Ariège : Quinze confinés volontaires dans une grotte pendant 40 jours !

©philippe crochet descente dans le gouffre

Il y eut le pionnier de l’isolement, Michel Siffre. Il y a désormais Deep Time. L’expérience hors du temps, coupée du monde, commence ce dimanche soir. L’objectif est de répondre aux questions posées pendant les confinements covid et trouver des prolongements en matière spatiale ou médicale avec une meilleure connaissance de l’être humain.

Dans le ventre de la terre ! Après les deux confinements imposés par le covid, 15 personnes d’horizons très différents vont se confiner volontairement dès ce dimanche soir, 20 heures, dans la grotte de Lombrives, en Ariège, la plus grande d’Europe, durant 40 jours et 40 nuits qu’ils ne distingueront pas, faute de repères. Un lieu où règne 95 % d’humidité… C’est une aventure humaine doublée d’une expédition scientifique, baptisée Deep Time. Sa finalité : explorer les capacités humaines d’adaptation en condition réelle et “faire grandir l’humain pour protéger notre planète”. En résumé, comment notre cerveau va-t-il s’adapter à ces conditions éloignées de tout repère ?

40 % des gens affirment avoir eu des difficultés de gestion de leur temps pendant les deux confinements…”

Lors de la présentation de la mission lors d’une conférence de presse, la plupart des intervenants sont apparus excités, sourire aux lèvres. Le moment historique d’une première. “40 % des gens affirment avoir eu des difficultés de gestion de leur temps pendant les deux confinements ; ils n’arrivaient plus à se projeter. Et les expériences de Michel Siffre, suivi d’autres scientifiques précurseurs moins connus que j’ai beaucoup lus et admirés nous montrent l’obligation de poursuivre leurs travaux et d’apporter un plus”, a expliqué ce matin l’organisateur et aventurier Christian Clot.

Capacités d’adaptation, évolution de la mémoire, améliorer le dépistage de maladies…

La directrice du site de Lombrives a dit, pour sa part en substance, que c’est un joli clin d’oeil de l’histoire humaine, cette grotte ayant été habitée il y a des milliers d’années. “Les expériences précédentes ont beaucoup apporté sur la chronobiologie humaine, a souligné un scientifique. Celle-ci se penche sur l’impact de la plasticité cérébrale sur nos fonctions cognitives ; la densité de la matière grise ; les représentations de l’espace et du temps ; la capacité d’adaptation à la situation et à la prise de décision ; les représentations émotionnelles ; on y étudiera aussi l’évolution des différentes mémoires épisodiques, à long terme…”

Il s’agira aussi aussi, a complété un autre scientifique, “de savoir comment les participants vont s’adapter et comment ils s’adapteront au groupe”. Un troisième chercheur a ajouté que “l’expérience devrait permettre d’améliorer le dépistage précoce de certaines maladies à travers l’étude des fonctions d’attention, celles qui nous permettent de reconnaitre notre chemin, par exemple et qui font aussi intervenir les fonctions de l’oreille interne”.

Plusieurs zones de vie

Les quinze aventuriers vont vivre à “la frontale” pendant 960 heures… Sachant que l’être humain est façonné par trois paramètres : la gravité terrestre, l’oxygène et la lumière. Et que ceux-ci n’auront aucun repère visuel, aucun accès à la lumière du soleil ni aucun indicateur temporel : ce confinement dur va éprouver les organismes et le cerveau. Plusieurs zones de vie sont délimitées. Pour dormir, pour échanger avec les autres participants et pour les scientifiques. Faute de notion du temps, chacun devra trouver son propre rythme. Les quinze confinés volontaires seront accompagnés de quatre tonnes de matériels ; ils bénéficieront d’un campement sommaire et d’une proximité rare avec la nature et le silence ! De quoi en ressortir transformés !

Meilleure connaissance des organes sensoriels

Conçue et dirigée par l’explorateur-chercheur Christian Clot pour l’Institut de l’adaptation humaine, la mission réunit des scientifiques qui vont donc mener des protocoles avant, pendant et après ce confinement volontaire. Neurobiologiste, éthologue, généticienne, cardiologue, psychologue, ils vont étudier ce groupe aussi bien de manière individuelle (plasticité cérébrale, capacité à prendre des décisions, rythme de vie, biologie, chronobiologie émotions…) que collective sur le fonctionnement de groupe, les systèmes organisationnels… (1).

Alzheimer, expéditions spatiales…

L’expérience vise à faire progresser la science pour apporter sa pierre à une meilleure connaissance de nos organes sensoriels en vue de la préparation à l’exploration extra-terrestre et de nouvelles conditions de vie comme l’installation, un jour, sur de nouvelles planètes ; des travaux en conditions restreintes, etc. Elle est censée travailler sur les premiers signes de démence comme Alzheimer ou encore trouver des application dans les interminables expéditions spatiales à venir.

Christian Clot et son équipe ont imaginé cette expérience justement à la suite des confinements et restrictions dus au covid-19, “qui ont plongé 70 % de la population dans des états de fatigues mentales légères ou profondes et fait perdre la notion du temps à près de 40 % de personnes (covadapt, 2020)”, et alors que les changements seront de plus en plus profonds et nombreux dans le futur, il est nécessaire de mieux comprendre les mécanismes adaptations humains dans des situations réelles de vie. Alors que les travaux conduits par le précurseur Michel Siffre ont permis de mieux comprendre les rythmes biologiques humains sur des individus isolés, “cette expédition de recherche va permettre d’étudier le cerveau humain et son rapport au temps”.

Olivier SCHLAMA

  • (1) Deep Time est composé d’un groupe mixte et non professionnel. Conduit par Christian Clot, ils seront sept femmes et sept hommes de 27 ans à 50 ans à mener l’aventure. “Choisi après un processus rigoureux”, ils ne sont ni professionnels ni spécialistes des conditions difficiles, et viennent de différents milieux socioprofessionnels : responsable de communication, bijoutière, cordiste, analyste, enseignant, biologiste…
  • Pourquoi une grotte, pourquoi Lombrives ? “Plutôt qu’un laboratoire ou un bunker, explique l’équipe, un milieu naturel permet de vivre des émotions sensorielles et un rapport réel à un écosystème tout en garantissant l’absence de repères temporels. Lombrives, plus grande grotte d’Europe, permet en outre de se déplacer, d’explorer dans un vaste territoire. Des notions fondamentales pour nos capacités d’adaptation. À l’intérieur, des lieux de vies, de sciences et d’habitats sommaires ont été installés afin de créer des conditions de vie possible, et la grotte elle-même est un terrain de découverte important.”

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