On sait que ces sternes vont suivre les mouvements des stocks de poissons.”
Ce qui est super intéressant, c’est que ce n’est pas linéaire ; il y a des arrêts plus ou moins longs en fonction des secteurs, des zones humides ou des ports de pêche…”
Olivier Scher
Si les lieux d’hivernage des sternes méditerranéennes sont connus grâce à quelques opérations de baguage des poussins, tout reste à découvrir sur la dynamique de migration de ces oiseaux. “On ne sait pas comment se déroule leur migration. Ce qui est super intéressant, c’est que ce n’est pas linéaire ; il y a des arrêts plus ou moins longs en fonction des secteurs, zones humides ou ports de pêche où ces oiseaux vont rester plusieurs dizaines de jours, précise Olivier Scher.
“Pour cette sterne, on a remarqué qu’elle est partie vers l’Italie et même sur la mer Adriatique où l’on aurait pu imaginer qu’elle hiverne ou qu’elle descende un peu plus vers l’Afrique ou la Tunisie. Eh bien non, elle est revenue, repassée par Gibraltar et elle est redescendue vers l’Afrique. Ce sont des oiseaux coloniaux qui se déplacent en groupes mais pas forcément avec les mêmes groupes tout le temps. Ils e rassemblent avec d’autres espèces.“
Second programme d’étude des migrations des oiseaux
Autre donnée, “autant c’est un oiseau capable d’exploiter l’espace le Golfe du Lion pendant la période de reproduction autant il est très côtier pendant la période de migration : en prenant toutes les données GPS, on peut retracer très précisément les côtes africaines”. Olivier Scher fait remarquer, enfin, que ce qui est remarque, aussi, c’est que l’on n’est pas face à des populations uniques ; on est face à des “méta-populations” : il y a beaucoup d’échanges entre les individus à l’échelle de la Méditerranée, venus d’Espagne, d’Italie, de la France.”
Par ailleurs, “les données collectées hors période de reproduction alimentent un gros programme en cours, Migralion, qui vise à mieux connaître les migrations d’oiseaux en Méditerranée dans le contexte du développement de l’éolien en Méditerranée, gros espace de migration.” Un programme qui s’attèle aux stratégies de migrations lancé à l’initiative de l’Office français de la biodiversité (OFB), animé par la Fédération des énergies marines et le programme de télémétrie qui équipe une trentaine d’espèces d’oiseaux de balises, c’est porté par la station de la Tour du Valat, en Camargue avec le Muséum d’histoire naturelle.
Olivier SCHLAMA
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Le Conservatoire d’espaces naturels d’Occitanie (CEN) et ses actions pour l’environnement est une association de protection de la nature agréée par l’État et la Région. Il met en place depuis plus de 30 ans, des actions en faveur du patrimoine naturel et de la biodiversité. Au cœur des territoires de la région, une équipe de 120 écologues, ingénieurs, techniciens etc., des administrateurs et de nombreux bénévoles œuvrent à la préservation de sites naturels par des actions concrètes et collectives.
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Une opération et des observations possibles grâce au travail mené avec des partenaires techniques et financiers : CRBPO, Conservatoire du littoral, Sète Agglopôle Méditerranée, Tour du Valat, CEFE-CNRS, Oceanwinds et la Banque des Territoires (EFGL), Qair (Eolmed).
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